AT&T se sépare de DirecTV et fusionne Warner Media avec Discovery. Amazon rachète la MGM. Comcast et ViacomCBS s’associent en Europe. Le développement rapide de la SVOD se traduit par des mouvements de concentration pour mieux supporter la hausse des coûts de production et résister à la concurrence des leaders du marché : Netflix, Disney+ et Prime Video.
Le streaming vidéo est l’avenir de la télévision pour les groupes qui détiennent les plus belles franchises et les plus gros catalogues. C’est ce que confirment les performances des deux services leaders dans le monde : Netflix et Disney+. Le premier a franchi la barre des 200 millions d’abonnés dans le monde début 2021 grâce à l’engouement pour ses services durant les confinements à répétition. Il annonçait également, lors de la présentation de ses résultats, le 19 janvier 2021, ne plus avoir besoin de recourir aux marchés boursiers pour financer la constitution de son catalogue. Désormais, avec 25 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2020 et 2,8 milliards de dollars de bénéfices net, la taille critique est atteinte qui permet de financer films et séries pour enrichir le catalogue. Netflix s’était lancé dans la production au tournant des années 2010 afin de ne plus dépendre des surenchères des studios sur le marché des droits. Il est devenu, dix ans plus tard, le premier producteur au monde, fort d’un catalogue suffisant pour que son service de streaming ne dépende plus de celui des autres, fort aussi d’une présence mondiale qui lui assure une croissance continue de son nombre d’abonnés. Pour Netflix, le modèle d’affaires imaginé semble gagnant (voir La rem n°53, p.67). Netflix a donc forcé les plus grands groupes de médias américains à réagir, confrontés qu’ils sont à la perte de leurs abonnés sur les chaînes de télévision payante ou à la perte d’audience de leurs chaînes en clair, du fait du développement de pratiques nouvelles de visionnage. Certes, Netflix ne représentait encore, début 2021, que 10 % de la durée d’écoute individuelle de programmes aux États-Unis, son premier marché. Mais cela suffit déjà pour fragiliser l’ancien écosystème de la production et de la distribution de programmes audiovisuels. Tous les éditeurs et tous les studios cèdent donc aux sirènes du streaming.
Parmi ces derniers, c’est Disney qui l’emporte avec le succès rapide de son service de streaming vidéo, Disney+, lancé fin novembre 2019 aux États-Unis, puis étendu progressivement au reste du monde en 2020. Le 9 mars 2021, moins d’un an et demi après son lancement, Disney indiquait avoir franchi la barre des 100 millions d’abonnés à son service de streaming vidéo alors qu’il ne visait que 60 à 90 millions d’abonnés dans le monde en 2024. Désormais, Disney+ espère entre 230 et 260 millions d’abonnés en 2024. La réussite du service est surprenante par sa rapidité, au point de remettre en question toute l’organisation du groupe Disney, qui a longtemps privilégié les salles pour construire la notoriété de ses licences, et qui s’est reposé aussi sur les recettes récurrentes de ses chaînes vendues par abonnement.
Reste que les succès d’usage de la vidéo en streaming par abonnement, et les succès commerciaux de Netflix et de Disney+, sont en train de verrouiller ce nouveau marché. À côté des deux géants, à côté aussi de l’offre d’Amazon, Prime Video (à part parce qu’elle est associée à un service de livraison de colis), seules peuvent espérer survivre des offres de complément, plus spécialisées ou alors de dimension nationale, afin de s’ériger en alternative aux catalogues mondialisés des géants du streaming vidéo. Même pour ces offres, la course à la taille reste essentielle afin de faire émerger, en urgence, un catalogue suffisamment vaste, ce qui explique pourquoi, en France, chaînes privées et publiques sont parvenues à s’entendre pour lancer ensemble le service de SVOD baptisé Salto.
Outre-Atlantique, ce changement dans les équilibres du marché affecte les studios américains. Alors que Netflix et Disney en dépendent de moins en moins, parce qu’ils ont chacun de grandes capacités de production, les studios sont conduits à distribuer eux-mêmes leurs contenus afin de valoriser les droits dont ils disposent. Mais cette entrée dans l’univers de la distribution donne à ses spécialistes un avantage qui provoque aux États-Unis un mouvement de consolidation en cascade.
L’alliance des tuyaux et des contenus a été conduite, aux États-Unis d’abord, au nom de la convergence, les opérateurs de réseaux cherchant, depuis toujours, à contrôler la distribution des offres payantes sur lesquelles ils prennent une commission, un modèle hérité des « câblos » (câblo-opérateurs). Les « telcos » (opérateurs de télécommunication) se sont donc alignés dans un premier temps sur cette stratégie, à l’instar d’AT&T qui a racheté successivement DirectTV en 2015 pour la distribution de bouquets payants (voir La rem n°30-31, p.64), puis Time Warner en 2018, avec ses studios et sa chaîne de prestige, HBO (voir La rem n°48, p.69). AT&T a dû toutefois se résoudre à constater l’échec de sa stratégie, le contrôle des tuyaux ne permettant pas, ou insuffisamment, de prescrire ses propres offres au détriment des concurrents.
