Abréviation de Civic Technology la Civic Tech décrit l’utilisation du numérique pour améliorer l’implication du citoyen dans la démocratie. La Civic Tech est une nébuleuse regroupant différents acteurs, publics ou privés, qui évoluent autour de trois domaines d’action : la mobilisation des citoyens, la modernisation des institutions (grâce à une plus grande participation des citoyens dans les processus de décision), et une plus grande transparence de la vie publique.
L’éclosion de la Civic Tech survient en période de crise démocratique, illustrée par une plus grande défiance des citoyens à l’égard des acteurs politiques, des partis traditionnels ainsi qu’à l’égard des institutions. Les acteurs de la Civic Tech veulent bouleverser un système représentatif vieux de plus de deux siècles comme l’avait fait précédemment le numérique pour des entreprises issues du XIXesiècle, en se basant sur un modèle collaboratif.
Encourager la mobilisation « citoyenne »
En février 2016, le baromètre de confiance du CEVIPOF indiquait que neuf Français sur dix exprimaient leur défiance vis-à-vis des partis politiques. Les partis politiques aujourd’hui n’incarnent plus les attentes des citoyens : ils sont considérés comme des écuries privilégiant la réélection de l’un des leurs. S’ajoute à cela le difficile renouvellement de la classe politique, aussi les citoyens ont-ils l’impression qu’une minorité s’accapare le pouvoir à des fins privées.
Pour enrayer cette logique de réélection en vase clos, de nombreux collectifs organisent des primaires ouvertes afin de permettre à des candidats issus de la société civile de concourir à une élection, en dehors de l’appui d’un parti politique traditionnel : des candidatures qui seraient censées mieux les représenter.
Tel est le cas de La Primaire.org, une association constituée de bénévoles qui veut présenter un candidat alternatif à l’élection présidentielle. À ce jour, plus de 60 000 personnes se sont inscrites sur cette application mobile et 215 se sont portées candidates. À l’issue d’une première sélection (500 soutiens de citoyens), 16 candidats ont été retenus. Dès janvier 2016, seul l’un d’entre eux pourra concourir à l’élection présidentielle et commencer la course aux 500 parrainages d’élus. Il pourra bénéficier de la création d’un nouveau parti politique et sa campagne électorale sera financée par une opération de financement participatif.
Intégralement financée par des dons, La Primaire.org a obtenu près de 60 000 euros depuis sa création (de la part de 1 282 donateurs). Pour trancher avec l’opacité des partis traditionnels, elle publie sur son site internet l’ensemble des dépenses effectuées (locations de salles, déplacements, budget communication, etc.). Pour le moment, un peu plus de 43 000 euros ont été nécessaires pour l’organisation de cette primaire.
Autre cas de figure, celui du collectif Ma Voix.org qui souhaite présenter des candidats issus de la société civile aux élections législatives afin de « hacker » l’Assemblée nationale, selon sa propre expression. Ni parti politique ni association, il s’agit d’un mouvement « sans hiérarchie », dont la volonté affichée est de contourner les partis traditionnels pour mieux représenter les citoyens. À ce jour la communauté Ma voix est suivie par plus de 16 000 personnes sur Facebook. Le mouvement a récemment présenté un candidat à l’élection législative partielle de Strasbourg. Désigné par tirage au sort parmi 16 postulants, son candidat Daniel Gerber a obtenu 4,25 % des suffrages exprimés. C’est un peu plus que le PCF (3,83 %).
Réenchanter l’engagement citoyen, c’est également lui permettre de se mobiliser en dehors des élections pour qu’il puisse faire entendre son point de vue. En effet, l’une des principales critiques formulées par les acteurs de la Civic Tech concernant la Ve République, c’est que les citoyens n’ont pas les moyens d’agir sur les décisions de leurs représentants durant la durée de leur mandat. Ils ont donc l’impression de signer un chèque en blanc une fois tous les cinq ans.
Nous en avons eu récemment l’illustration avec la pétition « Loi travail : non, merci ! » lancée par Caroline de Haas sur la plate-forme Change.org. Un mouvement de contestation émergeant sur internet qui a trouvé sa continuité dans le réel. Au départ, signé par plus de 1,3 million de personnes en ligne, la pétition a pris de l’ampleur avec l’organisation de onze manifestations à l’échelle nationale. La ministre du travail Myriam El Khomri a également répondu en personne aux pétitionnaires sur la plate-forme.
Change.org a été le réceptacle de cette contestation, qui a pu s’organiser et devenir visible. Aujourd’hui, l’entreprise revendique 150 millions d’utilisateurs dans 196 pays. En France, la plate-forme compte 8 millions d’inscrits et héberge chaque mois plus de 1 000 campagnes. Au total, Change.org a bénéficié de 50 millions de dollars (44,5 millions d’euros) d’investissement pour son développement. Preuve en est que l’expression de l’opinion publique devient un investissement d’avenir.
