Concernant l’avenir de l’information générale et politique, quelle est, selon vous, la bonne question à se poser ? La rem a souhaité participer à sa façon aux États généraux de l’information, qui se déroulent jusqu’au printemps 2024, en posant cette question à ses auteurs, enseignants-chercheurs et professionnels. Françoise Laugée
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Choisir « la bonne question à se poser » concernant l’avenir de l’information générale et politique peut sembler mission impossible. En effet, il y a tant de sujets à explorer pour assurer l’avenir d’une information plurielle et de qualité (du modèle économique des médias à l’usage de l’intelligence artificielle ou IA, en passant par la valorisation des contenus crédibles face au torrent de mésinformation et de désinformation) qu’en isoler un peut paraître vain, voire dangereux.
Pourtant, il est une question qui, à mon sens, englobe toutes les autres, et mérite d’être priorisée : comment retisser la confiance dans les médias, et, ce faisant, recréer des marques médiatiques fortes pouvant survivre (et prospérer) dans un monde où la défiance généralisée et le scepticisme absolu, corollaires malheureux de la prolifération des contenus synthétiques, risquent de se généraliser ?
Selon le dernier « Baromètre de la confiance dans les médias »1 Kantar pour La Croix, 54 % des Français estiment que « la plupart du temps, il faut se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité ». La défiance dans les médias n’est donc pas un risque à plus ou moins long terme contre lequel il faudrait se protéger. Elle est une réalité, qui ne peut qu’aller en s’accentuant au vu de l’évolution de l’écosystème informationnel.
En effet, 2023 a été l’année de l’explosion des contenus générés par IA. Images, extraits audio, vidéos… ces contenus se sont déversés sur nos réseaux sociaux, brouillant la lisibilité déjà abîmée de l’information en ligne. Les guerres, plus particulièrement celles entre la Russie et l’Ukraine et Israël et le Hamas, ont été fortement marquées par la diffusion de ces faux. De nombreux internautes ont ainsi été émus par l’image déchirante d’un homme seul portant cinq enfants hors des débris à Gaza, et par de longues files d’Israéliens dans un camp de réfugiés établi sur leur propre territoire. Ils ont été surpris en voyant le mannequin d’origine palestinienne Bella Hadid faire volte-face sur son soutien au peuple palestinien, et en entendant Volodymyr Zelensky appeler les soldats ukrainiens à quitter une ligne de front pourtant stratégique. Aucune de ces images et vidéos n’était réelle. Pourtant, elles ont fait le tour du monde. En parallèle, « crier au deepfake » pour discréditer des images authentiques est devenu une stratégie répandue chez les colporteurs d’infox, floutant davantage la frontière entre réalité et fiction.
LES MÉDIAS DITS « DE PINK SLIME » REMPLACENT PEU À PEU LES SITES D’ACTUALITÉ LOCAUX, RELÉGUANT CHAQUE JOUR UN PEU PLUS L’INFORMATION DERRIÈRE LA COMMUNICATION
2023, c’est aussi l’année où des fermes de contenus nouvelle génération2 ont vu le jour : ces sites d’« information », dont les contenus sont produits grâce à l’IA générative, avec peu ou pas de supervision humaine. En mai 2023, mes collègues de NewsGuard, société qui analyse la fiabilité de l’information en ligne, en avaient dénombré 49. Fin janvier 2024, ils en avaient recensé 659. Ces sites disposent d’un vivier infini de scribes fantômes qui « écrivent » des centaines voire des milliers d’articles par jour, ne se relisent pas, ne sont pas édités, et « hallucinent » souvent, selon le terme retenu pour décrire ces moments où l’IA invente et relaie des contenus erronés. Certains ont déjà été à l’origine de fausses informations virales, à l’instar de Global Village Space, un prétendu site d’information pakistanais qui a lancé l’infox selon laquelle le psychiatre du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu se serait suicidé3. En réalité, ledit psychiatre n’existe pas, et ne peut donc pas s’être suicidé.
Ces avancées de l’IA s’ajoutent au chaos informationnel ambiant, où des sites de propagande se font passer pour des sites d’actualité traditionnels, et où, aux États-Unis, les médias dits « de pink slime » (ces rédactions qui sont secrètement financées par des donateurs partisans) remplacent peu à peu les sites d’actualité locaux4, reléguant chaque jour un peu plus l’information derrière la communication.
Enfin, la parole des médias de qualité est directement mise à mal par la multiplication des faux reportages imitant les chartes graphiques de médias célèbres5 pour diffuser de fausses informations. Depuis le début de la guerre Russie–Ukraine, seize infox virales sur le conflit ont été présentées comme les révélations de médias traditionnels. Depuis le 7 octobre 2023, au moins huit fausses informations sur la guerre Israël–Hamas ont usurpé la crédibilité d’un grand média.
Face à ce paysage médiatique de moins en moins lisible, où distinguer l’information crédible relève de l’exploit, les lecteurs vont devoir renouer avec des marques dans lesquelles ils ont confiance, et dont ils savent qu’elles respectent certaines règles déontologiques de base.
Mais alors, comment, pour les médias, retisser, et surtout mériter cette confiance ?
Faire œuvre de pédagogie et de transparence sur la fabrique de l’information (le choix des sujets, la titraille, les relations qu’entretiennent les journalistes avec leurs sources, etc.) et sur les conflits d’intérêts potentiels des journalistes est une première étape indispensable. Rappeler la valeur de l’information en démocratie s’impose ensuite. Pour cela, les médias devront faire preuve d’humilité, et accepter de prouver chaque jour leur adhésion à des standards de base du journalisme, contre la communication, la publicité et la propagande. Le rôle des plateformes dans la valorisation (et la juste rémunération) des contenus fiables devra, par ailleurs, faire l’objet d’une réflexion d’ensemble.
Enfin, si 68 % des Français font d’abord confiance à leurs proches pour les informer, c’est aux médias de redevenir ces tiers de confiance à l’écoute de leurs lecteurs, faisant œuvre de médiation.
Sources :
- Kantar public, « Baromètre 2023 de la confiance des Français dans les media », kantarpublic.com, 22 novembre 2023.
- Sadeghi McKenzie, Arvanitis Lorenzo, Padovese Virginia, et al., « Suivi de la mésinformation facilitée par l’IA : 702 « sites d’actualité non fiables générés par l’IA » et les principales infox générées par les outils d’IA », NewsGuard, newsguardtech.com, 12 février 2024.
- Sadeghi McKenzie, « Un site généré par l’IA lance une infox virale affirmant que le prétendu psychiatre de Netanyahou s’est suicidé », NewsGuard, newsguardtech.com, 16 novembre 2023.
- Caro Mark, « As « pink slime » aims to fill local news vacuum, is anyone reading? », Local News Initiative, localnewsinitiative.northwestern.edu, March 28, 2023.
- NewsGuard, « Welcome to NewsGuard’s « Reality Check » », newsguardtech.substack.com, January 19, 2024.