Après avoir misé sur Lagardère, LVMH va reprendre Paris Match

L’annonce surprise d’une cession de Paris Match à LVMH dessine pour le news picture un avenir différent de celui envisagé au sein de l’univers Vivendi, qui pourra dorénavant adosser un hebdomadaire d’information au JDD.

Si Vivendi a finalement pu s’emparer de Lagardère après avoir cédé Editis à Daniel Kretinsky et Gala au Groupe Figaro (voir La rem n°67, p.47), les observateurs s’attendaient à ce que le groupe contrôlé par Vincent Bolloré conserve les fleurons de Lagardère dans la presse, le JDD et Paris Match. Pour le quotidien du septième jour, qui accueille à bras ouverts les journalistes de CNews depuis que Geoffroy Lejeune a pris la tête de sa rédaction à l’été 2023, cela ne fait plus aucun doute. Pour Paris Match, une évolution du news picture vers les positions éditoriales défendues par Vincent Bolloré avait été suspectée dès 2021, avec le remplacement d’Hervé Gattegno à la tête du journal puis, en 2022, avec le départ du rédacteur en chef politique, Bruno Jeudy, entraînant une forte mobilisation de la rédaction.

Finalement, et malgré les craintes de la rédaction, ce n’est pas une intégration renforcée dans l’univers des médias de Vincent Bolloré qui sera réservée à Paris Match : lors de la présentation des résultats du groupe Lagardère, le 27 février 2024, les actionnaires découvraient l’existence de négociations exclusives avec LVMH pour lui céder le news pictureParis Match écrira donc son avenir avec un autre actionnaire de Lagardère : le groupe LVMH, contrôlé par Bernard Arnault. LVMH possède le groupe Les Échos-Le Parisien et renforce ainsi son ancrage dans la presse, avec un nouveau titre à l’influence certaine.

LVMH était entré dans la galaxie Lagardère, en mai 2020, en prenant 25 % du capital de la holding personnelle d’Arnaud Lagardère, une opération à l’époque perçue comme un moyen, pour celui-ci, de contrebalancer le poids de ses nouveaux actionnaires, Fimalac et Vivendi, venus à son secours face au fonds activiste Amber (voir La rem n°54bis-55, p.54). À l’époque, Lagardère était fortement pénalisé par l’effondrement de ses activités dans le travel retail, conséquemment à la crise sanitaire qui a entraîné un effondrement de la fréquentation des gares et des aéroports.

Avec Vivendi, Fimalac et LVMH au capital du groupe, avec la fin de la commandite d’Arnaud Lagardère en avril 2021 (voir La rem n°57-58, p.46), une bataille entre géants du capitalisme français pour le groupe de médias Lagardère était annoncée. Si Vivendi l’a finalement emporté, suite au retrait du fonds Amber à qui il a racheté ses parts dans Lagardère, et avec l’accord de Bernard Arnault (voir La rem n°59, p.46), était-ce parce que les actionnaires s’étaient entendus à l’avance sur un partage des actifs de Lagardère ? Rien n’est moins sûr. Si la cession de Paris Match était validée depuis le début, Vivendi ne se serait probablement pas résigné à céder Gala au Groupe Le Figaro pour pouvoir finaliser sa prise de contrôle de Lagardère. En effet, c’est parce que la Commission européenne a considéré à tort que Paris Match était un magazine people et non un news picture que Gala a dû être cédé, les deux titres se retrouvant sur le même marché du point de vue de la concurrence. Une autre raison peut expliquer le choix de Vivendi et d’Arnaud Lagardère : ils cèdent Paris Match parce que l’hebdomadaire n’entre pas ou entrera très difficilement dans la logique éditoriale qui est celle des médias d’information détenus par Vincent Bolloré, à savoir un positionnement résolument conservateur sur les enjeux de société.

Selon les journalistes du Figaro, la vente de Paris Match se serait réalisée moyennant 130 millions d’euros, un montant très important pour un hebdomadaire en perte de vitesse, diffusé quand même à 449 669 exemplaires par semaine en 2023 d’après l’APCM. Le titre bénéficiera à l’évidence du soutien financier de LVMH dans un secteur de la presse hebdomadaire d’information déprimé : sur le marché des news magazine, qui n’est pas tout à fait celui de Paris Match, tous les titres affichent un recul de leur diffusion en 2023. Quant à Vincent Bolloré, s’il se sépare d’un actif renommé, il ne renonce pas nécessairement au contrôle d’un hebdomadaire d’information.

En 2022, le JDD avait lancé le mensuel JDD Magazine, vendu avec l’hebdomadaire du dimanche et qui n’a pas convaincu jusqu’ici. Ce dernier pourrait à terme être transformé en hebdomadaire et recentré sur l’information politique et générale, abandonnant ainsi les pages culture et livres qui font sa spécificité. Toujours selon Le Figaro, Sébastien Le Fol, ancien directeur de la rédaction du Point, a été missionné par Vincent Bolloré pour proposer une nouvelle formule du JDD Magazine, mieux arrimée à l’univers éditorial des médias d’information du groupe Vivendi.

Sources :

  • « La SDJ de Paris Match vote une motion de défiance après le départ de Bruno Jeudy », lefigaro.fr, avec AFP, 21 août 2022.
  • Cohen Claudia, « Bernard Arnault en négociations exclusives avec Lagardère pour racheter Paris Match », Le Figaro, 28 février 2024.
  • Cohen Claudia, Letessier Ivan, « Bolloré songe à lancer un hebdo d’information », Le Figaro, 1er mars 2024.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)