Loi Climat : un peu moins de publicité, beaucoup de communication

Si le secteur de la publicité doit s’autoréguler, l’impératif du développement durable impose des restrictions jusqu’alors inconnues, même si la loi Climat et résilience tente l’équilibre entre enjeux climatiques et réalités économiques.

La publicité et le développement durable sont-ils compatibles ? C’est la question que posent les recommandations de la Convention citoyenne pour le climat qui ambitionne de « réguler la publicité pour réduire les incitations à la surconsommation ». Parmi ces propositions, certaines ont une visée pédagogique parce qu’elles veulent donner au consommateur le moyen de procéder à des achats responsables, grâce à des modalités de communication sur le « score carbone » (« Rendre obligatoire l’affichage des émissions de gaz à effet de serre dans les commerces et lieux de consommation ainsi que dans les publicités pour les marques », proposition C1.2). D’autres veulent aller au-delà de la « responsabilisation » en interdisant certaines publicités (« Interdire de manière efficace et opérante la publicité des produits les plus émetteurs de GES, sur tous les supports publicitaires », proposition C2.1) et en incitant à moins consommer (« Réguler la publicité pour limiter fortement les incitations quotidiennes et non choisies à la consom­mation », proposition C2.2), même s’il s’agit aussi de « réorienter la consommation sur des produits plus vertueux sur le plan climatique » (Convention citoyenne, p. 24). S’ajoutent des interdictions plus spécifiques, par exemple celle concernant « les panneaux publicitaires dans les espaces publics extérieurs hors information locale, culturelle, et la signalétique de localisation » (C2.2.1).

Cette approche de la publicité, si elle n’est pas tota­lement incompatible avec le développement durable, l’est avec l’activité de nombreuses entreprises, ces dernières comptant pour l’essentiel de la dépense en communication en France. En effet, le développement de la consommation est l’objectif de toute entreprise car il génère du chiffre d’affaires et, idéalement, des bénéfices. Moins consommer revient toujours à péna­liser le chiffre d’affaires des entreprises même si l’on consomme mieux, ce qui n’interdit pas aussi de consommer plus. L’enjeu est donc éminemment politique et repose sur un équilibre à trouver entre l’injonction de consommation durable et l’injonction économique que reflète le marché de la publicité à travers les investissements en communication des entreprises. Ainsi, l’ex-UDA (Union des annonceurs), renommée Union des marques, a financé des recherches doctorales qu’elle a ensuite publiées, qui montrent que la publicité soutient la croissance économique (thèse en sciences économiques de Maximilien Nayaradou, 2006, sous la direction de Jean-Hervé Lorenzi). Lors de la deuxième édition des états généraux de la communication, le 6 mai 2021, une étude du cabinet Deloitte venait rappeler opportunément que, pour 1 euro investi dans la publicité média, le PIB en gagne 7,85. La publicité, en tant que dispositif de communication, a aussi une dimension sociale : elle cherche à articuler ce besoin des entreprises avec les attentes des consommateurs qui sont aussi des citoyens. C’est à cet endroit que la communication publicitaire peut être compatible avec le développement durable même si elle trahit aussi la volonté des marques de défendre leur utilité sociale (brand utility), voire leur responsabilité sociale (brand responsibility). La communication publicitaire évoluerait ainsi sous la pression sociale en faveur du développement durable sans pour autant remettre en question l’impératif de la consommation.

Cet équilibre difficile – certains diront qu’il est impossible car les deux termes de l’équation s’opposent – est ce que tente, à sa manière, le projet de loi Climat et résilience en cours d’examen par le Parlement. Il a été précédé par une proposition de loi autrement plus sévère à l’égard de la publicité portée par Matthieu Orphelin, ex-Europe Écologie Les Verts, ex-La République en marche, aujourd’hui président du groupe Écologie Démo­cratie Solidarité à l’Assemblée nationale. Présentée le 11 juillet 2020, la proposition de loi reprenait les recommandations de la Convention citoyenne sur le climat en interdisant par exemple la publicité sur les produits les plus polluants, comme l’automobile thermique et l’aérien quand des alternatives existent, tout en proposant une mention « En avez-vous vraiment besoin ? » avant le paiement d’un achat sur internet, une « contre-pub », en fait, visant à dissuader l’internaute de consommer plus que de besoin. Ici, le développement durable s’inscrit dans une perspective de décroissance qui pénalise les entreprises et les annonceurs qui en dépendent. L’enjeu climatique l’emporte en priorité, la loi étant présentée d’ailleurs comme une « loi Evin du climat », la loi Evin ayant à l’époque priorisé les enjeux de santé publique en restrei­gnant les possibilités de communication sur l’alcool et en interdisant la publi­cité pour le tabac. Enfin, la pollution visuelle était également ciblée puisque le projet de loi prévoyait l’inter­diction de l’affi­chage numérique. Trop ambitieux ou trop irréaliste selon le point de vue adopté, le projet de loi a finalement été rejeté en octobre 2020.

