Influenceurs : une loi pour encadrer les pratiques

Large soutien parlementaire, appui de Bercy qui a lancé une consultation… la loi sur le marketing d’influence vient encadrer les pratiques problématiques de certains influenceurs, précise les obligations et interdictions, garantit la transparence des opérations de promotion commerciale.

Le « grand bazar » du marketing d’influence (voir La rem n°64, p.84) touche probablement à sa fin. La multiplication des abus, avec la complicité de certaines marques, aura convaincu le législateur d’encadrer les pratiques des influenceurs, ces nouveaux héros des réseaux sociaux qui font la promotion de biens et de services auprès d’une communauté qu’ils ont su conquérir grâce à leurs « contenus ».

La loi du 9 juin 2023 visant à « encadrer l’influence commer­ciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux » définit ainsi pour la première fois les influenceurs dans son article 1 : « Les personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public, par voie électronique, des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque exercent l’activité d’influence commerciale par voie électronique. »

Le statut d’influenceur commercial reconnu, il est désormais possible d’imposer à ces nouveaux acteurs des obligations particulières alors que leur activité devait, jusqu’alors, respecter les seules règles générales, celles du code de la consommation, de la santé, ou encore de la loi Évin, sans autre obligation concernant la nature toute particulière de leur activité. Ce flou a permis de nombreuses dérives dont un contournement caractérisé de la loi Évin par l’une des influenceuses stars en France, Lena Situations (2 millions d’abonnés sur YouTube, 4 millions sur Instagram, 2,6 millions sur TikTok), invitée au festival de musique Coachella, en Californie, et qui s’est filmée bouteille de Heineken à la main, une pratique festive de consommation d’alcool proscrite par la loi Évin. Or, ceci pourrait bien ne pas être de la publicité puisque la vidéo n’est pas rémunérée… même si tous les frais du déplacement en Californie sont pris en charge par Heineken. D’ailleurs, Lena Situations n’a pas oublié de mentionner la marque du brasseur dans sa vidéo. Et le brasseur n’a pas manqué d’indiquer qu’il n’a pas payé l’influenceuse pour cette vidéo. Il lui a simplement offert un voyage en Californie dans l’un des festivals les plus chers du monde.

Face à tant de « flou », et pour éviter une régulation trop sévère, les agences de publicité ont tenté de responsabiliser les marques et les influenceurs, leur demandant d’éviter les pratiques commerciales trompeuses. Les agences spécialisées dans le marketing d’influence se sont même réunies dans des fédérations. L’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus (UMICC) a été créée en janvier 2023 et a fait part d’emblée de sa volonté d’établir une charte des bonnes pratiques.

La Fédération des influenceurs et des créateurs de contenus (FICC) a été lancée en mars 2023 par Magali Berdah, qui dirige Shauna Events, l’une des plus importantes agences de marketing d’influence en France. Elle promeut, elle aussi, une charte des bonnes pratiques. Les deux fédérations invitent les influenceurs à passer le certificat proposé depuis 2021 par l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité), association qui regroupe les annonceurs. Mais l’autorégulation n’a pas suffi à dissuader le législateur. En même temps et en soutien aux parlementaires, l’exécutif, via le ministère de l’économie, a lancé une consultation publique sur l’influence dont les résultats ont été communiqués le 15 février 2023 et dont le principal enseignement est l’attente très forte à l’égard d’un meilleur encadrement des pratiques des influenceurs.

Les mesures proposées par Bercy, suite à ces consultations, et les initiatives des parlementaires ont donc abouti à la loi du 9 juin 2023, qui impose aux influenceurs ce que l’autorégulation n’a pas permis d’obtenir jusqu’alors. En effet, si leurs représentants ne manquent pas de rappeler que les influenceurs les plus importants sont ceux qui posent le moins de problèmes lors des enquêtes de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), que le nombre d’influenceurs passant le certificat de l’ARPP ne fait qu’augmenter, que les marques exigent de plus en plus ce certificat, les infractions n’ont pas véritablement baissé pour autant.

La DGCCRF avait communiqué les premiers résultats le 23 janvier 2023 sur les enquêtes menées sur l’année 2021 qui montraient que 6 influenceurs sur 10 ne respectaient pas le code de la consommation ou les règles de la publicité. Depuis, les représentants des influenceurs soulignaient que l’enquête concernait quelques dizaines d’influenceurs seulement alors qu’il y en aurait 150 000 en France. La DGCCRF a entre-temps intensifié sa politique de contrôle. Sur les trois premiers moins de l’année 2023, 50 influenceurs ont été contrôlés. La sensibilisation engagée depuis 2021 aurait dû porter ses fruits, mais force est de constater que 30 influenceurs avaient encore des pratiques illégales. Ils en seront demain responsables devant la loi.

