États généraux de l’information : et après ?

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Interview de Julia Cagé 
Propos recueillis par Françoise Laugée

Quelle est cette « urgence démocratique » ? Quels sont les principaux périls qui menacent le droit à l’information, c’est-à-dire le droit des journalistes à informer et le droit des citoyens à être informés ?

Ces périls sont nombreux ! Je vais essayer de vous résumer ceux que je perçois comme étant les plus importants, indépendamment des constats posés dans le rapport des États généraux de l’information (EGI) (même si les deux se recoupent – et c’est heureux ! – au moins en partie).

Tout d’abord, la principale menace qui plane aujourd’hui sur le droit à l’information est celle qui pèse sur l’indépendance des rédactions. Cette menace n’est pas nouvelle – et loin d’être propre à la France –, mais elle s’est considérablement renforcée au cours des dernières années, du fait de la concentration croissante du secteur entre les mains d’un petit nombre de groupes industriels qui tirent l’essentiel de leurs ressources d’autres secteurs d’activité (les télécoms, la construction, le transport, la logistique, etc.). Industriels qui, pour certains, ont mis les médias dont ils ont fait l’acquisition (ou qu’ils ont créés) au service d’une bataille politique et idéologique. L’exemple de Vincent Bolloré est, bien sûr, le plus frappant, que l’on pense à CNews, à Europe 1 ou encore au Journal du dimanche (JDD). Mais il y en a d’autres et il ne faut pas les oublier – car les dérives de Vincent Bolloré sont telles que l’on pourrait parfois finir par penser que le reste de l’actionnariat médiatique français ne porte jamais atteinte aux libertés.

Dans l’actualité récente, il y a eu, bien évidemment, la tentative de Pierre-Édouard Stérin de racheter Marianne. Rachat finalement abandonné, à la suite de la grève des salariés de l’hebdomadaire – les cas de victoire des journalistes étant suffisamment rares pour qu’il soit important de les souligner. Mais qui a permis de mettre au jour, d’une part, les liens entre Pierre-Édouard Stérin et le Rassemblement national dans le cadre du « projet Périclès »1 : « 150 millions d’euros sur les dix prochaines années pour promouvoir des valeurs clés de l’extrême droite », selon une enquête de L’Humanité ; difficile de croire que Marianne n’en aurait pas été une pièce maîtresse. Et, d’autre part, le refus de Pierre-Édouard Stérin de donner aux journalistes les garanties d’indépendance qu’ils demandaient ; on comprend mieux pourquoi. On pourrait mentionner également le limogeage du directeur de la rédaction des Échos (Nicolas Barré) en mars 2023, suscitant colère et incompréhension de la part de la rédaction.

LA PRINCIPALE MENACE QUI PLANE AUJOURD’HUI SUR LE DROIT À L’INFORMATION EST CELLE QUI PÈSE SUR L’INDÉPENDANCE DES RÉDACTIONS

Ou encore Rodolphe Saadé déclarant au printemps 2024 à propos de BFM-TV, dont il venait de faire l’acquisition, qu’il « ne réagirait pas bien et le ferait savoir »2 si l’un des médias de son groupe traitait d’un éventuel scandale concernant CMA CGM. Comme si Vincent Bolloré avait d’une manière ou d’une autre libéré les velléités – puisque l’actionnaire semble avoir toute latitude, pourquoi donc s’en priver !

Mais – ce qui est sans doute le plus inquiétant au cours des dernières années – c’est l’absence de réaction des femmes et des hommes politiques français face à ces coups portés à l’indépendance des médias. Il y a eu un frémissement de mobilisation en juillet 2023 à l’arrivée forcée de Geoffroy Lejeune au JDD contre l’avis de plus de 95 % de la rédaction ; pour une fois, certains se sont exprimés, et une proposition de loi transpartisane pour l’indépendance des rédactions a été déposée. Et puis, plus rien. Malheureusement de ce point de vue, les EGI ont servi pendant plusieurs mois d’horizon justifiant de ne rien faire. Et puis la question de l’« indépendance » n’est pas celle sur laquelle les EGI ont émis les propositions les plus ambitieuses…

