Le paradoxe n’est qu’apparent : tandis que le cinéma tchèque brille par son absence dans les grands festivals internationaux depuis bien longtemps (il faut remonter à 1993 pour trouver trace du dernier film tchèque sélectionné en compétition officielle à Cannes), il rencontre en revanche un succès presque sans équivalent dans ses propres salles.
Pour la deuxième année consécutive en 2007, la République tchèque peut se targuer du titre de « vice-championne d’Europe de cinéma ». Si la France preserve cette année encore son leadership avec 36,5 % des entrées réalisées dans l’Hexagone par des films français, ce n’est plus que d’une très courte tête, puisque la République tchèque la talonne désormais avec 35,2 % de parts de marché. Tandis qu’à l’échelle continentale, la tendance générale est à la baisse, la République tchèque est, avec l’Italie et la Lituanie, l’un des trois marchés les plus dynamiques d’Europe. Elle est l’un des rares pays à observer une croissance à deux chiffres de la fréquentation de ses salles. Deux réalisateurs tchèques se retrouvent ainsi en tête des box-offices en 2007 : Jan Sverak, oscarisé en 1996 avec Kolya et dont le dernier film Vratne lahve (Bouteilles consignées) a été vu par plus d’un Tchèque sur dix et Jiri Menzel, oscarisé lui aussi 20 ans plus tôt avec Trains étroitement surveillés, qui est de retour derrière une caméra après quelques années consacrées au théâtre. Sa nouvelle adaptation de l’oeuvre de B. Hrabal, Moi qui ai servi le Roi d’Angleterre a rassemblé localement plus de spectateurs que les derniers Schrek, Harry Potter ou Spiderman. Les succès tchèques ne se limitent pas à ces deux poids lourds de l’industrie locale puisque 5 films nationaux se classent parmi les 10 plus grands succès et 10 films tchèques parmi les 20 premiers en termes de fréquentation. Sans compter la coproduction franco-britannico-tchèque tournée à Prague, Edith Piaf, qui est dix-huitième du box-office.
Depuis environ dix ans, séduire un vaste public n’est plus un luxe pour les cinéastes tchèques, mais une nécessité. Devant la quasi-inexistence de soutiens publics et l’absence d’obligations pour les chaînes de télévision d’investir dans la production de films, les réalisateurs et les producteurs sont contraints de s’appuyer sur une rentabilité immédiate dans les salles. Les budgets des films sont 5 fois inférieurs à ce qu’ils sont en France (un million d’euros en moyenne) et les créateurs se retrouvent ainsi limités dans le choix des sujets qu’ils peuvent traiter comme dans la manière de les tourner. Tandis que les luxueux studios praguois tels que Barrandov tournent à plein régime avec des superproductions américaines se succédant les unes aux autres (Narnia, Casino Royale, Mission impossible…), les réalisateurs tchèques sont contraints le plus souvent de tourner dans des décors naturels. Quant aux thèmes des films, ils doivent être rentables. Difficile, donc, de s’éloigner de comédies pour adolescents ou d’adaptations des grands auteurs tchèques. Il est périlleux dans ces conditions de trouver des relais en dehors du pays. Les exceptions sont rares. Notons malgré tout le remarquable Tajnosti (Secrets) d’Alice Nellis, consacré meilleur film de l’année à l’occasion des Lions tchèques (les Césars locaux) début mars 2008. Si Tajnosti a pu se permettre de réunir dix fois moins de spectateurs que le film de Jan Sverak, c’est essentiellement parce que celui-ci en est le producteur. Un confort grâce auquel il a pu privilégier la créativité au détriment de l’habituelle rentabilité immédiate.
Les choses pourraient pourtant très prochainement changer. Grâce à une modification de la loi sur l’audiovisuel sur laquelle les gouvernements travaillent depuis plus de 15 ans (en fait depuis la création du pays), le fonds de soutien à la cinématographie a vu ses ressources multipliées par quatre et passer de 2,5 à 10 millions d’euros. C’est en grande partie le maintien de la publicité sur les chaînes de la télévision publique qui permet de financer cette augmentation (voir le n°5 de La revue européenne des médias, hiver 2007-2008). Le frémissement sur le terrain ne s’est pas fait attendre. Tandis que la production locale se situe entre 15 et 20 films par an depuis une dizaine d’années, ce sont déjà 33 projets de longs métrages qui sont tournés ou initiés pour 2008. L’évolution devrait être également qualitative et pourrait permettre au cinéma tchèque d’arriver enfin sur les écrans européens. Moi qui ai servi le Roi d’Angleterre de Jiri Menzel vient ainsi d’être distribué en France en mai 2008. On peut probablement miser également sur Venkovy Ucitel (Professeur de campagne) du jeune réalisateur Bohdan Slama. Son précédent film, Something like happiness, primé au festival Premiers plans d’Angers en janvier 2006, était aussi le dernier film tchèque a être sorti en France avant celui de Jiri Menzel. Son distributeur français figurant cette fois parmi les co-producteurs du film, une sortie prochaine sur les écrans hexagonaux est très probable.
Forte de ses succès locaux et grâce à ces premiers frémissements internationaux, toute la cinématographie tchèque pourrait se lancer à nouveau à la conquête du monde.
Source :
- Observatoire européen de l’audiovisuel, obs.coe.int