Menacée au Royaume-Uni, la BBC s’impose sur internet et à l’international

Dénonciation de la redevance, démission de son directeur général, hostilité du Premier ministre, économies imposées, mais succès de l’iPlayer et de BBC Studios : l’audiovisuel britannique traverse une période délicate.

Le Brexit pourrait coûter cher à la BBC. En pola­risant la société britannique, il a fragilisé le respect que chacun, outre-Manche, portait à l’institution audiovisuelle publique. Nombreux sont les Britanniques à lui reprocher son partisianisme dans la campagne électorale de l’automne 2019 qui a confirmé le choix en faveur du Brexit et conduit Boris Johnson au pouvoir. Un sondage YouGov de décembre 2019 indiquait que 20 % des Britanniques pensent que les journalistes de la BBC ne disent pas la vérité. Les fake news seraient donc le fait des médias publics que les Britanniques financent, la rede­vance s’élevant à 178 euros au Royaume-Uni. Elles sont aussi, et bien plus certainement, le fait des États propagandistes, ce que Sir David Clementi, président de la BBC, a rappelé pour mieux défendre l’institution publique : ses concurrents étant selon lui « les médias d’État russes et chinois », la BBC s’érigeant face à eux en rempart de « l’information libre et juste ». Malheureusement, le Premier ministre britannique pourrait s’ajouter à cette liste puisqu’il a publiquement considéré que la BBC manquait d’objectivité, à son égard évidemment.

Cette justesse dans l’information est bien celle que les médias propagandistes, qu’ils soient étrangers ou locaux, cherchent à contrer afin de toujours mieux discréditer le filtre que les journalistes appliquent aux messages partisans pour ne les communiquer qu’une fois contextualisés. Ce filtre pose assurément un problème aux conservateurs britanniques au pouvoir qui, pour certains, souhaitent le démantèlement pur et simple de la BBC. Le 5 février 2020, le ministre britannique de la culture et des médias a publiquement annoncé que le gouvernement envisageait de supprimer la redevance en 2027 à l’occasion du renouvellement de la charte qui la lie au gouvernement. La BBC serait alors financée par un abonnement pour ceux qui voudront bien y souscrire : le service public audiovisuel deviendrait une option parmi d’autres, à côté de Netflix ou d’Amazon Prime. Si la redevance n’est pas encore supprimée, son rendement est en revanche menacé. À partir de juin 2020, les plus de 75 ans en seront dispensés. Mais les autres Britanniques pourraient également s’en dispenser à bon compte si le projet de décriminalisation du non-paiement de la redevance, porté par l’actuel gouvernement, finit par aboutir. Actuellement, les Britanniques qui ne payent pas la redevance risquent une amende de 1 200 livres et une peine d’emprisonnement, ce qui est relativement dissuasif. Or, depuis février 2020, une consultation publique prévue jusqu’à l’été est organisée sur le projet de dépénalisation. Les fervents soutiens de la BBC devront se mobiliser pour éviter le pire, la perte estimée des revenus de la redevance pour non-paiement étant de 200 millions de livres. S’ajoute une dernière menace à courte échéance, à savoir l’obligation de revoir, dès 2022, la charte signée entre le gouvernement et la BBC en 2017, soit à mi-parcours (2017-2027). C’est cet examen à venir qui a conduit Tony Hall, l’actuel directeur général de la BBC, à annoncer sa démission pour l’été 2020 afin que son successeur soit suffisamment tôt en poste pour gérer cette échéance.

Ces menaces ne sont pas sans conséquences sur les activités du groupe audiovisuel britannique, la redevance représentant 3,7 milliards de livres sur un budget total de 5 milliards de livres. En effet, la BBC sait qu’elle doit impérativement rajeunir son audience pour justifier demain le paiement de la redevance par tous les Britanniques. C’est pourquoi, sa division BBC News fait l’objet d’un repositionnement stratégique. Elle doit procéder à des économies, ce qui s’est traduit par un plan social en janvier 2020 qui a supprimé 450 postes dans les rédactions (7,5 % de l’effectif) et par une réorganisation qui mutualise les rédactions des émissions afin de produire de l’information avec des effectifs plus limités. Les marges de manœuvre ainsi dégagées doivent être dédiées au renforcement de l’offre numérique. Concrètement, cela signifie aussi que l’offre d’informations sur la télévision linéaire va diminuer. Voilà donc que certains propos dérangeants pour les conservateurs britanniques ne seront plus tenus sur les antennes de la BBC, non parce que la censure a opéré – ce qui aurait immanquablement soulevé des oppositions mais parce que la contrainte économique est bien plus efficace en démocratie.

