TRT 6 est la première chaîne de télévision publique à diffuser des programmes en kurde. Elle devra trouver sa place dans le paysage audiovisuel turc, déjà riche de plusieurs chaînes satellitaires pratiquant cette langue, bannie par le pouvoir il y a encore 15 ans, et parlée par un habitant sur six.
A la faveur d’une nouvelle loi approuvée durant l’été 2008 par le Parlement et le chef de l’Etat, une nouvelle chaîne de télévision a été lancée en Turquie le 1er janvier 2009. Sixième chaîne généraliste du service public de radio et télévision turc (TRT), la Six a pour singularité la diffusion de programmes en kurmandji -l’une des trois langues kurdes avec le sorani et le zaza- dont la pratique fut longtemps interdite par le gouvernement turc et dont l’usage exprime encore parfois une certaine défiance vis-à-vis de l’Etat. La nouvelle chaîne offre une programmation généraliste, non sous-titrée, composée de films, documentaires, séries et émissions musicales. Plusieurs heures par jour sont consacrées à l’information, mais sans « imposer l’idéologie de l’Etat », affirme son directeur général, Ibrahim Sahin. A son lancement, la chaîne proclamait son objectif principal : « refléter la diversité culturelle de la Turquie ». Une dizaine de chaînes satellitaires émettent déjà sur le territoire turc, souvent depuis le Kurdistan irakien ou le Danemark, comme de Roj-TV, la chaîne du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan (séparatiste).
Depuis 2002, sous l’influence de l’Union européenne, la TRT, le service public audiovisuel turc, propose 30 minutes hebdomadaires de programmes « folkloriques » en langue kurde. Les chaînes de télévision privées ont, elles aussi, inséré des émissions quotidiennes destinées à la communauté kurde, d’une durée autorisée de 45 minutes. Une seule chaîne privée, Gün TV, émet dans la région à majorité kurde située au sud-est de la Turquie.
L’opposition kurde accuse le gouvernement turc d’envoyer, avec la création de cette nouvelle chaîne, un signal, pour ne pas dire un écran de fumée, à la Communauté européenne en vue de son entrée dans l’Union, sans pour autant œuvrer pour une véritable ouverture politique, les programmes tolérés n’abordant pas les sujets qui divisent le pays.
Selon les membres du Parti pour une société démocratique (DTP), pro-kurde, le lancement de la Six ne laisse pas présager plus de démocratie dans le pays, dont la région du sud-est est la plus pauvre, peuplée majoritairement par des Kurdes, terre d’hostilités depuis 1984 entre les autorités turques et le PKK ayant fait 44 000 morts. A l’approche des élections municipales prévues en mars 2009, le gouvernement turc n’ouvre pas plus largement le débat politique grâce à cette chaîne à la « programmation édulcorée », si l’on en croit les membres du DTP. Mais il s’offre un outil supplémentaire de propagande.
Pour l’ancien diplomate kurdophone, Sinan Ilhan, dirigeant de TRT 6, l’objectif est de « fournir des programmes contribuant à la prise de conscience démocratique de la population du pays ».
Si l’interdiction qui frappait l’usage du kurde est levée légalement dans l’audiovisuel turc depuis 2002, cette libéralisation linguistique n’est pas étendue à l’ensemble de la société. Dans les secteurs de l’éducation et des services publics, l’usage de la langue kurde est toujours restreint. En 2007, le maire de la municipalité de Sur, dans le sud-est du pays, Abdullah Demirtas, avait dû abandonner ses fonctions pour avoir créé des services multilingues, en turc, kurde, arménien et syriaque. Selon l’ex-maire, « L’Etat se permet ce qu’il n’autorise pas à la société civile ». Depuis décembre 2008, la mention « d’expression dans une langue non turque » a remplacé celle de « langue inconnue » pour qualifier les discussions en kurde, au sein du Parlement turc, des députés du parti DTP.
Sources :
- « Une chaîne entièrement en kurde à la télévision d’Etat turque le 1er janvier », AFP, tv5.org, 21 décembre 2008.
- « L’Etat turc lance sa première chaîne en langue kurde », Guillaume Perrier, Le Monde, 31 décembre 2008.
- « La télévision d’Etat turque lance une chaîne entièrement en kurde », AFP, tv5.org, 1er janvier 2009.
- « L’Etat turc lance une chaîne de télévision en kurde », Laure Marchand, Le Figaro, 2 janvier 2009.