Accord de transaction de 490 millions de dollars entre Apple et ses actionnaires

Les opinions exprimées par l’auteur sont personnelles et n’engagent pas la Cour de justice de l’Union européenne.

Cet accord intervient à la suite d’une procédure entamée il y a plus de quatre ans, faisant grief à M. Timothy « Tim » Cook d’avoir fait des déclarations erronées relatives au bon déroulement de l’activité commerciale d’Apple sur le marché chinois.

Le 15 mars 2024, une motion a été déposée par un groupe de plaignants1 menés par Norfolk County Council devant la division d’Oakland du Tribunal de District des États-Unis (district Nord de la Californie), en vue de faire valider un accord de transaction de 490 millions de dollars conclu entre Apple et ses actionnaires. Ledit accord en cause fait état d’une bataille judiciaire initiée le 16 avril 2019 par une plainte qu’a initialement déposée2 un fonds de cotisation de retraites, City of Roseville Employees’ Retirement System3, qui s’est transformée le 19 juin 2020, par accord du Tribunal, en un recours collectif contre Apple et qui est dirigée par Norfolk4. Cette plainte visait notamment à obtenir d’Apple une réparation du préjudice subi par tous ceux ayant acheté des actions d’Apple entre le 2 novembre 2018 et le 2 janvier 20195.

À cet égard, il ressort de la plainte que les ventes d’iPhone ont constitué environ les deux tiers des revenus d’Apple pour l’année fiscale 2018, allant du 30 septembre 2017 au 29 septembre 2018, et qu’elles ont rapporté sur le marché de la « grande région chinoise » (The Greater China Region, comprenant la Chine continentale, Hong Kong, Macao et Taiwan) près de 52 milliards de dollars, ce qui représente environ 20 % du revenu mondial de l’entreprise durant cette période6. Ce marché régional connaît un niveau de concurrence très élevé, notamment avec la présence de compétiteurs directs d’Apple, tels Huawei, Xiaomi ou Oppo (le dernier étant moins connu sur le marché occidental), qui proposent des produits similaires à des prix beaucoup plus abordables. Parallèlement, à cette époque, les États-Unis et la Chine se livraient une bataille féroce sur les taxes douanières, avec des conséquences significatives sur le commerce entre les deux puissances, et donc sur la vente des produits américains sur le marché chinois. De surcroît, la sortie de trois nouveaux modèles d’iPhone en 2018, qui, selon les plaignants, ne comportaient pas d’avancées technologiques significatives par rapport aux modèles antérieurs, n’a pas rencontré le succès espéré face aux innovations technologiques introduites par la concurrence, notamment Huawei qui a acquis une part de marché avec ses compétiteurs chinois allant jusqu’à 24 %7. Apple n’a donc pas pu, de manière volontaire ou non, maintenir sa position ou son attractivité sur le marché chinois durant cette période, au profit de ses concurrents.

Les plaignants avancent que cette situation résulte également d’un choix stratégique d’Apple consistant à dégrader de manière intentionnelle la durée de vie des batteries des iPhone par le biais de mises à jour de logiciel. Le fabricant a dû proposer aux utilisateurs de changer leur batterie à des tarifs attractifs, passant de 79 à 29 dollars pour tout détenteur d’un iPhone 6 ou d’un modèle ultérieur dont la batterie était dysfonctionnelle8. Apple a admis que, au moment même du lancement des nouveaux modèles d’iPhone, cette solution a nécessairement eu pour effet d’en réduire les ventes et donc de faire chuter ses parts de marché et ses profits sur le marché chinois.

Dès lors, il apparaissait de manière claire pour Apple et ses actionnaires que les choix opérés, le contexte géopolitique mondial ainsi que la croissance économique difficile, à ce moment-là, de la Chine constituaient des facteurs de risque pour la réussite de l’activité économique d’Apple sur le marché. Or, en novembre 2018, le PDG d’Apple, Tim Cook, et son directeur financier, Luca Maestri, ont au contraire affirmé avoir entamé la période de fin d’année avec la meilleure offre de produits et services jamais atteinte, prévoyant d’obtenir 89 à 93 milliards de dollars de profit marginal brut9. En outre, ils auraient affirmé, lors d’une conférence téléphonique avec les actionnaires le jour même, que les seuls marchés en tension étaient ceux où la devise était affaiblie, comme la Turquie, l’Inde, le Brésil ou encore la Russie, et que la Chine n’était pas concernée par cela. Apple a donc mis en avant une croissance de 16 % sur le marché de la grande région chinoise, croissance dont ils se disent satisfaits10.

Néanmoins, cette bonne nouvelle était assortie d’une déclaration selon laquelle Apple ne communiquerait plus à ses investisseurs et actionnaires les chiffres des ventes des produits, assurant que ces données n’étaient pas pertinentes pour l’évaluation de la performance de l’entreprise par les actionnaires et que cela n’aura pas d’impact sur leur croissance11.

Un recours collectif pour fraude en valeurs mobilières à la suite de déclarations erronées

La plainte déposée à la suite des déclarations contestées s’inscrit dans le cadre de la répression de la fraude en valeurs mobilières, tombant sous le champ d’application juridique des sections § 10(b) et 20(a) du Securities Exchange Act (SEC) américain de 1934, ainsi que de la règle SEC 10(b-5) qui y est prévue.

