Grève à Hollywood : scénaristes et acteurs obtiennent des concessions

Production en flux tendu, mini-rooms, absence de transparence sur les chiffres, pas de rémunération en cas de succès mondial et risques de l’IA : les scénaristes puis les acteurs américains ont lancé une grève historique contre les studios et leurs services de SVOD.

Sommées par leurs actionnaires de rendre enfin rentables leurs services de SVOD (vidéo à la demande par abonnement) parce que la télévision linéaire semble condamnée, les majors se seraient bien passées d’une double grève « historique » des scénaristes et des acteurs américains. En exigeant de meilleures rémunérations et des garanties vis-à-vis de l’intelligence artificielle (IA), scénaristes et acteurs poussent à une augmentation tendancielle du coût des séries qui alimentent les services de SVOD, ce qui ne présage rien de bon pour leurs marges. Or, les studios de Netflix, de Disney ou de Warner ne découvrent pas les inquiétudes de leurs salariés. Ils les ont en partie suscitées puisque la production industrielle de séries, en continu, est désormais devenue la norme avec un pic, en 2022, à 599 séries produites, hors dessins animés, soit une moyenne de deux séries entières produites par jour. Et les scénaristes qui travaillent tout au long de la production à alimenter les épisodes en dialogues et en situations nouvelles n’ont pas vu leur rémunération augmenter. Ils ont même l’impression de faire désormais partie de la gig economy, l’économie des petits boulots qui les rapprocherait plus du livreur Uber Eats que des créateurs d’antan.

Ce sentiment s’est développé notamment avec la multiplication des mini-rooms. Il s’agit de « salles d’écriture » avec un nombre limité de scénaristes qui préparent le projet avant sa mise en production, sans garanties ensuite de rémunération puisque, en cas de passage en production, d’autres scénaristes peuvent être appelés. Le terme « mini-rooms » est d’ailleurs dérivé de l’expression « writer’s room », terme communément utilisé dans la production audiovisuelle aux États-Unis et qui désigne l’équipe de scénaristes mobilisée pour la production des séries de la télévision. Avec les mini rooms, les scénaristes sont ainsi relégués aux marges de la production ; ils ne sont pas sûrs d’être recrutés et récompensés en cas de mise en production de la série.

Les scénaristes s’inquiètent également de l’évolution des formats des séries dans l’univers de la SVOD où les saisons sont raccourcies pour sortir plus rapidement, les scénaristes travaillant de ce fait moins longtemps. À l’inverse, dans les années 2000, les séries étaient chargées de tenir en haleine le téléspectateur et de le faire revenir devant son petit écran chaque semaine, idéalement pendant plusieurs mois. Elles comptaient donc vingt épisodes et plus – ainsi de « 24 Heures », de « Desperate Housewifes » ou de « Lost », toutes ces séries qui ont renouvelé le genre dans les années 2000, avant le succès des services de SVOD.

Enfin, quand la série connaît un succès planétaire sur un service de SVOD, celui-ci ne donne pas de chiffres sur l’audience et intéresse très peu les scénaristes, les réalisateurs comme les auteurs au succès commercial de l’œuvre.

Autant dire que les arguments étaient déjà préparés pour qu’une grève se déclenche. Restait à trouver le bon moment. Et ce fut le printemps 2023, date de la renégociation des accords passés entre l’association qui représente les studios, l’Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMPTP), et les associations des scénaristes, des réalisateurs et des acteurs.

Tout a commencé avec l’association des scénaristes, la Writers Guild of America (WGA) et ses 11 500 membres, première association à devoir renégocier ses accords avec l’AMPTP. Après des négociations infructueuses, les scénaristes se sont mis en grève le 2 mai 2023. Le risque était grand aussi avec les réalisateurs, puisque les négociations se sont ouvertes en mai 2023 entre l’AMPTP et le Directors Guild of America (DGA). Et les studios n’ont pas échappé, non plus, à une seconde grève, celle des acteurs, suite à l’échec des négociations entre l’AMPTP et la Screen Actors Guild, connue sous son acronyme, la SAG-AFTRA, le syndicat qui représente les acteurs aux États-Unis.

