Quel sera l’avenir pour Euronews ?

En mars 2023, la direction de la chaîne européenne d’information a annoncé une « restructuration » que, de leur côté, les syndicats contestent y voyant plutôt un « démantèlement ». Deux tiers des effectifs de la rédaction lyonnaise vont être supprimés, tandis que plus d’une centaine de postes de journalistes seront créés dans les capitales européennes, principalement à Bruxelles.

Il s’agit du deuxième plan de réduction des effectifs en moins de trois ans. En novembre 2020, la chaîne avait déjà perdu une trentaine de postes. Cette fois-ci, la coupure est beaucoup plus brutale pour Euronews, propriété du fonds d’investissement portugais Alpac Capital depuis juillet 2022. Lancée en 1993 à l’initiative de diffuseurs publics européens, la chaîne ne leur appartenait déjà plus depuis qu’en 2015 la majorité du capital avait été cédée au milliardaire égyptien Naguib Sawiris via sa société Media Globe Networks (MGN, voir La rem n°42-43, p.46). En 2017, l’américain Comcast-NBCUniversal acquiert de son côté 25 % du capital, que MGN rachète en 2020 pour détenir finalement 88 % d’Euronews. Les vingt et un groupes audiovisuels publics, auxquels s’ajoutent trois collectivités territoriales, se partagent les 12 % restant. Le passage de la chaîne européenne dans le secteur privé a entraîné le désengagement progressif des acteurs publics de l’audiovisuel, leur écot ayant été divisé par deux entre 2013 et 2023, passant de 42 à 20 millions d’euros, encore réduit à 13 millions d’euros pour le budget 2024. De même, au titre de ses « actions multimédia » visant à soutenir la production et la diffusion d’information sur et vers l’Europe, l’apport de l’exécutif européen à Euronews reste modeste. Selon le dernier accord-cadre signé en juillet 2021 pour une durée de trois ans, la subvention versée par la Commission européenne pour 2022 est inférieure à 15 millions d’euros.

Du côté de la rédaction, l’évolution de l’actionnariat ainsi que la nécessité de trouver d’autres sources de financement ont fini par faire naître le doute quant à l’étanchéité éditoriale des news sur la chaîne. Les journalistes déplorent en effet la diffusion, sur le site web français d’Euronews, d’articles et de publireportages réalisés par le bureau de Doha afin d’alimenter une rubrique intitulée « Qatar 365 », relatant « les actions et les opportunités du Qatar sur la scène internationale ». Alors qu’il n’y a plus de société des journalistes au sein de la chaîne pour discuter les projets éditoriaux, la rédaction s’inquiète plus largement de la stratégie suivie par la direction de nouer des accords commerciaux avec plusieurs pays du Golfe, notamment Abu Dhabi Media Investment Corporation en 2018, Media City Qatar en 2021, et avec l’Arabie saoudite en 2022. Ce à quoi la direction oppose que tout sujet important concernant le Qatar entraînera l’envoi de journalistes sur place et que les sujets portant sur les droits humains et l’environnement seraient traités conjointement par les équipes de Lyon et de Doha. À Lyon, on sait pourtant que le bureau de Doha est organisé, avant tout, pour réaliser des magazines sponsorisés, et non de véritables news.

En juillet 2022, Euronews redevient européenne. Le fonds d’investissements portugais Alpac reprend la totalité des parts de MGN. Présent à Lisbonne, Budapest et Dubaï, Alpac Capital est détenu par Luis Santos et Pedro Vargas David, dont le père, Mário David, ex-eurodéputé, est un associé et conseiller du président hongrois Viktor Orbán, notoirement eurosceptique. Gérant un porte­feuille d’environ 500 millions d’euros placés dans l’énergie, l’industrie et la finance, Alpac Capital investit pour la première fois dans le secteur des médias. En mars 2023, succédant à Michael Peters arrivé en 1998 et aux commandes depuis 2011, Guillaume Dubois, le nouveau directeur général d’Euronews, auparavant journaliste à BFM TV puis à LCI, a annoncé la stratégie 2023-2025 dont découlent une nouvelle organisation de la chaîne et sa transformation éditoriale : « Nous voulons d’abord être un média d’information européen pour les Européens, a-t-il expliqué au quotidien Les Échos. Plutôt que d’être une chaîne internationale parmi d’autres, qui ont des moyens plus élevés, nous clarifions le positionnement éditorial. »