SANS DOUTE LE PLUS INQUIÉTANT […] EST L’ABSENCE DE RÉACTION DES FEMMES ET DES HOMMES POLITIQUES FRANÇAIS CES COUPS PORTÉS À L’INDÉPENDANCE DES MÉDIAS

Le deuxième péril qui menace aujourd’hui le droit à l’information est d’ordre économique, avec un affaiblissement du modèle économique des médias, notamment du fait de l’effondrement de la publicité. La publicité numérique est captée depuis des années par les géants du numérique, et les réformes récentes – notamment concernant les droits voisins – n’ont pas permis aux médias d’inverser cette situation. Le fait que les médias ne reposent pas – ou reposent moins – sur la publicité n’est pas une mauvaise chose en soi et peut être vu comme une sorte de garantie d’indépendance par rapport aux grandes entreprises et aux annonceurs. Mais à condition d’avoir su lui substituer d’autres sources de recettes. Un média comme le New York Times a, au cours des dernières années, réussi cette petite révolution : la croissance de ses revenus provient aujourd’hui quasiment entièrement des abonnements, et les revenus publicitaires – qui, historiquement, ont pu dépasser 90 % des recettes de la presse états-unienne – sont depuis longtemps passés sous la barre des 50 %.

On pourrait également citer dans une certaine mesure Le Monde en France ; même si le basculement a été moins extrême, la presse française n’ayant jamais été aussi dépendante de la publicité que les titres outre-Atlantique. Mais cette transition s’est faite au prix d’une concentration croissante du secteur, de nombreux titres ayant dû mettre la clef sous la porte ; c’est notamment le cas aux États-Unis de la presse locale, on y parle d’ailleurs de « désert médiatique ». En France aussi, il est particulièrement difficile pour un média d’information locale de trouver un modèle économique soutenable, car l’investigation coûte cher mais le « marché » potentiel est, par définition, plus restreint que pour la presse nationale. Prenons l’exemple du média indépendant Mediacités dont tout le monde s’accordera à dire que ses contenus sont d’excellente qualité, et qu’ils sont nécessaires – les enquêtes menées en amont des élections locales permettent, par exemple, aux citoyens d’exprimer leurs préférences politiques de façon éclairée. Pour autant, il reste difficile pour ce média indépendant de trouver son modèle économique – l’enquête a un coût de production que les seuls abonnements ne suffisent pas aujourd’hui à financer.

NOMBREUX SONT LES TITRES QUI SOUFFRENT D’AILLEURS ENCORE AUJOURD’HUI D’AVOIR COMMIS PAR LE PASSÉ L’ERREUR DU TOUT GRATUIT SUR INTERNET

Le péril économique vient aussi du fait que les citoyens sont désormais – et dans la plupart des pays développés – peu nombreux à être prêts à payer pour l’information qu’ils consomment, comme nous le rappelle chaque année l’enquête publiée par le Reuters Institute dans le cadre de son Digital News Report (voir La rem n°67, p.51). Cela est dû au fait que de plus en plus de contenus sont disponibles gratuitement en ligne ; nombreux sont les titres qui souffrent d’ailleurs encore aujourd’hui d’avoir commis par le passé l’erreur du tout-gratuit sur internet. Bien sûr, tous ces contenus ne se valent pas, mais le processus qui consiste à convaincre les citoyens qu’il faut payer pour obtenir – et, de fait, pour produire – des contenus à haute valeur ajoutée est long et complexe. Or, en l’absence de recettes publicitaires, et si les citoyens ne sont pas prêts à payer pour l’information qu’ils consomment, comment faire pour financer des rédactions suffisamment nombreuses ?

Ce péril économique en fait peser un troisième sur le droit à l’information : celui du manque de pluralisme dans un marché qui est, en réalité, de plus en plus concentré. Certains prétendent parfois que le paysage médiatique n’a jamais été aussi pluriel. C’est une grave erreur, car ils se concentrent sur le nombre de médias existants. Or, quand on parle de pluralisme, le bon indicateur n’est pas le nombre d’acteurs, mais les parts de marché de chacun de ces acteurs, et de ce point de vue, la configuration actuelle est beaucoup moins satisfaisante.