Pourtant, la BBC est aussi un modèle de performance, cette fois-ci sur internet et dans la production audiovisuelle. Elle s’impose comme la seule alternative solide face aux services de SVOD américains qui prospèrent au Royaume-Uni et sapent les audiences de la télévision en clair, ainsi que les perspectives de la télévision payante dominée par BSkyB. En effet, la BBC a très tôt lancé une offre de programmes à la demande, avec son service iPlayer, mis en ligne dès 2007, qui a rencontré un véritable succès (voir La rem n°46-47, p.43). Grâce à ses programmes en replay, l’iPlayer est une offre gratuite en ligne qui s’assimile de plus en plus à une plateforme de vidéo à la demande. En effet, en août 2019, la BBC a obtenu de l’Ofcom, l’autorité britannique de régulation des médias, le droit de laisser ses séries accessibles en replay pendant un an après leur diffusion à la télévision, au lieu d’un mois jusqu’ici autorisé. Cette stratégie, si elle peut se révéler très efficace face à Netflix et ses épigones, déstabilise en revanche l’écosystème audiovisuel britannique. Les producteurs concernés savent que leurs droits pour les secondes fenêtres de diffusion seront moins valorisés, leurs productions ayant été longtemps disponibles en ligne. Les chaînes privées sont aussi pénalisées à travers BritBox, dont la BBC est pourtant un partenaire essentiel. Lancé comme plateforme payante de SVOD dédiée aux marchés anglo-saxons (voir La rem n°41, p.40), BritBox a été décliné au Royaume-Uni le 7 novembre 2019 au tarif de 5,99 livres par mois, trois livres de moins que l’abonnement d’entrée de gamme à Netflix. La plateforme propose les séries déjà diffusées sur les chaînes des partenaires, ITV et la BBC, les deux plus gros producteurs britanniques, une fois la période de replay terminée. Avec des replays disponibles pendant un an sur l’iPlayer, l’offre de BritBox se retrouve fortement dégradée, or elle était essentielle pour ITV dont le service de vidéo en ligne n’a pas rencontré le même succès que celui de son partenaire public.

En ligne, la BBC a donc des atouts spécifiques qui peuvent être dénoncés par certains comme anticon­currentiels, d’autant que ses activités commerciales renforcent l’offre de l’iPlayer. En effet, la filiale BBC Studios produit presque la moitié des programmes diffusés sur les antennes de la BBC et travaille désormais pour les services de SVOD et les autres chaînes privées britanniques. En fabriquant 3 000 heures de programmes chaque année, qui viennent renforcer son catalogue de 40 000 heures, BBC Studios a les moyens de garantir à sa maison mère une sécurisation de son approvisionnement en programmes sur le marché des droits. Ces derniers sont par ailleurs exploités à l’international, ce qui permet à BBC Studios de produire des séries au budget digne de celui des grands producteurs américains. Les performances de BBC Studios contribuent également au financement du service public audiovisuel britannique puisque cette filiale commerciale de la BBC lui reverse une partie de ses bénéfices (243 millions de livres en 2019).

Sources :

  • « La BBC veut mettre un an sur iPlayer les séries qu’elle achète », Nicolas Madelaine, Les Echos, 20 août 2019.
  • « Sous pression, le patron de la BBC démissionne », Amandine Alexandre, Le Figaro, 21 janvier 2020.
  • « La BBC coupe dans ses effectifs », Marina Alcaraz, Les Echos, 29 janvier 2020.
  • « Downing Street déclare la guerre à la BBC », Amandine Alexandre, Le Figaro, 1er février 2020.
  • « Quand BBC Studios fait son grand show », Caroline Sallé, Le Figaro, 6 mars 2020. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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