Près de 200 postes vont être supprimés, – 128 journalistes, 57 techniciens et 12 administratifs –, sur un effectif total de 500 personnes. Plus de 140 salariés, dont les journalistes français et russes, resteront au siège de Lyon, du moins tant que le célèbre immeuble graphique vert pomme des bords de Saône, mis en vente début 2023, n’aura pas trouvé preneur. Révélé début mars 2023, ce plan de sauvegarde pour l’emploi (PSE) est au centre de la stratégie de relance de la chaîne, mise en œuvre par la direction afin d’éponger le déficit cumulé de 160 millions d’euros en dix ans, dont 21 millions pour la seule année 2021. Les journalistes et les techniciens, qui ont majoritairement voté en faveur d’un mouvement de grève le 16 mars 2023, dénoncent « un massacre social et éditorial ». Selon le Syndical national des journalistes, « l’information internationale n’est plus du tout la priorité du projet ».

Le projet de la direction consiste à redéployer l’activité d’Euronews en Europe, en réalité surtout à Bruxelles. La capitale belge est une priorité avec la création de 100 postes dont 70 journalistes, tandis que 50 autres postes de journaliste seront répartis entre les diverses capitales, Berlin, Rome, Madrid, Lisbonne, Londres et Paris. La mission éditoriale de la chaîne sera désormais concentrée sur l’actualité des institutions européennes. La direction, qui vise un retour à l’équilibre en 2025, souhaite faire de Bruxelles « le cœur névralgique du dispositif » ; elle envisage également d’externaliser certains services comme la régie finale, la production des magazines ou encore le service des plannings.

À l’occasion de la journée de l’Europe, le 9 mai 2023, les employés de la chaîne ont interpellé les chefs d’État et les institutions politiques, rappelant leur engagement de soutenir « le plus vieux média d’information européen », lancé en 1993 à l’initiative d’une dizaine de chaînes européennes. L’intersyndicale, quant à elle, déplore l’abandon de la vocation internationale d’Euronews, au risque de devenir « une chambre d’écho des lobbyistes à Bruxelles ». Conçue voici trente ans comme alternative à l’américaine CNN, l’unique chaîne d’information euro­péenne d’envergure internationale sera-t-elle encore longtemps ce qu’elle est aujourd’hui ? C’est-à-dire un média d’information acces­sible pour plus de 400 millions de foyers à travers 150 pays ; diffusé en 17 langues sur le réseau hertzien, le satellite, le câble, la télévision IP et le web ; repris par les télévisions étrangères ; comptant 25 millions de visiteurs par mois sur ses plateformes numériques ; deuxième chaîne d’information en Europe derrière CNN et numéro 1 en Russie (avant d’en être bannie en mars 2022). Le tout pour un budget qui n’a jamais dépassé 75 millions d’euros.

Sources :

  • « Euronews officiellement sous le contrôle du fonds d’investissement Alpac », AFP, tv5monde.com, 5 juillet 2022.
  • Brice Laemle, « Chez Euronews, les motifs d’inquiétude se multiplient au sein de la rédaction », lemonde.fr, 25 novembre 2022.
  • Richard Schittly, « Euronews licencie la moitié de ses effectifs », Le Monde, 4 mars 2023.
  • Fabio Benedetti Valentini, « Euronews se redéploie en Europe et licencie à Lyon », Les Échos, 6 mars 2023.
  • Richard Schittly et Brice Laemle, « A Lyon, les journalistes d’Euronews en grève alertent les dirigeants européens sur « le démembrement de la chaîne » », lemonde.fr, 17 mars 2023.
  • « Des salariés de la chaîne Euronews en appellent aux dirigeants européens, alors que la direction prépare un PSE visant 200 postes », La Correspondance de la Presse, 10 mai 2023.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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