QUAND ON PARLE DE PLURALISME, LE BON INDICATEUR N’EST PAS LE NOMBRE D’ACTEURS, MAIS LES PARTS DE MARCHÉ DE CHACUN DE CES ACTEURS

Enfin, et cela peut paraître paradoxal, notre droit à l’information est fondamentalement menacé aujourd’hui par la façon dont nous consommons (ou ne consommons pas) l’information. Certes – comme nous venons de le voir –, les difficultés liées à la production de l’information sont nombreuses. Mais imaginons un instant qu’une information de qualité et indépendante soit produite chaque jour, et rêvons même qu’elle soit disponible entièrement gratuitement. Nous serions pour autant confrontés à un autre problème : les citoyens choisiraient-ils de consommer cette information ? Loin d’être évidente, cette question a été soulevée par la recherche en sciences sociales – au moins depuis la publication du livre de Markus Prior, Post-Broadcast Democracy. Dans un monde où le choix est devenu abondant, les citoyens ont la possibilité de ne jamais être confrontés à la moindre information.

DANS UN MONDE OÙ LE CHOIX EST DEVENU ABONDANT, LES CITOYENS ONT LA POSSIBILITÉ DE NE JAMAIS ÊTRE CONFRONTÉS À LA MOINDRE INFORMATION

Difficulté renforcée à l’heure d’internet. Ce à quoi il faut ajouter – quand on parle de consommation d’information – toutes les difficultés liées à l’existence de bulles de filtres (qui nous ramènent également à la question du pluralisme). Cela reflète en partie un manque d’éducation aux médias, mais nous dit surtout à quel point les menaces qui pèsent aujourd’hui sur notre démocratie à propos de l’information sont nombreuses. Sans même mentionner les fake news, les ingérences étrangères dans le cadre de campagnes de désinformation, etc.

Afin de protéger ce droit à l’information, quelle proposition figurant dans les conclusions des EGI serait, selon vous, la plus urgente à prendre ?

Les propositions des EGI sont au nombre de 15. Je tiens à préciser, avant d’en isoler une, qu’elles ne relèvent pas toutes de mon domaine de compétence. Cela étant dit, toute la réflexion sur la question algorithmique – notamment la proposition 11 consistant à « instaurer un pluralisme effectif des algorithmes » – est incroyablement intéressante. Est-ce le plus urgent pour autant ? Sans doute, ce point précis relèverait-il davantage d’une régulation à mettre en œuvre au niveau de l’Union européenne.

Dans tous les cas, de nombreuses propositions de ce rapport revêtent un caractère d’urgence. La première proposition, « faire de l’éducation à l’esprit critique et aux médias à l’école une priorité », tient ainsi du bon sens, mais cela prendra malheureusement du temps avant qu’elle ne porte ses fruits. 

LE PLUS URGENT SERAIT […] D’UNE PART, D’AMÉLIORER LA GOUVERNANCE DES MÉDIAS D’INFORMATION […] ET, D’AUTRE PART, D’ASSURER LE PLURALISME DES MÉDIAS

Par conséquent, il est d’autant plus nécessaire de s’y atteler au plus vite. Le rapport mentionne rapidement le cas de la Finlande ; mais, dans ce pays, cela fait plusieurs années qu’une véritable éducation aux médias est à l’œuvre et, ce qui est fascinant, c’est qu’elle se pratique au sein même des programmes scolaires ; il s’agit donc bien plus que de quelques cours d’éducation aux médias et à l’information. Si on pouvait penser une politique aussi ambitieuse en France, cela pourrait changer la donne en ce qui concerne les comportements de consommation de l’information. Mais encore faudra-t-il alors que l’information proposée aux citoyens soit suffisamment indépendante et de qualité.

Et donc – pour répondre à votre question ! –, le plus urgent (et ce qui pourrait être mis en place immédiatement avec des effets qui le soient également) serait, d’une part, d’améliorer la gouvernance des médias d’information – et en particulier de la rendre bien plus démocratique qu’elle ne l’est aujourd’hui – et, d’autre part, d’assurer le pluralisme des médias. Si ces deux propositions apparaissent dans le rapport, la forme qu’elles prennent en détail me semble insuffisante.

