Dès le début du confinement, le 16 mars 2020, la pénurie de matériels sanitaires liée à la Covid-19 a fait l’objet d’une mobilisation sans précédent de la communauté française des makers.
Les makers, littéralement « les faiseurs », sont les acteurs emblématiques de la culture contemporaine du Do It Yourself (DIY) qui s’appuie sur des technologies nouvelles comme l’électronique, la robotique, l’impression 3D, la machine-outil à commande numérique et sur des technologies traditionnelles comme la métallurgie, la menuiserie ou l’artisanat, mais également sur le partage, la mise en commun des connaissances et des savoir-faire.
De multiples initiatives locales ont essaimé à travers tout le territoire et se sont progressivement organisées avec les outils numériques contemporains. La plateforme Covid-Initiatives (covid-initiatives.org) recense l’ensemble des initiatives de la société civile prises pour faire face à l’épidémie de Covid-19. On y trouve la liste des matériels à réaliser soi-même avec un lien vers les plans, ainsi qu’une cartographie des fablabs et des makerspaces de France et des imprimeurs 3D (voir La rem n°36, p.62). Sont également indiqués les différents groupes Facebook de makers dont notamment Visière Solidaire, Maker contre COVID ou encore Visière 3D. Certains de ces groupes proposent l’accès à des messageries en ligne, parfois avec un lien vers des cagnottes pour acheter les matériaux nécessaires à la fabrication de masques, de visières, de pièces de respirateurs, de valves, d’adaptateurs, de pousse-seringues et autres objets imprimables en 3D. La plateforme Covid-Initiatives indique ainsi que 240 000 pièces auraient été créées bénévolement et distribuées gratuitement au personnel soignant et aux hôpitaux. Ce chiffre est bien sûr infime face aux commandes industrielles de millions de masques. Il doit cependant être replacé dans le contexte du confinement, lorsque le manque de matériel était total.
Selon Hugues Aubin, vice-président du Réseau français des fablabs, « la réactivité, le dévouement, le sens civique et l’efficacité des makers pallient les manques et les besoins au plus près des territoires, dans les zones défavorisées comme dans les grandes villes. Ils renouvellent une tradition essentielle à la résilience d’une société, celle de l’inventivité et du pragmatisme mis au service de la solidarité ». Il est particulièrement intéressant de noter la façon dont le mouvement s’est structuré : dans un premier temps, l’organisation s’est déployée à l’échelle locale autour d’outils, notamment des imprimantes 3D des fablabs mais rapidement de nombreux particuliers équipés de ces mêmes matériels se sont mobilisés. Puis, en quelques jours seulement, des groupes de partage d’informations se sont constitués sur des serveurs via les réseaux sociaux ou les messageries de groupe, utilisant des outils de cartographie et de localisation afin de mettre en commun plans et matériaux. La communication entre les hôpitaux et le mouvement des makers s’est établie, sans autre intermédiaire, sur les réseaux sociaux. Le réseau français des fablabs a également joué un rôle important de coordination en faisant circuler les informations en provenance des initiatives locales, en facilitant le partage des connaissances, des plans 3D, des tutoriels et autres conseils.
À lui seul, le collectif Makers x Covid Paris, porté par Volumes, membre fondateur de l’association Fab City Grand Paris, avec l’Atelier des Amis fut très rapidement rejoint par une vingtaine de lieux de fabrication, d’industriels et d’institutions, et surtout par plus de 180 volontaires. Il a produit en un peu plus d’un mois quelque 30 000 masques, visières, adaptateurs ou sur-blouses : « Vous, ou des personnes que vous connaissez, avez besoin de matériel en Île-de-France : visières, masques… ? Le matériel est fourni gratuitement et bénévolement, mais ne remplace pas un équipement médical certifié, c’est une solution d’urgence pour pallier le manque », pouvait-on lire sur le site web makerscovid.paris créé pour l’occasion.
La pénurie généralisée de matériel médical provoquée par la crise sanitaire de la Covid-19 a fait émerger un mouvement de grande ampleur qui a su rapidement s’organiser autour de ceux qui demandent, ceux qui fabriquent et ceux qui donnent. D’ailleurs, sur le moment, le gouvernement n’a pas pris la mesure de l’efficacité de cette solidarité. État de fait que résume ainsi Hugues Aubin : « La mobilisation des makers français est sans précédent, il serait temps que l’État s’en rende compte ». En revanche, certains industriels ont joué le jeu des makerspaces et des fablabs, à l’instar de Schneider Electric et des chercheurs du CEA, notamment dans la région de Grenoble, pour parer, dans l’urgence, à la pénurie de masques. Selon les mots de la sociologue Isabelle Berrebi-Hoffmann, spécialiste des communautés du « faire », la crise sanitaire de la Covid-19 augure peut-être de nouvelles formes de collaboration sur « un modèle de production distribuée à la fois locale et « à la pièce » grâce aux imprimantes 3D », créant ainsi des collaborations « entre deux mondes qui ne se parlent d’ordinaire jamais, celui des makers et celui des industriels ».
Sources :
- covid3d.fr
- makerscovid.paris
- « Coronavirus Covid-19 : Des « makers » et des masques pour les hôpitaux », Sophie Hienard, france3-regions.francetvinfo.fr, 24 mars 2020.
- « Pourquoi le Covid-19 va (aussi) propager le mouvement maker », Bastien Marchand, usbeketrica.com, 9 avril 2020.
- « Covid-19 : mobilisation sans précédent des makers en France », makery.info, 9 avril 2020.
- « Coronavirus : l’appel à l’aide des makers engagés 24/24 », nextinpact.com, 10 avril 2020.
- « Covid-19 : « Les initiatives ouvertes sont en train de se construire une visibilité nationale » », Lila Meghraoua, usbeketrica.com, 19 avril 2020.