Entre-temps le monde de la publicité s’est en effet mobi­lisé, notamment à travers la figure de Mercedes Erra, cofondatrice de l’agence BETC. Durant l’été 2020, elle signe un rapport confidentiel à l’intention du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qui repose sur une mesure de l’impact des projets d’interdiction ou de limitation de la publicité (l’automobile est le deuxième annonceur en France, avec 1,65 milliard d’euros bruts dépensés à la radio et à la télévision) et sur leurs conséquences en termes de pertes d’emplois. Le ministère de l’Économie a créé la filière communication en 2017, qui s’interroge alors de ne pas être associée à la réflexion sur l’encadrement de la publicité au nom du développement durable. Les publi­citaires revendiquent même leur utilité sociale en la matière, la publicité pouvant accompagner la transition écologique. Ainsi, le 27 novembre 2020, à l’occasion des premiers états généraux de la communication, opportunément consacrés à la consommation responsable, l’Union des marques (les annonceurs), l’Union des entreprises de conseil et achat média (Udecam) et l’Association des agences de conseil en communi­cation (AACC) ont insisté sur la publicité verte et prôné l’autorégulation du secteur. Depuis, chacun y va de son effort avec communication à la clé sur la bonne volonté des acteurs. En décembre 2020, les médias ont annoncé un « contrat média climat » avec, de manière volontaire, des réductions pour les campagnes sur de bonnes causes et une limitation des publicités sur les produits les plus polluants, des émissions de sensibilisation au développement durable, le tout assorti d’une surveillance par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour ce qui relève de la radio et de la télévision, preuve donc du sérieux de leur enga­gement. Les marques, de leur côté, se sont engagées pour une publicité responsable dans le cadre de leur programme FAIRe qui, en plus des critères déjà imaginés pour renforcer la brand safety (voir La rem n°45, p.52), va ajouter des objectifs liés à la transition écologique.

Le lobbying aura payé puisque le projet de loi Climat, présenté en Conseil des ministres le 10 février 2021 et dont l’examen par le Parlement a débuté en mars 2021, est finalement relativement mesuré quant aux contraintes nouvelles sur le secteur publicitaire. Le texte a été voté à l’Assemblée nationale le 17 avril 2021 et sera examiné par le Sénat en mai 2021, ce qui autorise toutefois de nouvelles modifications, peu probables sur le fond. À l’Assemblée, la demande d’autorégu­lation du secteur de la publicité a été entendue puisque le CSA sera chargé de promouvoir des codes de bonne conduite, avec des engagements publiés, mais sans name and shame en cas de manquement. L’Assemblée a ajouté la possibilité de sanctions pour les marques qui procèdent au greenwashing (écoblanchiment), celles qui invoquent des motifs écologiques pour vendre des produits qui ne le sont pas vraiment. Enfin, la publicité pour les énergies fossiles devrait être en principe interdite. Pour les produits à fort impact environnemental, comme l’automobile ou l’électroménager, un score CO2 devra être affiché dans toute campagne de commu­nication à titre expérimental. Quant à l’affichage, il reste au premier rang parmi les difficultés, qu’il s’agisse de confier aux maires le soin d’interdire ou d’autoriser les panneaux le long des axes de circulation, ou de réglementer l’affichage lumineux dans les vitrines des commerçants.

À l’avenir, le marché pourrait finalement trancher : en 2020, une année marquée par la crise sanitaire, la part du numérique dans la publicité a franchi le seuil symbo­lique des 50 % du marché média français selon IPG Mediabrands. Et comme Google et Facebook captent l’essentiel de ce marché, il se pourrait bien que la question de la régulation de la publicité – au moins dans le domaine des médias – prenne à l’avenir une tout autre tournure. La régulation de la publicité risque en effet de concerner de plus en plus les plateformes et de moins en moins les médias.

Sources :

  • UDA (2006), Publicité et croissance économique, Thèse de doctorat en sciences économiques, soutenue par Maximilien Nayaradou à l’Université Paris 9 – Dauphine.
  • « La publicité dans tous ses états », Alexandre Debouté, Le Figaro, 6 juillet 2020.
  • « Le bras de fer se durcit entre les publicitaires et les écologistes », Véronique Richebois, Les Echos, 13 juillet 2020.
  • « Écologie : la publicité redoute un tremblement de terre », Véronique Richebois, Les Echos, 30 septembre 2020.
  • « Une violente charge antipub qui menace l’économie des médias », Alexandre Debouté, Le Figaro, 1er octobre 2020.
  • « Convention climat : les initiatives pour verdir la publicité se multiplient », Marina Alcaraz, Les Echos, 30 novembre 2020.
  • « Les médias s’engagent pour être plus verts », Marina Alcaraz, Les Echos, 7 décembre 2020.
  • « Le numérique s’arroge plus de la moitié du marché publicitaire en France », Nicolas Richaud, Les Echos, 8 décembre 2020.
  • « Loi Pompili : les médias échappent au pire sur la publicité », Marina Alcaraz, Les Echos, 9 décembre 2020.
  • « Publicité : la loi Pompili épargne les médias », Alexandre Debouté, Le Figaro, 10 décembre 2020.
  • « Le projet de loi climat est finalisé et sera examiné en mars », Tristan Quinault-Maupoil, Le Figaro, 11 janvier 2021.
  • « Climat : télévisions et radios se veulent plus « responsables » », Marina Alcaraz, Les Echos, 22 janvier 2021.
  • « Publicité : les marques se convertissent à l’écoresponsabilité », Alexandre Debouté, Le Figaro, 12 février 2021.
  • « Loi climat : l’Assemblée renforce la vigilance sur la publicité », Joël Cossardeaux, Les Echos, 6 avril 2021.
  • « Moteur essentiel de la relance, la communication doit réinventer son modèle économique », Claudia Cohen, Le Figaro, 7 mai 2021. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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