Les services OTT (over the top), ceux qui ne dépendent pas d’un écosystème contrôlé de réseaux et de terminaux, l’ont finalement emporté. AT&T en a tiré les enseignements. En mars 2021, le groupe a annoncé loger dans une entité distincte ses activités de télévision payantes, ATT TV et DirecTV, dont il conserve 70 %, aux côtés du fonds TPG. Le nouvel ensemble est valorisé 16,3 milliards de dollars. Il avait été racheté 48,5 milliards six ans plus tôt, une période relativement courte qui aura vu la SVOD s’imposer face aux bouquets de chaînes de télévision. En revanche, au moment de la séparation d’avec DirecTV, AT&T confirmait son intérêt pour les actifs de Time Warner avec le lancement de HBO Max, le service de SVOD de la chaîne éponyme, lancé le 27 mai 2020 aux États-Unis. Tout a été fait pour imposer HBO face à Netflix, notamment le choix, dès la fin 2020, de sortir les films de la Warner directement sur le service de SVOD en même temps qu’en salles (voir La rem n°54bis-55, p.79). Un an après le lancement de HBO Max, WarnerMedia annonçait disposer en tout de 44,2 millions d’abonnés, ce chiffre incluant les abonnés SVOD et ceux abonnés aussi à la chaîne HBO, ce qui en fait un concurrent sérieux face à Netflix qui comptabilisait à la même époque 67 millions d’abonnés aux États-Unis. Mais le succès de HBO n’a pas contribué à attirer de nouveaux abonnés aux offres d’accès d’AT&T, signant la fin de la stratégie de convergence. Afin d’imposer encore mieux le service face à Netflix, Disney et Amazon Prime, AT&T a annoncé la scission d’avec WarnerMedia, le 17 mai 2021, pour le marier avec Discovery, un autre géant américain de la télévision, AT&T conservant 71 % du nouvel ensemble. L’alliance de WarnerMedia et de Discovery doit faire émerger une offre alternative aux trois leaders de la SVOD aux États-Unis, Netflix dominant grâce à son offre de séries, Disney disposant plutôt d’un catalogue de films, quand Amazon Prime joue la carte des droits sportifs en plus de son offre de films et de séries.
Si HBO est un acteur emblématique de la production de séries aux États-Unis, si la Warner dispose d’un catalogue conséquent de films, Discovery a pour lui de s’être positionné sur les « programmes d’ambiance » et le documentaire, donc des programmes adaptés aux chaînes thématiques, peu coûteux à produire, peu scénarisés, peu engageants aussi pour les téléspectateurs, mais fortement appréciés parce qu’ils autorisent une consommation plus passive de la télévision, conçue alors comme un véritable compagnon dans les foyers. Le groupe, un des principaux acteurs de la télévision payante aux États-Unis, a d’ailleurs attendu pour lancer son propre service de SVOD, Discovery+. Disponible depuis le 4 janvier 2021 aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Irlande et en Inde, celui-ci se veut un service de complément, facturé à 7 dollars par mois et à 5 dollars avec publicité. Et cette offre de complément semble essentielle pour nombre de foyers puisque Discovery+ comptait déjà 13 millions d’abonnés trois mois après son lancement, juste avant la fusion avec Warner Media. Ensemble, HBO et Discovery pourront donc proposer une large gamme de programmes couvrant toutes les attitudes possibles face à l’écran, de la série qui captive et suscite des pratiques de binge watching (boulimie de visionnage, en français ; voir La rem n°29, p.63) au documentaire animalier ou aux émissions culinaires.
Les rapprochements et les fusions ne concernent pas seulement les acteurs intégrés. Les studios encore indépendants sont eux aussi concernés par ce mouvement de consolidation. Certains d’entre eux ont les moyens de conserver leur indépendance, mais ils doivent traiter avec les services de SVOD qui sont devenus les nouveaux grands acheteurs sur le marché des droits audiovisuels et cinématographiques. Sony Pictures (ex-Columbia) a ainsi profité de la fin de son contrat avec la chaîne Starz pour signer des accords pluriannuels avec Netflix et Disney+ afin de les fournir en programmes ; Amblin Partners, les studios de Steven Spielberg depuis que ce dernier a cédé Dreamworks à NBCUniversal, ont, de leur côté, passé un accord de production avec Netflix tout en continuant à travailler avec NBCUniversal.