Outre la définition de l’influenceur, la loi précise également le statut d’agent d’influenceur, ces derniers devant à l’avenir occuper une place de plus en plus grande sur ce marché, à mesure que les obligations de contractualisation vont se multiplier. En effet, la loi oblige désormais les influenceurs à signer des contrats avec les marques pour toute opération de promotion, mais également quand des cadeaux leur sont envoyés. Et les influenceurs doivent mentionner, durant toute la durée de leur vidéo, de manière claire et lisible, « Publicité » ou « Collaboration commerciale » (art. 5). Des mentions supplémentaires sur les vidéos et images sont également prévues dans le cadre des « Images retouchées » ou des « Images virtuelles » recourant à l’IA afin de signaler aux internautes que les silhouettes parfaites et les peaux immaculées sont le fruit d’un embellissement numérique (art. 5).

Enfin, certaines pratiques promotionnelles sont désormais interdites ou limitées. L’article 4 de la loi interdit la promotion de la chirurgie esthétique, la promotion de produits à visée thérapeutique ou de substituts aux prescriptions des médecins, la promotion du tabac, les pronostics sportifs payants. D’autres types de promotions commerciales restent autorisés mais sont beaucoup plus encadrés, comme la communication financière, sur les cryptomonnaies et les actifs numériques (NFT), autant de domaines où l’annonceur doit auparavant avoir obtenu un agrément de l’Autorité des marchés financiers (AMF) ou avoir été reconnu en tant que prestataire de services sur actifs numériques (PSAN). La communication sur les jeux d’argent est, elle aussi, autorisée, à condition que l’annonceur dispose d’une plateforme garantissant l’exclusion des internautes mineurs, la mention « Interdit aux moins de 18 ans » devant être apposée sur la vidéo. Quant à l’alcool, la loi ne prévoit rien de plus que ce que la loi Évin impose déjà, à savoir qu’une publicité informative est possible sous réserve d’afficher un message sanitaire sur les risques de l’alcool et que toute association de l’alcool à un contexte festif est prohibée.

En cas de pratiques commerciales trompeuses, le risque encouru peut aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende, l’enjeu étant désormais de savoir avec quelle sévérité les tribunaux vont sanc­tionner les infractions qu’ils constateront. Enfin, pour que la loi française ne soit pas contournée, les influenceurs exerçant depuis l’étranger mais s’adressant à des internautes français – ainsi des exilés de Dubaï – devront disposer d’un représentant légal en Europe.

À l’évidence, toutes ces contraintes et les messages sur les risques et sur la dimension commerciale de nombre de vidéos des influenceurs vont contribuer à une meilleure sensibilisation des internautes et à plus de transparence sur les pratiques, même si les vidéos identifiées comme commerciales ne vont pas nécessairement perdre de leur efficacité. Les annonceurs n’ont donc pas encore de bonnes raisons de s’inquiéter. Ils pourraient même bénéficier de ce surcroît de transparence dans un secteur parfois décrié pour les abus de quelques-uns.

Sources :

  • Richaud Nicolas, « Les acteurs de la publicité se positionnent sur la régulation des influenceurs », Les Échos, 15 février 2023.
  • Garaude Pauline, « C’est un secteur vertueux avec assez peu de dérapages », entretien avec Carine Fernandez, présidente de l’UMICC, Les Échos, 27 février 2023.
  • Richaud Nicolas, « Bercy dévoile son plan pour réguler les pratiques publicitaires des influenceurs », Les Échos, 27 mars 2023.
  • Cohen Claudia, « Bataille autour de la promotion de l’alcool par les influenceurs », Le Figaro, 30 mars 2023.
  • Alcaraz Marina, « Les influenceurs dans le viseur du gouvernement », Les Échos, 4 mai 2023.
  • Alcaraz Marina, « Une loi va mieux encadrer les pratiques publicitaires des influenceurs », Les Échos, 11 mai 2023.
  • Loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, legifrance.gouv.fr, 9 juin 2023.
  • Alcaraz Marina, « Ce que la loi va changer dans le quotidien des influenceurs en France », Les Échos, 17 août 2023.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)