Des constructeurs de télévisions et de smartphones relocalisent leurs usines en Europe. Gigaset à Bocholt et Loewe à Kronach, tous deux en Allemagne, Crosscall à Aix-en-Provence, Hisense à Velenje, en Slovénie. Assisterait-on à un retour de la production ou de l’assemblage de produits électroniques sur le Vieux Continent ?
C’est l’un des effets de la pandémie de Covid-19 qui sévit depuis décembre 2019. La concentration des usines de production et d’assemblage de produits électroniques en Chine dévoile ses écueils : des coûts de transports internationaux parfois multipliés par dix – le prix d’un conteneur est passé de 2 000 à 20 000 dollars depuis la pandémie –, des délais de livraison de plus en plus longs, lorsqu’il est encore possible de passer commande de composants électroniques, et la prise de conscience d’une dépendance totale à d’innombrables produits, d’ailleurs bien au-delà du seul secteur électronique. La méfiance envers cet assujettissement à la Chine se traduit par des incitations gouvernementales et la volonté de certaines entreprises de relocaliser leurs usines de production ou d’assemblage en Europe.
Certaines productions n’avaient jamais quitté l’Union européenne mais, face aux difficultés, elles avaient fini par s’arrêter. Ainsi Loewe, fondée en 1923 et présente dans une cinquantaine de pays dans le monde, est une marque allemande de téléviseurs haut de gamme et de systèmes de divertissement audiovisuels qui s’obstine à poursuivre la production de ses produits à Kronach, en Allemagne. Après avoir frôlé la faillite en 2013, l’entreprise dépose le bilan en 2019. La firme chypriote Skytec qui la rachète choisit de maintenir son site de production en Allemagne afin d’axer le marketing de la marque sur le gage d’une « fabrication allemande ». De son côté, c’est pour se rapprocher de ses clients qu’une entreprise chinoise installe une usine en Europe. Hisense, entreprise créée en 1969 en Chine, a d’abord produit des postes de radio et des transistors pour le marché chinois.
C’est aujourd’hui un groupe coté à la Bourse de Shanghai qui emploie plus de 75 000 personnes et vend des produits électroniques (électroménager, smartphones et téléviseurs), dans plus de 130 pays, pour un chiffre d’affaires, en 2018, de quelque 18 milliards d’euros. Depuis 2020, l’entreprise assemble et emballe, depuis son usine de Velenje, en Slovénie, 4 millions de téléviseurs par an, destinés au marché européen. « Les dalles et les processeurs de nos téléviseurs sont fabriqués en Asie, mais assemblés en Europe nous permettant d’économiser sur le transport et les taxes et de faire remonter plus vite les retours des consommateurs et des distributeurs », explique Rémy Journé, le vice-président d’Hisense en France.
Quant à la marque allemande Gigaset, ancienne division Téléphonie de Siemens, également présente dans une cinquantaine de pays dans le monde, elle est l’un des derniers fabricants de smartphones en Europe, avec une capacité annuelle de production de 300 000 smartphones et 7 millions de téléphones fixes sans fil ni antenne – une invention Siemens. Fort de 900 salariés, le constructeur est basé à Bocholt, près de Düsseldorf, en Allemagne. Entité autonome de Siemens depuis 2005, Gigaset est revendue par le groupe allemand en 2008, avant que Pan Sutong, un homme d’affaires milliardaire de Hong Kong dont la fortune provient de l’immobilier, la rachète en 2015. La téléphonie fixe étant en déclin, il diversifie l’activité de l’entreprise en y ajoutant la vente de smartphones. Pendant trois ans, Gigaset se fournit d’abord en Chine et revend ses téléphones sous sa propre marque en Europe, mais, en 2018, elle décide de rapatrier la production en Allemagne. Ici encore, il s’agit d’être proche du client : en l’occurrence, des nombreuses entreprises qui commandent des téléphones spécifiques, tels ceux qui sont adaptés pour contrôler des billets de transport. « En Chine, on était un acheteur parmi tant d’autres, nous devions payer la marchandise tout de suite, mais nous la recevions quatre mois après. Or dans l’industrie du smartphone, il faut vite écouler les modèles. Dorénavant, on paye juste les composants quand ils arrivent à Hong Kong, et la semaine d’après, nous pouvons vendre nos téléphones » explique Jörg Wissing, chargé du projet de relocalisation chez Gigaset, dans des propos rapportés par Les Échos.
Créée en 2009 à Aix-en-Provence par Cyril Vidal, Crosscall est une société française de téléphonie portable dont les appareils, étanches et résistants, équipent notamment la SNCF, la police et la gendarmerie. Si les appareils ont toujours été assemblés en Chine, la pandémie de Covid-19 a fait dérailler l’activité de l’entreprise. Pour s’en sortir, le constructeur projette d’abord de rapatrier fin 2022 à Aix-en-Provence la production des accessoires de la marque, comme les trépieds ou les chargeurs, puis de relocaliser une usine d’assemblage de 80 000 smartphones par mois pour la fin de l’année 2023. Crosscall est aidé par l’exécutif français dans le cadre du plan France Relance, dont 720 millions d’euros ont été alloués au financement de projets industriels et de création d’usines sur le territoire. L’investissement total de Crosscall pour ce projet de réindustrialisation s’élève à 15 millions d’euros. Depuis sa création, l’entreprise a déjà écoulé 3,5 millions de téléphones, dans dix-neuf pays, et réalisait, en 2021, un chiffre d’affaires proche de 70 millions d’euros.
Ces relocalisations ne répondent qu’en partie à l’inquiétude concernant la souveraineté des pays européens. « Il n’y a pas encore de très gros projets, ce sont surtout des stratégies de niche » explique David Cousquer, du cabinet Trendeo. Mais la tendance est là. Néanmoins, la hausse considérable des prix de l’énergie en Europe pourrait freiner la course à la compétitivité des usines sur le marché européen.
Sources :
- « Relocalisation : Crosscall, le pari du smartphone made in France », Raphaël Balenieri, business.lesechos.fr, 4 mars 2022.
- « Produire des smartphones en Europe : le pari fou de Gigaset », Raphaël Balenieri, lesechos.fr, 18 juillet 2022.
- « Relocalisations : la high-tech revient peu à peu en Europe », Raphaël Balenieri, Florian Dèbes, lesechos.fr, 18 juillet 2022.
- « Reportage : découvrez l’usine où on assemble les derniers smartphones Made in Europe », Adrian Branco, 01net.com, 30 juillet 2022.