Gaumont vend ses salles pour grandir à la télévision

En se séparant de sa participation dans les cinémas Gaumont Pathé, le groupe Gaumont se recentre sur la production pour développer notamment son activité dans les séries, laquelle a considérablement modifié l’identité de l’un des plus vieux producteurs de films au monde.

En annonçant, le 1er mars 2017, s’être mis d’accord avec le groupe Pathé pour lui céder sa participation dans Les Cinémas Gaumont Pathé, le groupe Gaumont a confirmé son recentrage sur les seules activités de production. Fondé en 1895, le groupe Gaumont est l’un des plus anciens producteurs de cinéma dans le monde, positionné également depuis ses débuts dans la distribution des films. Le groupe était aussi présent dans l’exploitation de salles, jusqu’à leur cession annoncée, une activité pourtant stratégique. En effet, Les Cinémas Gaumont Pathé sont issus du rapprochement, en 2001, des activités d’exploitation de Gaumont et de Pathé, respectivement dirigés par les deux frères Seydoux, Nicolas et Jérôme. L’ensemble, alors dénommé EuroPalaces et détenu pour un tiers par Gaumont, pour les deux autres tiers par Pathé, représente un chiffre d’affaires de 743 millions d’euros en 2016, à comparer au chiffre d’affaires de Gaumont, de 188,7 millions d’euros en 2016. La participation minoritaire de Gaumont au sein des Cinémas Gaumont Pathé se traduit par des revenus récurrents, entre 6 et 10 millions d’euros de dividendes chaque année, et 3,5 millions d’euros de revenus de marque, pour la seule exploitation de la marque Gaumont.

Ces revenus récurrents sont essentiels pour une société comme Gaumont, les activités de production étant sujettes à une très forte variation du chiffre d’affaires et des bénéfices. En effet, la production de films peut engendrer des revenus significatifs grâce aux économies d’échelle, mais en même temps elle peut conduire à des fiascos puisqu’il s’agit d’une industrie de prototypes.

Dès lors, se séparer des Cinémas Gaumont Pathé semble conduire Gaumont à dépendre plus fortement des aléas propres à son cœur de métier, alors même que la participation dans EuroPalaces avait été apportée en garantie par Gaumont, en 2008, pour renégocier la dette du groupe avec les banques. En même temps, se séparer des salles de cinéma revient pour le groupe à perdre une influence acquise au début des années 2000 avec la création d’EuroPalaces. Il s’agissait alors de faire émerger un grand exploitant de salles face aux géants des contenus déployant des stratégies de convergence, à l’époque Universal Music ou encore AOL Time Warner. Ainsi Les Cinémas Gaumont Pathé représentent en France, en Suisse, aux Pays-Bas et en Belgique quelque 108 cinémas, pour 1 076 écrans et 67 millions d’entrées en 2016. Ce réseau de salles est la garantie d’un accès aux salles pour les films produits par les majors françaises que sont Pathé ou Gaumont. Gaumont cède donc cette activité qui n’est pas simplement économique, mais également stratégique.

Cette cession illustre la diversification réussie de Gaumont qui a désormais moins besoin d’un réseau de salles pour faire face aux incertitudes de la production de films en France. Certes, le groupe dispose toujours d’une activité offrant des revenus récurrents, à savoir l’exploitation de son catalogue. Mais c’est surtout son développement dans la production audiovisuelle et son internationalisation qui justifient aujourd’hui le renoncement aux activités d’exploitation. En effet, Gaumont a lancé en 2011 Gaumont International Television, un studio situé à Los Angeles et destiné à la production de séries audiovisuelles pour le marché américain et international. Cette diversification a été une réussite avec des séries déjà prestigieuses produites pour Netflix (Narcos) ou NBC (Hannibal).

Or cette activité est beaucoup moins exposée que la production de films parce que les séries sont préfinancées, ce qu’a précisé Nicolas Seydoux lors de l’annonce de la cession de la participation dans Les Cinémas Gaumont Pathé. La production de séries n’échappe pas, toutefois, aux variations fortes de chiffre d’affaires d’une année sur l’autre, parce que les dates de livraison des épisodes ne sont pas toujours parfaitement réparties. Ainsi, en 2015, l’activité de production de séries a réalisé un chiffre d’affaires de 127 millions d’euros, contre seulement 58 millions d’euros en 2016. Autant dire que l’argent dégagé par la cession de la participation dans Les Cinémas Gaumont Pathé doit permettre justement de financer le développement des nouvelles activités de production audiovisuelle, Gaumont ayant annoncé souhaiter développer ce type d’activités également en Europe, notamment au Royaume-Uni et en Allemagne, quand la production cinématographique reste principalement dédiée au cinéma français. En produisant des séries en plus grand nombre, Gaumont aura facilement les moyens de s’assurer des revenus équilibrés d’une année sur l’autre.

La transaction se fait en deux temps. Pathé s’engage dans un premier temps à racheter la participation de Gaumont de 34 % dans les Cinémas Gaumont Pathé pour 380 millions d’euros. Dans un deuxième temps, une porte de sortie est proposée aux actionnaires minoritaires de Gaumont, en réponse au repositionnement annoncé du groupe. Détenu majoritairement par Cinépar, la holding de Nicolas Seydoux (64,59 % du capital), Gaumont accueille à son capital également le fonds américain Firts Eagle IM (10 %), le Groupe Bolloré (10 %) et le Groupe Marcel Dassault (5 %), ainsi que 10 % de petits actionnaires. Le conseil d’administration de Gaumont a donc pris acte de la mise en place d’une OPRA (offre publique de rachat d’actions) le 4 avril 2017, et proposé 75 euros par action aux actionnaires minoritaires, ce qui représente une prime de 26,9 % par rapport au cours le plus élevé constaté sur les douze derniers mois. Le groupe Bolloré a confirmé très vite vouloir apporter ses actions à l’OPRA.

Ces rachats d’actions vont faire mécaniquement augmenter la part de capital détenue par Cinépar au sein du groupe Gaumont, même si l’opération ne vise pas à sortir le groupe de la Bourse. Le coût de rachat des minoritaires est estimé à 125 millions d’euros, le solde de la vente de la participation dans Les Cinémas Gaumont Pathé servant à éponger la dette de Gaumont (205 millions d’euros). Il restera donc une trésorerie nette de 50 millions d’euros pour Gaumont, qui permettra au groupe de relancer son endettement pour financer éventuellement le rachat d’un studio de production audiovisuelle en Europe. Quant à Pathé, il deviendra l’unique actionnaire des cinémas Gaumont Pathé, le premier réseau de salles en France, récemment renforcé avec le rachat début 2017 des multiplexes de Luc Besson à Aéroville et Marseille.

Sources :

  • « Gaumont s’arme pour investir plus massivement dans les séries », Nicolas Madelaine, Les Echos, 2 mars 2017.
  • « Cinéma : Gaumont abandonne Pathé pour se renforcer aux États-Unis », Enguérand Renault, Le Figaro, 2 mars 2017.
  • « Gaumont vend ses cinémas pour racheter ses minoritaires », Bruno de Roulhac, agefi.fr, 2 mars 2017.
  • « Gaumont annonce une offre publique de rachat d’action », communiqué de presse Gaumont, zonebourse.com, 4 avril 2017.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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