Que pensez-vous des préconisations concernant la « gouvernance des médias d’information » ?

Il y a des éléments intéressants dans ces préconisations, pourtant elles ne vont pas assez loin. C’est un peu comme la loi Bloche, dans la continuité de laquelle s’inscrit la proposition 4, « Améliorer la gouvernance des médias d’information ». L’objectif de départ était louable – à la suite de la reprise en main d’i-Télé par Vincent Bolloré en 2016, devenue CNews l’année suivante – mais, s’il en était vraiment besoin, la suite a démontré que ce n’était pas avec la mise en place de comités « relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes » que l’on garantit l’indépendance des médias.

CERTAINS « OUBLIS » SONT TELLEMENT CRIANTS QUE LE RAPPORT LUI-MÊME SE RETROUVE À DEVOIR JUSTIFIER L’ABSENCE DE MESURES « PLUS CONTRAIGNANTES POUR L’ACTIONNAIRE »

Concrètement, que nous dit le rapport concernant la gouvernance ? Qu’il faut, d’une part, généraliser la rédaction de chartes déontologiques et, d’autre part, généraliser la mise en place de comités d’éthique… à l’ensemble des médias d’information ; ce qui pourrait être une bonne idée si ces comités avaient fait leurs preuves là où ils existent déjà, c’est- à-dire au sein des médias audiovisuels. Ce qui est de toute évidence loin d’être le cas ; il suffit de regarder CNews ou Europe 1. Bien sûr, certaines précisions vont dans la bonne direction ; jusqu’à présent, les comités d’éthique étaient nommés par la direction ; le rapport propose une nomination à parité par la direction et par la rédaction.

Mais ce qui est surtout frappant dans cette proposition 4, c’est tout ce que l’on n’y trouve pas. Certains « oublis » sont tellement criants que le rapport lui-même se retrouve à devoir justifier l’absence de mesures « plus contraignantes pour l’actionnaire », lesquelles ont pourtant été retenues par les groupes de travail. Ainsi, alors qu’il semble évident que, pour renforcer l’indépendance des rédactions, il est urgent de leur donner un droit de veto sur le choix du directeur ou de la directrice de la rédaction – mesure par ailleurs déjà en place dans des médias comme Le Monde ou Les Échos –, le rapport se contente de préconiser que l’actionnaire informe « la rédaction sur son intention de désigner un nouveau directeur de la rédaction, dans des délais permettant aux organisations représentatives de faire valoir leur point de vue ». Sachant que la nomination pourra avoir lieu indépendamment du point de vue exprimé par ces organisations ; autrement dit, que cette désignation demeure entre les mains de l’actionnaire.

Enfin, ne pas avoir retenu l’introduction d’un droit d’agrément pour les rédactions en cas de changement d’actionnaire majoritaire est une importante occasion manquée. La mise en place d’un mécanisme d’agrément – que nous défendons depuis plusieurs années avec l’association Un Bout des Médias (UBDM) – faisait pourtant partie des propositions discutées par plusieurs groupes de travail.

NE PAS AVOIR RETENU L’INTRODUCTION D’UN DROIT D’AGRÉMENT POUR LES RÉDACTIONS EN CAS DE CHANGEMENT D’ACTIONNAIRE MAJORITAIRE IMPORTANTE OCCASION MANQUÉE

Dans un contexte où, de fait, l’acquisition d’un média d’information, équivalant à plusieurs centaines de millions d’euros, n’apparaît possible (en l’état) qu’à un petit nombre d’acteurs, seul un droit d’agrément donné aux rédactions changerait véritablement le rapport de force entre rédactions et actionnaires, et éviterait la reprise en main de certains médias à des fins purement politiques.

Reste enfin la question essentielle de savoir dans quelle mesure une meilleure gouvernance – même si l’on s’en tient à celle décrite dans le rapport – s’imposerait aux médias, ou si elle relèverait de la seule bonne volonté des actionnaires. Le rapport indique que l’absence de chartes déontologiques et de comités d’éthique donnerait lieu à des « sanctions effectives d’un montant dissuasif ». Rien ne semble prévu concernant l’application des autres mesures – y compris sur le fait que l’actionnaire doive informer la rédaction en cas de désignation d’un nouveau directeur. Faut-il en conclure qu’il a été décidé de ne pas les rendre obligatoires ?