Moderniser les institutions
Une autre volonté des Civic Tech est de moderniser les institutions de la Ve République via le numérique, grâce à des outils collaboratifs. La plate-forme participative Parlement et Citoyens permet d’inclure les citoyens dans les processus de décisions législatives. Les parlementaires y déposent des propositions de loi que les citoyens peuvent amender avant leur passage au Parlement.
Parmi elles, la proposition de loi du sénateur écologiste Joël Labbé portant sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a permis, en un mois, à plus de 9 000 participants d’écrire 2 049 contributions afin d’améliorer la proposition de loi avant son passage au Sénat.
Mais c’est la loi pour une République numérique d’Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique, qui reste la meilleure illustration de cet engouement : la coécriture du projet de loi a réuni plus de 21 000 citoyens qui ont déposé 8 500 contributions. Résultats : 5 nouveaux articles sont venus nourrir le projet de loi et 90 autres ont été modifiés grâce aux contributions.
Peu à peu, les pouvoirs publics s’approprient les outils numériques pour renforcer leurs liens avec les administrés et sans doute affermir leur légitimité. La municipalité de la ville de Paris a par exemple lancé sur son site internet son budget participatif. Une autre manière de permettre aux citoyens d’être partie prenante des décisions et de rendre transparentes les dépenses publiques. Ainsi, les Parisiens peuvent décider, sur proposition, dans quels projets ils souhaitent investir 5 % du budget de la ville (soit près d’un demi-milliard d’euros disponible entre 2014 et 2020). Des projets décidés par les Parisiens tels que la végétalisation des toits et des terrasses de la ville ou encore la création de 40 nouvelles fontaines à eau (dont 10 d’eau pétillante) sont en voie d’être réalisés.
Depuis le 1er mars 2016, la ville de Grenoble a créé sur son site une rubrique intitulée « interpellation et votation citoyenne ». Les Grenoblois sont invités à y déposer une pétition qui sera débattue au Conseil municipal ou proposée au vote des citoyens. À ce jour, quatre pétitions ont été déposées sur le site de la mairie.
À l’étranger, de nombreux exemples illustrent la manière dont élus et citoyens peuvent collaborer grâce au numérique. En Finlande, depuis mars 2012, la Constitution autorise tous les citoyens à déposer une proposition de loi au Parlement. C’est ainsi qu’à l’initiative de l’entrepreneur Joonas Pekkanan est née la plate-forme Open Ministry pour accompagner les citoyens dans le dépôt d’une proposition de loi. Après un travail de coécriture effectué par les citoyens, la plate-forme invite des avocats bénévoles à traduire en langage juridique les suggestions exprimées. Open Ministry aide également à collecter les 50 000 signatures nécessaires pour les soumettre au Parlement. C’est ainsi que la loi autorisant le mariage homosexuel a été adoptée en décembre 2014 après le soutien de 110 000 Finlandais.
Assurer la transparence de la vie publique
On retrouve de nombreux collectifs citoyens qui, en tant que bénévoles, scrutent les informations publiques pour garantir l’intégrité des élus politiques. C’est le cas de NosDéputés.fr, site réalisé par l’association Regards Citoyens, qui effectue un suivi du travail des parlementaires (présence dans l’hémicycle en commission, nombre de lois proposées ou de questions orales posées, etc.). Une manière de lutter contre l’absentéisme des parlementaires.
Une autre plate-forme, Voxe.org, entend contribuer à cette transparence en proposant un comparateur de programmes politiques. Sur leur site internet, les internautes peuvent ainsi comparer les propositions économiques d’Hillary Clinton et de Donald Trump pour l’élection présidentielle américaine de 2016. À ce jour, la start-up a permis d’analyser en détail les programmes politiques des candidats de 23 élections dans 16 pays. Elle a récemment remporté le prix Google Impact Challenge qui lui a attribué 200 000 euros pour son développement. En mai, la start-up comptait déjà plus de 3,7 millions d’utilisateurs.
Les enjeux et les limites de la Civic Tech
Si dans leur ensemble ces collectifs citoyens souhaitent changer la politique et éviter notamment sa professionnalisation, comment s’assurer que de leur structure bénévole ne découle pas une organisation hiérarchisée soumise aux logiques électorales et au carriérisme de leurs membres ?
En Espagne, le parti Podemos réussit – après l’obtention de cinq sièges de parlementaires lors des élections européennes de 2014 – à devenir la quatrième force électorale du pays (avec 8 % des voix).
Après deux ans d’existence, les deux auteurs du livre Le Coup d’état citoyen, Elisa Lewis et Romain Slitine, membres du collectif Démocratie Ouverte, constatent que leur leader, Pablo Iglesias est devenu « un véritable chef charismatique, fortement médiatisé, avec une équipe autour de lui qui tient les rênes du parti ». Ils ajoutent que la « nécessité de gagner les batailles électorales et la recherche d’efficacité entraînent une professionnalisation progressive » et mettent en garde qu’à l’avenir « militants et dirigeants devront être vigilants à ne pas créer une nouvelle « élite » politique qui, de fait, deviendrait à son tour déconnectée des électeurs et des citoyens ».