D’autres studios optent en revanche pour l’intégration quand ils n’ont plus, seuls, les moyens d’investir dans la production, les coûts de cette dernière faisant actuellement l’objet d’une surenchère liée à la demande très élevée de programmes originaux pour alimenter les nouveaux services de SVOD. C’est notamment le cas de la MGM qui s’est vendue à Amazon. Moyennant 8,45 milliards de dollars, le géant de l’internet a annoncé s’être emparé de l’un des derniers grands studios indépendants d’Hollywood le 26 mai 2021, l’opération lui permettant d’enrichir le catalogue de son service de SVOD Prime Video tout en privant ses concurrents de l’accès à des films cultes (les James Bond par exemple) et des séries qui ont fait le succès d’autres services de SVOD, ainsi de La Servante écarlate (The Handmaid’s Tale) produite pour Hulu. Cette opération souligne par ailleurs l’impératif de la consolidation pour les autres groupes : les moyens gigantesques d’Amazon sont sans commune mesure, comme ceux de Netflix ou de Disney qui profitent de leur très bonne valorisation boursière, ce qui les autorise à assécher progressivement l’accès aux droits. À titre d’exemple, Amazon dépense plus chaque année dans les contenus qu’il n’a payé les studios de la MGM. Le groupe s’est engagé aussi à dépenser 1 milliard de dollars par an pour diffuser des matchs de la NFL (National Football League). Autant dire que, face à ces grands acteurs – Netflix, Disney et Amazon Prime Video, auxquels il faut ajouter l’ensemble HBO-Discovery, et dans une moindre mesure Apple TV+ qui, comme Amazon, est liée à une plateforme –, seuls les seconds rôles sont encore possibles.
Ce constat a été établi par ViacomCBS, le groupe étant pourtant issu de la réunion de ses deux entités historiques afin, déjà, de mieux résister aux nouveaux concurrents (voir La rem n°52, p.70). Après avoir relancé son service de SVOD payante CBS All Access sous le nom de Paramount+, le 4 mars 2021, le groupe a annoncé qu’il allait intégrer dans son catalogue, juste deux mois après leur sortie en salle, les films de la Paramount et de Miramax. Mais il ne s’agit que d’un catalogue de 2 500 films qui permet difficilement de résister face aux offres pléthoriques des autres acteurs américains de la SVOD. ViacomCBS mise donc sur des services de complément, ainsi de son service de SVOD dédié aux séries, Showtime OTT, et surtout de son service d’AVOD (Advertising Supported Video on Demand), une offre de streaming vidéo financée par la publicité. Baptisé Pluto TV, le service est aussi déployé à l’échelle internationale, notamment disponible en France depuis le 8 février 2021. Pour ces services, le déploiement international est en effet prioritaire, car il permet d’amortir à grande échelle des coûts de production en hausse constante.
Quand s’imposer sur de nouveaux marchés est difficile, parce qu’Amazon, Netflix ou Disney+ sont déjà installés, des alliances entre acteurs historiques deviennent possibles même s’ils sont concurrents sur le marché américain. ViacomCBS s’est ainsi associé avec Comcast, qui contrôle Sky en Europe, Peacock et NBCUniversal aux États-Unis, pour lancer une offre de SVOD baptisée SkyShowtime, laquelle est disponible dans vingt pays européens depuis début 2021. Tous les pays européens ne sont pas concernés puisque ViacomCBS est déjà présent dans certains d’entre eux, comme Pluto TV en France.
Sources :
- « Discovery, un géant de la TV payante à l’assaut du streaming », Caroline Sallé, Le Figaro, 5 janvier 2021.
- « Discovery lance son service de streaming »,Nicolas Rauline, M. A., Les Échos, 5 janvier 2021.
- « Netflix prouve que son modèle économique n’était pas un mirage », Nicolas Madelaine, Les Échos, 21 janvier 2021.
- « Netflix dépasse les 200 millions d’abonnés payants », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 21 janvier 2021.
- « ViacomCBS lance Pluto TV, un Netflix gratuit », Caroline Sallé, Le Figaro, 22 janvier 2021.
- « Avec Paramount+ et Pluto TV, ViacomCBS contre-attaque face à Netflix », Nicolas Richaud, Les Échos, 22 janvier 2021.
- « AT&T recourt au spin-off pour sa télévision payante », Nicolas Madelaine, Les Échos, 1er mars 2021.
- « Disney+ atteint les 100 millions d’abonnés », Leïla Marchand, Les Échos, 11 mars 2021.
- « HBO Max fait mieux que Netflix aux États-Unis », Nicolas Richaud, Les Échos, 22 avril 2021.
- « Sony valorise ses films avec Netflix et Disney », Tifenn Clinke-maillié, Les Échos, 23 avril 2021.
- « Fusion de géants dans les médias américains », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 18 mai 2021.
- « AT&T procède à une scission de WarnerMedia en le mariant à Discovery », Nicolas Madelaine, Les Échos, 18 mai 2021.
- « Avec les studios MGM, Amazon s’apprête à boucler son deuxième plus gros achat », Nicolas Rauline, Les Échos, 26 mai 2021.
- « Amazon, nouveau géant de Hollywood, s’offre les studios MGM », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 27 mai 2021.
- « Amazon étend son empire dans les médias et le divertissement », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 2 juin 2021.
- « Comcast et Viacom s’allient pour mieux concurrencer Netflix en Europe », Fabio Benedetti Valentini, Les Échos, 20 août 2021.
- « ViacomCBS et Comcast scellent une alliance », Caroline Sallé, Le Figaro, 24 août 2021.