La Brookings Institution, organisme de réflexion sur les politiques publiques, s’est attachée à l’étude du paysage des podcasts politiques, en particulier sur ce qui a trait à leur utilisation pour véhiculer de la désinformation.
Lancé en 2004, le podcast demeure une plateforme de niche pour l’information politique dans le paysage médiatique américain – et cela, jusqu’à l’élection présidentielle de 2016. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump propulse le podcast sur le devant de la scène, notamment pour les commentateurs professionnels ou en devenir issus de la mouvance démocrate en opposition au président élu.
Le résumé de l’étude Brookings et de ses conclusions pose les défis de la modération d’un média non régulé, à la différence des réseaux de radio qui émettent sur des fréquences faisant l’objet d’une licence avec des obligations envers le régulateur.
Selon Brookings, les podcasts politiques majeurs accentuent la désinformation
Les podcasts sont à l’audio ce que YouTube est à la vidéo (et feu Dailymotion) : un vecteur de décentralisation et de démocratisation. Aux côtés des médias radios traditionnels, qui utilisent le podcast très tôt pour permettre l’écoute de leurs programmes à la demande, le média, par sa simplicité, offre l’opportunité à des commentateurs de se lancer.
L’année 2016 marque donc aux États-Unis la montée en puissance du podcast politique, à l’ère des « fausses nouvelles ». L’étude de Brookings souligne la relation de cause à effet, avec une accélération de la désinformation.
Média non régulé, les podcasts servent de mégaphones pour des campagnes très organisées de désinformation politique et aux animateurs les plus écoutés, tels que Steve Bannon, ancien conseiller de Donald Trump. L’étude Brookings démontre qu’un faible nombre de podcasts est responsable de la dissémination de fausses informations et que ceux-ci sont relayés par d’autres podcasts qui en relaient eux-mêmes d’autres. L’effet de ruissellement et d’amplification des messages joue à plein, rehaussé par l’absence totale d’encadrement des podcasts.
L’étude s’appuie sur les données recueillies dans 36 603 épisodes mis en ligne mi-novembre 2020 et mi-avril 2021 par 79 podcasteurs politiques de premier plan, sur 17 061 évaluations et sur 184 termes et expressions clés. Il en ressort les points saillants suivants :
« La diffusion d’affirmations non fondées et fausses dans l’écosystème des podcasts politiques populaires était courante : près de 70 % des podcasteurs de l’ensemble des données ont partagé une ou plusieurs affirmations de ce type, et au moins un épisode sur vingt (1 863 épisodes) enregistré par des podcasteurs de premier plan contenait une affirmation non fondée ou fausse. Étant donné la conception de la recherche menée, la prolifération de ce type de contenu dans les podcasts politiques est certainement sous-estimée.
Les allégations non fondées et fausses liées à l’élection présidentielle américaine de 2020 ont connu un pic spectaculaire après l’élection et n’ont pas diminué dans les mois qui ont suivi, malgré de multiples contestations juridiques infructueuses : avant l’attentat du 6 janvier 2021 au Capitole, les podcasters politiques ont joué un rôle central et très partisan en semant le doute sur les conditions du vote lors de l’élection de 2020. Après l’élection, les allégations de fraude électorale ont augmenté de près de 600 %, pour atteindre plus de 28 % de tous les épisodes diffusés entre l’élection et le 6 janvier 2020, la grande majorité provenant de séries conservatrices qui étaient parmi les plus populaires au cours de cette période.
Durant les deux premières années de la pandémie de Covid-19, les allégations non fondées et fausses ont largement circulé, mais elles avaient tendance à être plus nuancées et moins partisanes que les allégations liées aux élections : les allégations non fondées et fausses liées à la pandémie sont apparues dans un épisode sur huit examinés au cours de cette période. Ces affirmations, cependant, tendaient à être moins ouvertement partisanes et elles étaient souvent enracinées dans une compréhension erronée de la science, une confusion sur l’évolution des lignes directrices en matière de santé publique et une forte dépendance à l’égard de prépublications non examinées par des pairs.