IL A FALLU ATTENDRE 2021 ET LE RAPPORT FRANCESCHINI POUR QU’UN MÉDIA SOIT TENU DE DÉMONTRER LE RECOURS AU TRAVAIL DE JOURNALISTES PROFESSIONNELS POUR BÉNÉFICIER DU RÉGIME ÉCONOMIQUE DE LA PRESSE

Bien sûr, la liberté d’entreprendre fait que chacun est libre de choisir le statut de l’entreprise qu’il crée, et son mode de gouvernance. Mais, faut-il le rappeler ?, les médias d’information ne sont pas des entreprises comme les autres, car ils produisent un bien public : l’information. Et c’est d’ailleurs pour cette raison, en ce qui concerne la presse écrite (papier et en ligne), que les médias bénéficient aujourd’hui d’un soutien public, avec des aides comme une TVA à taux réduit (2,1 %) en faveur de la presse numérique ou imprimée et, pour cette dernière, des tarifs postaux préférentiels. Pour en bénéficier, il suffit pour les médias d’obtenir un numéro de CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse) ; aujourd’hui, son obtention est extrêmement simple et se fait notamment sans aucune contrepartie en termes d’indépendance. Il a fallu attendre 2021 et le rapport Franceschini pour qu’un média soit tenu de démontrer le recours au travail de journalistes professionnels pour bénéficier du régime économique de la presse.

Or, il est urgent aujourd’hui de conditionner ces aides – tout comme l’attribution des fréquences audiovisuelles – à une gouvernance des médias véritablement démocratique et garantissant en premier lieu l’indépendance des journalistes. C’est d’ailleurs le sens des propositions élaborées avec Benoît Huet dans notre livre L’information est un bien public3, dans lequel nous proposons une « loi de démocratisation de l’information » selon les points-clés suivants :

  1. Les entreprises éditrices de presse et de médias audiovisuels privés disposant de plus de dix salariés doivent compter, au sein de leur organe de gouvernance – conseil d’administration ou de surveillance régi par les dispositions applicables aux sociétés anonymes –, au moins la moitié de représentants des salariés, parmi lesquels au moins deux tiers de journalistes.
  2. Le directeur ou la directrice de la rédaction de l’entreprise éditrice de presse ou du média audiovisuel privé doit être nommé(e) par l’organe de gouvernance Pour être validée, cette nomination devra être agréée, à la majorité de 60 % des votants et avec un taux de participation d’au moins 50 %, par l’ensemble des journalistes de l’entreprise éditrice de presse ou du média audiovisuel privé réunis en assemblée générale. En cas de non-agrément, le ou la candidate n’ayant pas obtenu un nombre suffisant de suffrages ne pourra pas être nommé(e) à nouveau par l’organe de gouvernance paritaire.
  3. Dans le cas de sociétés par actions, les actions doivent être nominatives. Toute cession de titres d’une entreprise éditrice de presse ou d’un média audiovisuel privé, et plus généralement tout transfert de titres sous quelque forme que ce soit (notamment sous forme d’apport, de fusion, de scission, d’échange, de donation, etc.), entraînant un changement de contrôle au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce, est soumis à l’agrément de l’organe de gouvernance paritaire de l’entreprise éditrice de presse ou du média audiovisuel privé. Les opérations de cession, de location-gérance ou de crédit-bail portant sur le fonds de commerce de l’entreprise éditrice de presse ou du média audiovisuel privé sont soumises à agrément dans les mêmes conditions.

    En cas de refus d’agrément, l’entreprise éditrice de presse ou le média audiovisuel privé doit, dans un délai de douze mois à compter de la notification de la décision de refus d’agrément, soit faire racheter les titres dont la cession était envisagée par le cédant, soit procéder elle-même à ce rachat. Le prix de cession de ces titres sera déterminé par accord entre les actionnaires intéressés ou, à défaut d’accord, suivant l’évaluation arrêtée par trois experts indépendants désignés d’un commun accord entre eux (les frais d’expertise étant à la charge de la société). Si, à l’expiration dudit délai de douze mois, le rachat n’est pas réalisé, l’agrément est considéré comme donné.

