Protection des sources des journalistes. Refus de témoigner pour confirmer l’identité d’une source qui s’est elle-même révélée

CEDH, 5 octobre 2017, Becker v. Norway, n° 21272/12.

La Cour européenne des droits de l’homme conclut que constitue une violation de l’article 10 de la Convention [européenne] de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, consacrant le droit à la liberté d’expression et d’information, la condamnation prononcée, par les juridictions norvégiennes, à l’encontre d’une journaliste qui, au nom du droit à la protection du secret des sources d’information, a refusé de témoigner en justice pour confirmer l’identité de son informateur alors même que celui-ci a reconnu l’être. Aux arguments favorables à l’obligation de témoigner, s’opposent ceux qui, au nom de la protection du secret des sources des journalistes présentée comme une condition et une garantie de la liberté d’information, sont relatifs au refus de témoigner.

Obligation de témoigner

La question de la protection du secret des sources s’est posée dans le cadre d’une procédure pénale pour fait de manipulation des cours de la Bourse au moyen d’un texte adressé à une journaliste et exploité, par elle, dans un journal en ligne. Les juridictions norvégiennes ont cherché à obtenir, de cette journaliste, la confirmation de l’identité de son informateur, alors même que celui-ci avait admis l’être. Le refus de témoigner emporta sa condamnation.

Par principe, le code de procédure pénale norvégien fait obligation à toute personne de témoigner en justice. Une dérogation y est cependant déterminée en faveur des journalistes. Une obligation de témoigner peut pourtant leur être imposée en cas d’« impératif prépondérant d’intérêt public ».

Les juridictions norvégiennes ont considéré que les dispositions relatives à la protection des sources d’information des journalistes ne s’appliquent pas lorsque la source elle-même a reconnu avoir joué ce rôle. Elles posèrent que la journaliste était dans l’obligation de témoigner sur ses contacts avec sa source, objet de poursuites pénales et qui s’est elle-même identifiée comme telle. En conséquence de son refus, elle fut condamnée à une peine d’amende.

Une telle appréciation fut soutenue par les autorités norvégiennes devant la Cour européenne des droits de l’homme. Elles firent valoir que l’interprétation selon laquelle le droit à la protection des sources ne pouvait pas être invoqué par les journalistes lorsque ladite source était déjà connue devait être considérée comme « prévue par la loi » ; que la condamnation prononcée poursuivait un « but légitime », à savoir « la défense de l’ordre et la prévention du crime » et « la protection des droits d’autrui » ; et que n’était pas en cause une obligation de révélation de la source d’information, puisque celle-ci avait admis l’être, mais seulement sa confirmation. S’agissant enfin du caractère « nécessaire » de l’ingérence, elles insistèrent sur la gravité de la manipulation du marché financier et sur le rôle involontairement joué par la journaliste dans l’infraction poursuivie et sur le fait que l’obligation de témoigner pourrait aussi correspondre à l’intérêt des journalistes de façon à ce que ceux-ci ne soient pas utilisés par des tiers pour commettre une infraction.

Refus de témoigner

La journaliste vit dans sa condamnation une atteinte à son droit de ne pas être contrainte de révéler ses sources tel qu’il découlerait de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme (qui ne le consacre pourtant pas explicitement).

Devant la Cour européenne, elle exposa que l’ingérence que constituait la condamnation prononcée à son encontre n’était pas « prévue par la loi », le code norvégien ne déterminant aucune exception au droit à la protection des sources des journalistes lorsque celles-ci sont supposées être connues et aucune jurisprudence ne pouvant être mentionnée en ce sens. Selon la journaliste, le fait qu’une personne ait reconnu être la source de l’information ou que cela soit considéré comme probable ne peut pas être retenu pour contraindre les journalistes à le confirmer ou à l’infirmer. Ils pourraient sinon être amenés à révéler d’autres sources. Elle fit encore valoir que si des sources potentielles apprenaient que leur identité pourrait être ainsi recherchée, cela pourrait avoir sur elles un effet dissuasif et que, en l’espèce, son témoignage ne pouvait être d’aucune utilité puisque la source elle-même avait admis l’être.

S’agissant de la question de savoir si « l’ingérence était prévue par la loi », la Cour relève que la journaliste requérante fit valoir que l’obligation de témoigner était contraire au code de procédure pénale norvégien qui ne détermine aucune dérogation à la protection des sources d’information dans le cas où ladite source serait déjà identifiée.

Quant à savoir si l’« ingérence était nécessaire dans une société démocratique », la Cour européenne, empruntant à sa jurisprudence antérieure, mentionne que la protection des sources constitue « une des pierres angulaires de la liberté de la presse » ; que « l’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général » ; que, « en conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de chien de garde et son aptitude à fournir des informations précisées et fiables pourrait s’en trouver amoindrie » ; et que, « eu égard à l’importance que revêt la protection des sources journalistiques pour la liberté de la presse dans une société démocratique et à l’effet négatif sur l’exercice de cette liberté que risque de produire une ordonnance de divulgation, pareille mesure ne saurait se concilier avec l’article 10 de la Convention que si elle se justifie par un impératif prépondérant d’intérêt public ».

En cette affaire, selon la Cour, le fait que la source ait utilisé la journaliste requérante pour, par la publication, manipuler les cours de la Bourse était à prendre en considération. Mais le refus de la journaliste de révéler sa source n’était en aucune manière de nature à faire obstacle aux poursuites engagées à l’encontre de l’auteur des faits litigieux.

Considérant l’importance de la protection des sources journalistiques pour la liberté de la presse dans une société démocratique, la Cour estime que les raisons avancées pour contraindre la requérante de témoigner de ses relations avec la source de l’information diffusée étaient insuffisances. En conséquence, elle conclut à la violation de l’article 10 de la Convention et valide ainsi le refus, de la journaliste, de témoigner en justice.

Source :

  • « Protection des sources d’information des journalistes », Droit européen des médias, E. Derieux, Bruylant, 2017, p. 312-338.

Professeur à l’Université Paris 2

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