PLURALISME DE L’INFORMATION : LA DIVERSITÉ DES OPINIONS NE SE MESURE PAS UNIQUEMENT AU TEMPS DE PAROLE DES PERSONNALITÉS POLITIQUES

Dans une décision (n° 463162) du 13 février 2024, le Conseil d’État enjoint à l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) de réexaminer dans les six mois la demande de mise en demeure formulée par l’ONG Reporters sans frontières (RSF) à l’encontre de la chaîne d’information CNews, propriété du Groupe Canal+ (groupe Vivendi contrôlé par Vincent Bolloré).

Le 5 avril 2022, l’Autorité de régulation avait en effet rejeté la demande formulée en novembre 2021 (au Conseil supérieur de l’audiovisuel à cette date) par RSF, qui dénonçait la conversion de CNews en « média d’opinion » en dérogeant à ses obligations légales en termes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme. Le Conseil d’État en a jugé autrement, estimant à l’inverse que la requête de RSF était fondée – notamment concernant « le manquement du régulateur à faire respecter l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion à la télévision ». Les juges ont considéré que l’Arcom interprétait sa mission de contrôle des médias audiovisuels de manière trop restrictive.

Selon l’Autorité de régulation, les griefs que faisait valoir RSF à l’encontre de CNews étaient irrecevables. À commencer par la diversité insuffisante des points de vue exprimés – laquelle, rapportée au temps de paroles des personnalités politiques, ne représentait, selon le mode de contrôle de l’Arcom, aucun manquement de la part de CNews. De même, à défaut d’exemples précis – comme des extraits de programmes – fournis par RSF, l’Arcom a refusé de se prononcer sur le manque d’indépendance de l’information de la chaîne, travers lié à l’ingérence de son principal actionnaire selon RSF.

Deux arguments majeurs soutiennent le jugement du Conseil d’État qui ne porte pas sur le respect par CNews de ses obligations en tant que chaîne d’information mais « précise les principes applicables » au contrôle exercé par le régulateur afin de garantir l’application de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication par une chaîne de télévision « quelle qu’elle soit » :

  • concernant le contrôle du pluralisme de l’information, le Conseil d’État considère que « l’Arcom doit prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités », outre la mesure du temps d’antenne des personnalités politiques ;
  • concernant le contrôle de l’indépendance de l’information d’une chaîne de télévision, celui-ci doit être effectué, explique le Conseil d’État, au regard de « l’ensemble de ses conditions de fonctionnement et des caractéristiques de sa programmation », et non à partir d’un extrait d’un programme en particulier.

En outre, le Conseil d’État énonce que, dans le respect de ces principes, le régulateur a « un large pouvoir d’appréciation » dans l’exercice de ses fonctions.

Une décision que le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, a qualifiée d’« historique pour la régulation de l’audiovisuel, pour la démocratie et le journalisme ».

Considérant cette « interprétation renouvelée » de la loi de 1986, « le Conseil d’État renforce la capacité de contrôle par le régulateur », a fait savoir l’Arcom.

L’un des chroniqueurs emblématiques de la chaîne, Pascal Praud, estime, quant à lui, que « le succès de CNews irrite, dérange, bouscule les bien-pensants. […] CNews ne cédera à aucune intimidation ».

Émanant de la plus haute juridiction administrative, et donnant raison à RSF, ce jugement sur le respect du pluralisme et de l’indépendance de l’information arrive à point nommé. Ce nouvel argumentaire alimentera les débats qui se déroulent dans le cadre des États généraux de l’information (EGI), ainsi que les travaux en cours de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale dans la perspective du renouvellement des autorisations de quinze chaînes nationales de la TNT en 2025.

« La fragmentation de la société par la polarisation des médias, leur capture par les propriétaires et le déclin du journalisme sont des dangers funestes pour notre pays et chacun d’entre nous. […] Ce n’est pas telle ou telle ligne éditoriale qui est en jeu, mais notre capacité à accéder à une diversité de faits et d’opinions », explique le secrétaire général de RSF.

Sources :

  • « Pluralisme et indépendance de l’information : l’Arcom devra se prononcer à nouveau sur le respect de ses obligations par la chaîne CNews », communiqué de presse, Conseil d’État, 13 février 2024.
  • « France : Sur un recours de RSF, la décision historique du Conseil d’État dans le dossier Arcom/CNews », rsf.org, 13 février 2024.
  • « Décision du Conseil d’État du 13 février 2024 : réaction de l’Arcom », communiqué de presse, arcom.fr, 13 février 2024.
  • Reboul Anne-Pascale, « Coup de semonce pour la chaîne CNews, qui va être davantage contrôlée », AFP, tv5monde.com, 13 février 2024.