Selon ces règles, il est explicitement prohibé de faire une fausse déclaration sur un fait important ou d’omettre de déclarer un fait important qui pourrait avoir une influence sur l’équilibre du marché.

À cet égard, il est reproché à Apple d’avoir, par le biais de son PDG et de son directeur financier, intentionnellement communiqué, en novembre 2018, des informations erronées relatives aux chiffres des ventes, ce qui aurait artificiellement fait gonfler le prix des actions et induit les actionnaires à penser que les actions avaient une valeur supérieure à la réalité de la santé économique de l’entreprise. La plainte fait donc état de cinq griefs distincts, par lesquels il est reproché à Apple d’avoir ouvertement et délibérément omis de communiquer les faits que : premièrement, la bataille douanière entre les États-Unis et la Chine avait porté atteinte au taux de demandes d’iPhone sur le marché chinois et à la capacité d’Apple de réguler le prix de ses produits sur le marché ; deuxièmement, le remplacement des batteries des iPhone a négativement impacté les quantités de ventes du téléphone lui-même ; troisièmement, Apple aurait sciemment demandé de ralentir la production d’iPhone à ses fournisseurs et proposé de baisser le prix en vue de réduire l’excédent de stocks ; quatrièmement, les données des chiffres des ventes sont des outils pertinents pour les actionnaires et cette absence de communication reflétait une volonté de dissimuler la réalité de la performance de l’entreprise ; et cinquièmement, les actionnaires manquaient des informations primordiales en vue d’établir les prévisions et d’évaluer les performances12.

Il résulte de ces déclarations, selon les actionnaires, qu’Apple avait continué à vendre des actions à un prix artificiellement gonflé jusqu’en janvier 2019, lorsque l’état réel de son marché dans la grande région chinoise a été divulgué. Au même moment, Apple a admis que l’offre de remplacement des batteries intentionnellement réduites à l’obsolescence a eu un impact sévère sur la vente des iPhone sur le marché chinois, reflétant ainsi le premier manquement à atteindre les objectifs fixés par la firme. Cette perte est estimée à 9 milliards de dollars13.

L’accord de transaction privilégié par économie de procédure

Malgré les résistances d’Apple à admettre toute violation de la loi fédérale vis-à-vis de ses actionnaires14, l’entreprise a accepté de s’acquitter du montant de 490 millions de dollars, sans prendre en compte tous les frais complémentaires comme les dépens (frais de représentation) ou autres intérêts. Alors même que les plaignants étaient confiants dans leur capacité à apporter la preuve pour toutes les violations alléguées à l’encontre d’Apple, au vu de la complexité et de l’excessive durée des procès en matière de fraude aux États-Unis et donc par économie de procédure, cet accord de transaction, qui sera directement bénéfique aux actionnaires en cause, a été conclu pour la réparation du préjudice subi.

Certes, le choix de la transaction est une habitude courante dans le système juridique américain, notamment dans ce type d’affaires, il n’en reste pas moins que cela peut présenter le risque pour les plaignants de devoir se contenter d’un dédommagement bien moindre que ce qu’un juge ou un jury aurait octroyé. Or, ainsi qu’il ressort de l’accord, cela paraissait être la meilleure issue pour la résolution d’un litige déjà trop long, sachant que la charge de la preuve pour chacun des griefs incombe aux plaignants, tandis que la preuve apportée pour exonérer d’un seul de ces griefs le défendant suffit pour potentiellement faire tomber l’intégralité de l’action groupée15.

Dès lors, le montant de 490 millions de dollars représente une victoire pour les plaignants, constituant le dédommagement le plus élevé attribué dans cette juridiction, pour un préjudice évalué cependant à 1 milliard de dollars, résultat de l’achat d’actions artificiellement élevées en raison des déclarations erronées faites par Apple. Il reste que cet accord de transaction ne remet pas en cause la responsabilité d’Apple et empêche de qualifier juridiquement les violations de loi fédérale reprochées à l’entreprise. En effet, cet accord a uniquement pour objet de mettre un terme à une procédure déjà épuisée, sans qu’il constitue une reconnaissance de culpabilité ou sans qu’il établisse un précédent sur lequel d’éventuels autres plaignants pourraient fonder leurs recours.

Sources :

  1. Motion for settlement agreement in Case 4:19-cv-02033- YGR, Document 421, 35 p., accessible sur : documentcloud.org
  2. Complaint for violation of the Federal Securities Law, Case 3:19-cv-02033, Document 1, 23 p., accessible sur: classaction.org
  3. Motion for settlement agreement in Case 4:19-cv-02033- YGR, Document 421,  cit., page 4, lignes 2 à 4.
  4. , lignes 6 à 10.
  5. Complaint for violation of the Federal Securities Law, Case 3:19-cv-02033, Document 1,  cit., page 1, lignes 11-12.
  6. , page 2, lignes 3 à 7.
  7. , page 3, lignes 1 à 12.
  8. , page 3, lignes 17 à 23.
  9. , page 4, lignes 5 à 9.
  10. , lignes 10 à 17.
  11. , lignes 18 à 23.
  12. , page 5, lignes 1 à 15.
  13. , lignes 20 à 26.
  14. Perrotte Derek, « Apple va verser 490 millions de dollars à des actionnaires », lesechos.fr, 17 mars 2024.
  15. Motion for settlement agreement in Case 4:19-cv-02033- YGR, Document 421,  cit., page 12, lignes 23 à 26.
Assistant juriste à la Cour de justice de l’Union européenne