D’autre part, comment un collectif citoyen qui trouve sa légitimité dans les clics d’anonymes peut-il prétendre représenter l’ensemble des Français ? Lors de la pétition contre la loi El Kohmri, Jean-Vincent Placé, secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification déclarait : « Ce ne sont pas les réseaux sociaux qui font la loi de la République. » Et pour cause, les plus actifs sur les réseaux sociaux ne constituent pas forcément un panel représentatif des citoyens d’aujourd’hui.
Pour Dominique Cardon, auteur de La démocratie Internet : promesses et limites, ce sont les plus informés ou les plus connectés qui s’expriment le plus. En effet, l’internet pourrait laisser de côté les plus fragilisés (les personnes âgées, les moins diplômés ou ceux qui ne sont pas formés aux usages du web). On retrouve sur internet, les mêmes inégalités sociales, et il est nécessaire d’éviter que d’une fracture numérique découle une fracture démocratique.
Alors quel avenir pour la Civic Tech ? En France, il reste difficile de dresser un panorama du financement des Civic Tech et rares sont les start-up politiques qui affichent un business model pérenne. Pour le moment, la Civic Tech est essentiellement constituée d’associations et de collectifs souvent tenus par des bénévoles, voire de petites entreprises.
L’association Démocratie Ouverte envisage de créer un incubateur auquel sera rattaché un fonds de dotation, pour accompagner les initiatives des Civic Tech dans leur développement.
Aux États-Unis, le marché des Civic Tech est nettement plus avancé. Selon un rapport de la fondation américaine Knight (spécialisée dans le journalisme et les médias) daté de décembre 2013, plus de 430 millions de dollars ont déjà été investis dans le secteur entre 2008 et 2013. À une échelle mondiale, les Civic Tech représenteraient déjà 5,7 milliards d’euros sur les 23 milliards d’euros déjà dépensés à travers les commandes publiques dans les technologies de l’information.
En France, les perspectives des Civic Tech sont nombreuses. Outre les citoyens, qui cherchent à mieux s’informer et à participer davantage à la vie publique, les collectivités territoriales, l’État, et même les entreprises, sont peu à peu enclins à investir dans des outils capables d’améliorer leurs relations avec les usagers et de mieux comprendre leurs attentes. Les élections de 2017 (présidentielle et législatives) permettront sans doute de dresser un premier bilan des enjeux et des limites des Civic Tech.
Sources :
- « Quelles fractures numériques ? », Cardon Dominique, L’Esprit public, France Culture, 25 mai 2014.
- « Civic tech in 2015: $6.4 billion to connect citizens to services, and to one another », Alex Howard, TechRepublic.com, February 6, 2015.
- « Marre de la politique à la papa ? Essayez les CivicTech », Sophie Fay, Le Nouvel Obs, 20 octobre 2015.
- « Un candidat sort du chapeau à Strasbourg », Noémie Rousseau, Libération, 18 avril 2016.
- « Election : comment Voxe.org va révolutionner l’élection présidentielle », Antoine Grenapin, Le Point, 11 mai 2016.
- « Comment les CivicTech veulent réinventer la démocratie en France », Léa Lejeune, Challenges.fr, 25 mai 2016.
- « Comment la CivicTech réinvente la démocratie à l’ère d’internet », Sylvain Rolland, LaTribune.fr, 26 mai 2016.
- « La CivicTech invente la démocratie 2.0 », Adrien de Volontat, La Croix, 26 juin 2016.
- Le coup d’État citoyen, ces initiatives qui réinventent la démocratie, Elisa Lewis et Romain Slitine, Ed. La Découverte, Paris, 2016.
pour bien (ou mieux) comprendre ce qui est écrit dans ce texte, il est urgent avant tout de permettre à un plus grand nombre de citoyens, de repenser notre système « éducatif » dès la maternelle, jusqu’au niveau qui place tous les citoyens sur un plan d’égalité quels que soient les moyens dont il dispose. ça peut paraitre utopique mais plein de bon sens!!. POUR revenir à la « politique » tant décriée, puisque conduite par des élites parfois bien intentionnées qui ont un langage incompréhensible qui les autorise à séduire, autant qu’à tromper. IL n’est pas nécessaire de tout connaitre pour prétendre à gouverner , encore faut-il un minimum pour reconnaitre à d’autres leurs qualités. D où lla priorité à offrir à chacun les bases pour s’exprimer quand il le juge utile. Je n’ai pas ce minimum, à 87 ans, pour aller plus loin dans ce domaine, ceci pouvant expliquer celà?