Les scénaristes ont exigé des studios une meilleure rémunération pour leur participation aux séries distribuées par les services de SVOD, notamment pour ce qui concerne les droits résiduels. Ces derniers correspondent à une obligation de rémunération pour toute réexploitation de l’œuvre, notamment en cas de commercialisation à l’international. Or, les services de SVOD ont nettement renforcé la circulation internationale des œuvres, y compris pour des productions de second rang qui, jusqu’alors, restaient diffusées sur le seul marché américain. À l’époque où la télévision dominait, les scénaristes savaient s’ils travaillaient d’abord pour le marché américain ou pour une production de type blockbuster et s’attendaient donc à des rémunérations différentes. Ce n’est plus le cas avec les services de SVOD qui rémunèrent sous forme de forfait-monde, sans intéressement systématique y compris en cas de succès planétaire inattendu, ainsi de la série de science-fiction « Stranger Things ». Les scénaristes ont également exigé des garanties sur le recours à l’intelligence artificielle (IA) pour les scénarios, en refusant notamment que leurs scénarios servent à entraîner des IA génératives qui écriront demain la version 1 des séries avant que des scénaristes humains, moins nombreux et moins rémunérés, viennent les améliorer à la marge.

C’est finalement avec le syndicat des réalisateurs que les studios se sont entendus en premier avec la signature d’un accord le 3 juin 2023. Ce dernier accorde aux réalisateurs une revalorisation des droits perçus sur les productions dédiées au streaming vidéo. Mais, le 6 juin 2023, trois jours plus tard, le début des discussions entre les studios et la SAG-AFTR a mal tourné, conduisant les acteurs à se mettre également en grève le 13 juillet 2023. Pour les acteurs, la diffusion planétaire des séries impose, comme pour les scénaristes, une meilleure rémunération. Mais c’est surtout la question de l’IA générative qui est centrale pour eux, car l’IA peut se substituer à nombre de doublages, de figurants, voire à des seconds rôles dont il est facile de reproduire l’image une fois l’acteur filmé quelques minutes.

Avec deux grèves simultanées, Hollywood s’est retrouvé à ce moment-là à l’arrêt. Les scénaristes, seuls, avaient mis fin aux productions en cours. Les acteurs, en refusant d’assurer la promotion des films déjà tournés, ont bloqué la phase finale de commercialisation. L’immense pression sur les studios les a amenés à reprendre les négociations avec les scénaristes le 11 août 2023, avant d’annoncer un premier accord avec la WGA le 24 septembre 2023. Les studios ont concédé une hausse de rémunération, notamment sur les droits résiduels. Pour que ces droits puissent être estimés précisément, les services de SVOD associés aux studios se sont engagés sur une plus grande transparence de leurs données, en communiquant les résultats d’audience des séries et films à succès. Des concessions sur l’IA ont également été faites avec un guide des bonnes pratiques adopté par les studios, qui se sont par ailleurs engagés sur un nombre minimum de scénaristes au sein des mini-rooms.

Quant aux acteurs, il aura fallu attendre « The last, best and final offer » du 6 novembre 2023, à l’initiative de l’AMPTP, pour que la grève s’achève trois jours plus tard. Les studios ont accepté une hausse de rémunération des acteurs, des engagements sur la non-réplication des acteurs grâce à l’IA, sauf contre rémunération et accord préalable des premiers concernés, une hausse des droits résiduels pour les programmes de streaming à succès, ainsi qu’un meilleur financement de leurs soins de santé. Les acteurs, s’ils obtiennent des droits résiduels plus élevés, alors que le streaming les avait fait baisser, ne sont pas parvenus, en revanche, à obtenir un pourcentage garanti sur les revenus des abonnements aux services de streaming, les premières demandes portant sur 2 % puis 1 % de ces revenus.