  4. Toute cession, et plus généralement tout transfert de titres sous quelque forme que ce soit (notamment sous forme d’apport, de fusion, de scission, d’échange, de donation, etc.) aboutissant à un changement de contrôle, affectant la personne morale détenant, directement ou indirectement, le contrôle de l’entreprise éditrice de presse ou du média audiovisuel, doit également faire l’objet d’une notification à l’organe de gouvernance paritaire. L’organe de gouvernance paritaire devra faire connaître, dans un délai d’un mois, sa décision d’agréer ou de ne pas agréer l’opération. En cas de refus d’agrément, l’organe de gouvernance paritaire disposera d’un délai de douze mois pour présenter une offre de rachat, qui portera sur la totalité des titres de l’entreprise éditrice de presse ou du média audiovisuel.
  5. L’entreprise éditrice de presse ou le média audiovisuel doit porter, de façon visible et facilement accessible, à la connaissance de l’ensemble des citoyens toutes les informations relatives à l’identité des membres de ses organes dirigeants et à la composition de son capital. Elle doit mentionner l’identité et la part de capital de toute personne physique ou morale détenant une fraction supérieure ou égale à 5 % de celui-ci et, en cas de détention par une personne morale, elle mentionne également le nom de son bénéficiaire effectif.

L’ENTREPRISE ÉDITRICE DE PRESSE OU LE MÉDIA AUDIOVISUEL DOIT AFFECTER UNE FRACTION AU MOINS ÉGALE À 70 % DES BÉNÉFICES DE L’EXERCICE À LA CONSTITUTION D’UNE RÉSERVE STATUTAIRE OBLIGATOIRE CONSACRÉE AU MAINTIEN OU AU DÉVELOPPEMENT DE L’ACTIVITÉ DE L’ENTREPRISE

Pour chaque personne physique actionnaire et chaque bénéficiaire effectif d’une personne morale actionnaire, elle précise l’ensemble des sociétés dont ces personnes détiennent plus de 25 % du capital ainsi que l’ensemble des sociétés et des organismes à but non lucratif dans lesquels elles détiennent des mandats sociaux, et le secteur d’activité de l’ensemble de ces sociétés et organismes à but non lucratif. Ces obligations s’appliquent également aux entreprises éditrices de publications de presse imprimée qui doivent publier ces informations, une fois par trimestre, dans l’un de leurs numéros imprimés.

  1. L’entreprise éditrice de presse ou le média audiovisuel privé doit consacrer a minima 35 % de son chiffre d’affaires aux charges de personnel, les effectifs devant être au moins à moitié composés de journalistes professionnels. Il ne peut en aucun cas rémunérer les journalistes en droits d’auteur.
  2. L’entreprise éditrice de presse ou le média audiovisuel doit affecter une fraction au moins égale à 70 % des bénéfices de l’exercice à la constitution d’une réserve statutaire obligatoire consacrée au maintien ou au développement de l’activité de l’entreprise. Cette réserve ne peut faire l’objet d’aucun versement sous la forme de la forme de dividendes.

On voit qu’avec les conclusions des EGI nous sommes bien éloignés de telles ambitions.

S’agissant du pluralisme des médias, le rapport de pilotage des EGI propose d’établir un seuil de concentration unique et plurimédia. Ce seuil serait fixé notamment par la mesure du « pouvoir d’influence » des médias d’information. Qu’en dites-vous ?

Sortir de la logique des parts de marché et utiliser le critère du pouvoir d’influence est une excellente idée – j’y adhère d’ailleurs depuis longtemps4.

