Sanctions prononcées par l’Arcom à l’encontre de C8 et de CNews

Arcom, décisions n° 2024-42 et 2024-43, du 17 janvier 2024.

La loi n° 86-1067, du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication (audiovisuelle), plusieurs fois modifiée, soumet l’exploitation des entreprises privées de télévision à l’obtention d’une autorisation délivrée sur la base d’une convention déterminant les obligations spécifiques des sociétés candidates par l’instance de régulation qu’est l’actuelle Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Pour assurer le respect des obligations légales et conventionnelles des exploitants, la même loi investit ladite instance de régulation d’un pouvoir de sanction. C’est de ce pouvoir que, une nouvelle fois, celle-ci a fait application, à l’encontre des sociétés de télévision C8 et CNews, dans ses décisions n° 2024-42 et 2024-43, du 17 janvier 2024.

Sanction prononcée contre C8

La convention d’exploitation signée le 29 mai 2019, entre la société C8 et l’instance de régulation de l’époque (le Conseil supérieur de l’audiovisuel, CSA), prévoit notamment : que l’éditeur « respecte les droits de la personne relatifs à sa vie privée, à son image, à son honneur et à sa réputation » ; qu’il « est responsable du contenu des émissions qu’il diffuse » ; et qu’il « conserve, en toutes circonstances, la maîtrise de son antenne ».

S’agissant du pouvoir de sanction de l’instance de régulation, en cas de non-respect des obligations légales et contractuelles de l’exploitant, ladite convention précise que, « si l’éditeur ne se conforme pas à une mise en demeure », qui en constitue un préalable, l’Autorité de régulation « peut, dans les conditions prévues à l’article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, prononcer, contre l’éditeur », notamment « 1. une sanction pécuniaire, dans les conditions prévues à l’article 42-2 de la loi ». Aux termes de cet article, « le montant de la sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages tirés du manquement, sans pouvoir excéder 3 % du chiffre d’affaires hors taxes. […] Ce maximum est porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation ».

En l’espèce, reproche était fait à la société C8 que, lors de l’émission « Touche pas à mon poste » du 30 janvier 2023 ont été tenus, de façon répétée, à l’encontre de l’apparence physique d’une jeune fille mineure, des propos « particulièrement violents, grossiers et dépréciatifs […] de nature à porter atteinte aux droits de la jeune fille au respect de son honneur et de sa réputation ».

« Au regard, d’une part, de la nature et de la gravité des manquements commis, tout particulièrement en ce qu’ils visent une personne mineure, de tels manquements étant constitutifs d’une méconnaissance des obligations » de la convention d’exploitation passée avec l’instance de régulation, « et, d’autre part, des précédentes sanctions […] prononcées, pour des violations antérieures de ces mêmes obligations », par l’instance de régulation, l’Arcom conclut qu’« il y a lieu de prononcer une sanction de 50 000 euros à l’encontre de la société C8 ».

Les faits reprochés sont considérés, par la décision de sanction, comme étant « de nature à porter atteinte aux droits de la jeune fille au respect de son honneur et de sa réputation ». Bien que l’Arcom ne s’y réfère pas explicitement, ils sont ainsi susceptibles d’être tenus pour constitutifs d’une « infraction pénale », d’« injure » (« expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ») ou de « diffamation » (« allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé »), envers un particulier, passibles, aux termes des articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881, « d’une amende de 12 000 euros ». Outre le risque d’une double sanction – administrative et pénale –, en elle-même contestable, d’un même fait, l’article 42-2 de la loi du 30 septembre 1986 posant que, « lorsque le manquement est constitutif d’une infraction pénale, le montant de la sanction pécuniaire ne peut excéder celui prévu pour l’amende pénale », cette disposition ne paraît pas, en l’espèce, avoir été respectée par l’instance de régulation qui, pour que les sanctions prononcées par elle soient davantage dissuasives, a seulement tenu compte – comme elle est invitée, par ailleurs, à le faire par la même loi – du « chiffre d’affaires » de la société concernée.

Sanction prononcée contre CNews

Se référant aux dispositions de l’article 3-1 de la loi n° 86-1067, du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication (audiovisuelle), et de la convention conclue, le 27 novembre 2019, entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et la Société d’exploitation d’un service d’information (SESI), exploitant de la chaîne de télévision CNews, déterminant notamment les obligations d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information de ladite société, l’Arcom, faisant usage du pouvoir de sanction qui lui est conféré par l’article 42-1 de ladite loi de 1986 révisée, et ayant relevé que ladite société a précédemment fait l’objet de mises en demeure pour manquements constatés à cet égard, prononce à son encontre par la décision n° 2024-43, du 17 janvier 2024, une « sanction pécuniaire d’un montant de 50 000 euros ». Reproche était fait, à CNews, d’avoir, dans différentes émissions de septembre 2022, exploité les données d’un « classement », dont la méthodologie n’avait pas été exposée et d’où apparaîtrait le « déclassement de la France au niveau de la sécurité », unanimement commenté, par les participants, comme le signe que « la France plonge en matière d’insécurité », et d’une « désagrégation généralisée ». L’instance de régulation considère : que « l’éditeur ne s’est pas conformé à son obligation de faire preuve d’honnêteté et de rigueur dans la présentation de l’information » ; qu’il « a ainsi méconnu les stipulations » de la convention qui le lie à l’instance de régulation ; et que, formulant « une opinion identique », il a manqué à « l’obligation d’expression des différents points de vue sur des questions prêtant à controverse ». Faisant état de mises en demeure préalablement adressées, à l’éditeur, à cet égard, l’instance de régulation conclut qu’il y a lieu de prononcer à son encontre « une sanction de 50 000 euros ».

Les services privés de télévision bénéficient, sur la base des dispositions légales et d’une convention passée par eux avec l’instance de régulation de la communication audiovisuelle, du privilège d’une autorisation d’exploitation. Il convient qu’il soit veillé au respect de leurs obligations, et que, en cas de manquements, des sanctions puissent être prononcées à leur encontre. Pour une pleine garantie du droit et des droits, les mesures ainsi ordonnées par l’Arcom, au nom d’une compétence spécialisée, sont cependant nécessairement susceptibles d’un recours devant le Conseil d’État et, éventuellement, jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.

Professeur à l’Université Paris 2