Dix podcasteurs de premier plan ont été responsables de la diffusion de la majorité des contenus faux et trompeurs : les dix séries de podcasts qui ont partagé des affirmations non fondées ou fausses au taux d’écoute global le plus élevé représentaient plus de 60 % de toutes les affirmations non fondées et fausses de l’ensemble des données. Ces séries, dont les animateurs ont un penchant politique conservateur, avaient une portée combinée de plus de 28 millions d’adeptes sur Facebook et Twitter en septembre 2022. »
Les défis de la modération et de la régulation
L’absence de cadre de régulation des podcasts, étant donné leur rôle dans la dissémination de la désinformation, représente un défi réel. Au vu du vide juridique et institutionnel posé par la diffusion de fichiers audio qui ne passent pas par des fréquences réglementées, plusieurs options sont envisageables.
Un code de bonne conduite volontaire serait une solution, mais la question de son adoption par des personnalités qui tirent leurs revenus de l’hyperhystérisation du débat politique laisse songeur.
Une régulation des agrégateurs de podcasts – Apple, Spotify – pourrait être préférable, mais elle se heurterait aux mêmes obstacles qui retardent l’encadrement de la diffusion d’informations : la position, assumée par ces agrégateurs, de rester de simples vecteurs de transmissions tels des services postaux ou d’échanges de messages.
Deux institutions américaines sont toutes désignées pour favoriser la modération de contenus, voire la régulation de celui-ci, dans le domaine des podcasts. La Federal Trade Commission a mis en place un code de conduite pour encadrer les rémunérations publicitaires ou promotionnelles perçues par les éditeurs-animateurs de podcasts. La Federal Communications Commission, quant à elle, tente depuis 2020 d’étendre la section 230 du Communications Act1 qui encadre les éditeurs numériques (voir infra), y compris les agrégateurs, pour arriver à une régulation allant dans le sens de ce qui est institué pour les médias traditionnels.
L’obstacle majeur réside dans l’écart entre la self regulation que les agrégateurs s’imposent à eux-mêmes et la nécessité d’aller plus loin. Les parlementaires américains, selon leur appartenance partisane, ne sont pas alignés sur la nécessité de légiférer pour encadrer les podcasts, et nombre d’entre eux en éditent pour leur propre compte ou s’invitent dans ceux des chefs de file du secteur.
Le démarrage de la campagne présidentielle de 2024 peut certainement accélérer à la fois la régulation-modération, pilotée par les plateformes elles-mêmes, et le processus parlementaire et réglementaire.
Pour l’heure, des mécanismes permettent aux auditeurs de signaler un contenu lié à la désinformation, et Apple Podcasts a mis en place le système le plus abouti2 – à la différence de Spotify, qui accuse un certain retard sur ce point.
Malheureusement, les auditeurs ne peuvent pas se substituer à un cadre de modération et de contrôle du contenu. Il est donc impérieux pour les autorités réglementaires américaines d’imposer aux plateformes un code de conduite, tout comme la Federal Trade Commission l’a fait pour encadrer les relations des marques commanditaires avec les « influenceurs » qui promeuvent leurs produits (voir supra).
L’utilisation du podcast par les candidats à tous les niveaux d’élections pourra jouer d’une manière positive tout comme négative quant à l’élaboration d’une réglementation ad hoc.
- Johnson Jr. Thomas M., « The FCC’s Authority to Interpret Section 230 of the Communications Act » Federal Communications Commission, fcc.gov/news, October 21, 2020.
- Wirtschafter Valerie, Meserole Chris, « Policy recommendations for addressing content moderation in podcasts », Brookings, brookings.edu, April 18, 2022.
Sources :
- Samp Tony, Phillips Steven R., Tobey Danny, « Data privacy bill in Congress would create federal enforcement over algorithms », DLA Piper, dlapiper.com, June 28, 2022.
- Moss Jillian, « The Podcast Problem », The Regulatory Review, theregreview.org, September 15, 2022.
- Wirtschafter Valerie, « Audible reckoning : How top political podcasters spread unsubstantiated and false claims », Brookings, brookings.edu, February 2023.
- « The Santa Clara Principles. On Transparency and Accountability in Content Moderation » : santaclaraprinciples.org.