En s’alliant au fonds KKR, Springer tente d’échapper au court-termisme boursier afin de continuer à investir dans le numérique.
En 2011, Mathias Döpfner, directeur général du groupe Axel Springer, tenait des propos sans équivoque : « Notre entreprise n’est pas une entreprise de presse, mais une entreprise de contenus. » Il en tirait toutes les conclusions en se séparant de l’essentiel de ses titres de presse régionale pour ne conserver que ses marques les plus fortes, seules susceptibles de se développer rapidement en ligne : Die Zeit et le Bild (voir La rem n°29, p.34). Depuis, le groupe a massivement investi dans le numérique, tant sur le plan de l’offre de contenus (Business Insider, Politico, eMarketer) que dans les petites annonces où il compte parmi les plus grands en Europe (SeLoger, LogicImmo, ImmoWelt Group dans l’immobilier, Caradisiac et La Centrale dans les véhicules, StepStone pour les offres d’emplois). Le numérique représente ainsi 70 % de son chiffre d’affaires de 3,2 milliards d’euros en 2018, mais l’activité est menacée sur le marché publicitaire par la captation de recettes opérée par Google et Facebook (voir La rem n°42-43, p.92), et sur les petites annonces par l’émergence de nouveaux venus, comme le site leboncoin en France qui « siphonne » les annonces immobilières. C’est d’ailleurs pour répondre à la concurrence de leboncoin qu’Axel Springer a annoncé l’acquisition de MeilleursAgents en France, début août 2019, afin d’intégrer le service d’estimation des biens en ligne à ses offres d’annonces immobilières.
Pour développer les abonnements à ses titres et renforcer sa présence dans les petites annonces, le groupe doit poursuivre ses investissements. Or, cette stratégie ne satisfait pas ses actionnaires minoritaires qui attendent d’Axel Springer un retour sur investissement plus rapide. La Bourse trahit cette désaffection avec un repli de plus de 40 % du titre en moins d’un an, ce qui a notamment dissuadé son directeur général d’acquérir les annonces légales d’eBay afin d’éviter une chute plus importante du cours de l’action. L’absence de soutien des actionnaires entrave ainsi le management, pourtant soutenu par l’actionnaire historique, Friede Springer, propriétaire de 42,6 % du capital.
C’est pour se donner les moyens d’investir qu’Axel Springer s’est rapproché du fonds KKR. Le 12 juin 2019, Axel Springer annonçait s’être mis d’accord avec le fonds de capital-investissement qui, grâce à une offre publique d’achat, espère monter au moins jusqu’à 20 % du capital sachant que 52,5 % de ce dernier est du capital flottant. KKR s’en donne les moyens avec une prime de 31,5 % par rapport au cours moyen de l’action sur trois mois, ce qui valorise Axel Springer à quelque 6,8 milliards d’euros. Avec cette opération, KKR place ses liquidités tout en se renforçant dans le secteur des médias en Allemagne, le fonds étant présent au sein de Tele München Group depuis février 2019. Il donne par ailleurs à Axel Springer la possibilité de se retirer de la Bourse afin de déployer plus facilement sa stratégie. La vraie question sera celle de l’avenir de cette participation, l’accord précisant que Friede Springer garde un droit de veto sur les décisions stratégiques mais n’interdisant pas à KKR de devenir un jour majoritaire.
Sources :
- « Axel Springer envisage un retrait de la cote avec KKR », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 31 mai 2019.
- « Axel Springer annonce négocier avec le fonds KKR », Chloé Woitier, Le Figaro, 31 mai 2019.
- « Pourquoi KKR séduit Axel Springer », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 13 juin 2019.
- « Le fonds KKR séduit Axel Springer », I.V., Le Figaro, 13 juin 2019.
- « Axel Springer va acquérir MeilleursAgents », Marina Alcaraz, Les Echos, 2 août 2019.