Les conséquences de la grève sont majeures parce que, outre sa très longue durée, elles aboutissent à une réorganisation des relations contractuelles entre donneurs d’ordres et salariés sur les marchés de la production aux États-Unis, et également parce que la grève a entraîné entre 3 et 5 milliards de dollars de pertes, avec la mise à l’arrêt de nombreuses productions et l’absence de promotion des films. De nombreuses sorties seront donc décalées, les effets de la grève devant se faire sentir fin 2023, début 2024, quand le stock de séries sera moins vite renouvelé sur les services de SVOD et quand les salles du monde entier devront se passer des blockbusters américains qui restent un gage de fréquentation pour les exploitants. Cette grève souligne en outre la mondialisation de la production américaine puisque la France a été touchée malgré l’importance des producteurs locaux dans la politique de quotas. En 2022, les tournages de films et séries pour les États-Unis ont ainsi représenté 315 millions d’euros sur une dépense totale de tournages de 2,1 milliards d’euros selon le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée). En 2023, cela correspond à l’arrêt ou au report du tournage de trois films et de quatre séries financés par les Américains. Mais c’est au Royaume-Uni que les conséquences sont très importantes pour le secteur de la production. Selon le British Film Institute, les dépenses de production au Royaume-Uni ont représenté 6,27 milliards de livres en 2022, soit 7,28 milliards d’euros, et 86 % de ces dernières sont liées à des investissements étrangers, essentiellement américains. La grève à Hollywood est aussi, et indirectement, une grève qui touche Pinewood de plein fouet.

Sources :

  • Lechevallier Pascal, « Le pic de production des séries a été atteint en 2022 », ZDNet, Digital Home Revolution, 13 janvier 2023.
  • Mass Jennifer, Otterson Joe, Schneider Michael, « One of the Writer’s Guild biggest contract negociation is the « mini rooms » boom », variety.com, 29 mars 2023.
  • Cohen Claudia, « À Hollywood, l’heure de la révolte a sonné », Le Figaro, 3 mai 2023.
  • Grésillon Gabriel, « À Hollywood, le ras-le-bol des scénaristes », Les Échos, 3 mai 2023.
  • Barzic Gwénaëlle, « À Hollywood, les studios trouvent un accord avec les réalisateurs », Les Échos, 6 juin 2023.
  • Goulard Hortense, « Les acteurs font grève, Hollywood bientôt à l’arrêt », Les Échos, 17 juillet 2023.
  • Loignon Stéphane, « La grève à Hollywood pèse sur l’industrie du divertissement », Les Échos, 16 août 2023.
  • Loignon Stéphane, Madelaine Nicolas, « Les grèves d’Hollywood paralysent aussi les tournages américains en France », Les Échos, 28 août 2023.
  • Goulard Hortense, « Grève à Hollywood : les discussions reprennent sur fond de tensions », Les Échos, 21 septembre 2023.
  • Dugua Pierre-Yves, « Fin de la grève des scénaristes à Hollywood », Le Figaro, 26 septembre 2023.
  • Goulard Hortense, « Grève à Hollywood : scénaristes et studios trouvent un accord de principe », Les Échos, 26 septembre 2023.
  • Anguiano Dani, « Hollywood writers agree to end five-month strike zafter new studio deal », theguardian.com, 27 septembre 2023.
  • Barnes Brook, Koblin John, Sperling Nicole, « Stricking actors and Hollywood studios agree to a deal », nytimes.com, 8 novembre 2023.
  • Goulard Hortense, « Hollywood peut enfin tourner la page de la grève », Les Échos, 10 novembre 2023.
  • Dugua Pierre-Yves, « À Hollywood, les acteurs obtiennent gain de cause », Le Figaro, 10 novembre 2023.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)