SORTIR DE LA LOGIQUE DES PARTS DE MARCHÉ ET UTILISER LE CRITÈRE DU POUVOIR D’INFLUENCE EST UNE EXCELLENTE IDÉE

C’est l’économiste Andrea Prat5 qui, le premier, a proposé une approche s’appuyant sur le « temps d’attention ». Son intuition étant la suivante : si – pour prendre un exemple caricatural – les téléspectateurs de TF1 tendent en moyenne à ne regarder que TF1, alors que le s téléspectateurs d’Arte écoutent aussi France Inter, lisent Mediapart et regardent des vidéos sur Instagram, alors le poids réel de TF1 est bien supérieur à celui d’Arte pour une part de marché donnée, TF 1 capturant toute l’attention médiatique de ses téléspectateurs.

Cette approche6 a été utilisée par l’autorité de la concurrence au Royaume-Uni (Competition & Market Authority) dans le cadre du rachat de Sky News par 21st Century Fox – opération qui n’a finalement pas eu lieu de ce fait. La méthode a également été reprise en partie par la Commission européenne lors de l’acquisition par Vivendi du Groupe Lagardère.

Ce qu’il faut applaudir dans le rapport des EGI est de prendre enfin en compte ce pouvoir d’influence. Néanmoins, la principale limite vient du fait qu’à la page 264 du rapport – qui reprend la première proposition du comité de pilotage – il s’agit de « simplifier le dispositif de contrôle des concentrations en retenant un seuil maximal de détention pluri-médias, dont le niveau serait fixé par le législateur », tandis que, dans la synthèse des quinze propositions, la 9e, « Assurer le pluralisme des médias dans le cadre des opérations de concentration », ne mentionne plus le législateur. Ce qui change totalement la portée de la proposition initiale. Si ce n’est pas le législateur qui fixe ce seuil, comment celui-ci sera-t-il déterminé ? Ce glissement sémantique laisse place au doute.

Le comité de pilotage recommande expressément aux professionnels de l’information de « s’engager dans une démarche volontaire et plurielle de labellisation ». Cette labellisation présente-t-elle un risque nouveau ou est-elle la simple confirmation de la nécessité d’appliquer les classifications existantes à tous les médias d’information ?

IL FAUT SOULIGNER LE GRAND ABSENT DE CE RAPPORT, POURTANT LONG DE 352 PAGES : L’AUDIOVISUEL PUBLIC

Cette proposition fait partie de celles – il y en a ! – qui sont avant tout cosmétiques. L’enjeu, aujourd’hui, n’est pas celui d’une labellisation laissée au bon vouloir des médias d’information. L’urgence est de faire en sorte que le législateur impose aux actionnaires des mesures garantissant une véritable indépendance des rédactions ainsi que le pluralisme.

Enfin, il faut souligner le grand absent de ce rapport, pourtant long de 352 pages : l’audiovisuel public, alors même que l’on s’interroge aujourd’hui sur les modalités de son financement et que la suppression par Emmanuel Macron de la redevance au lendemain de sa réélection en 2022 est venue fragiliser son indépendance, alors même que – Rachida Dati ayant été maintenue en poste au ministère de la culture – revient sur le devant de la scène le spectre d’une fusion de la télévision et de la radio publiques.

L’audiovisuel public est une composante essentielle du pluralisme des médias. Il est par conséquent surprenant qu’il n’ait pas été pris en compte dans le périmètre de réflexion des États généraux de l’information.

Sources :

  • Lemahieu Thomas, « Périclès, le projet secret de Pierre-Édouard Stérin pour installer le RN au pouvoir », L’Humanité, 18 juillet 2024.
  • Dassonville Aude, « Rodolphe Saadé assure à la rédaction de BFM-TV qu’il ne sera pas « interventionniste » », Le Monde, 20 mars 2024.
  • Cagé Julia, Huet Benoît, L’Information est un bien Refonder la propriété des médias, Le Seuil, 2021.
  • Cagé Julia, Pour une télé Contre Bolloré, Le Seuil, 2022.
  • Prat Andrea, « Media Power », Journal of Political Economy, 126, n° 4, 2018.
  • Angelucci Charles, Cagé Julia, Durante Ruben, et al., « Rethinking media pluralism in France », VoxEu Blog/Review, January 4, 2023.
Professeur d’économie à Sciences Po Paris, coautrice avec Benoît Huet de L’information est un public. Refonder la propriété des médias (Le Seuil, 2021).

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