Redevance, TVA : la France repense le financement du service public audiovisuel

En supprimant la redevance, le gouvernement ouvre dès 2022 un débat de fond sur le périmètre et le budget de l’audiovisuel public. En optant pour un financement par la TVA pendant deux ans, il reporte à 2025 l’entrée de la réforme d’ampleur qui semble désormais inévitable.

Mettre fin à la redevance pour redonner du pouvoir d’achat au Français : l’annonce du candidat Emmanuel Macron a surpris car la même mesure était proposée par l’extrême droite avec, à la clé, la suppression du service public audiovisuel. Révélée le 7 mars 2022, dès le premier meeting d’Emmanuel Macron, la suppression de la contribution à l’audiovisuel public (CAP) a été aussitôt assortie de garanties sur le financement du service public audiovisuel et son indépendance, afin que toute confusion avec les propositions de l’extrême droite soit évitée. La suppression de la CAP a été présentée comme une mesure technique, sa perception étant liée à celle de la taxe d’habitation qui disparaît en 2023. Elle est donc remplacée par une loi de programmation pluriannuelle, comme c’est le cas pour le budget des armées ou de la recherche. Autant dire que le financement de l’audiovisuel public relève dans ce cas du budget de l’État. C’est une bonne nouvelle, ont expliqué les proches du candidat. La CAP n’était pas un impôt progressif et les Français veulent du pouvoir d’achat. La mesure permet de ne pas prélever 138 euros par foyer en France métropolitaine et 88 euros dans les territoires ultramarins. Pour ceux qui en étaient déjà exonérés, rien ne change. Enfin, un autre argument est avancé : la télévision n’est plus le seul moyen de regarder films et séries, donc la CAP est dépassée.

Sauf que la mesure n’est pas neutre. Supprimer la redevance, c’est poser la question du financement du service public et, donc, de son périmètre et de ses missions. C’est aussi poser la question de sa légitimité. En ce qui concerne son financement, la CAP représentait, en 2020, 3,1 milliards d’euros. Elle concerne 28 millions de foyers français alors que seuls 23 millions de foyers la paient effectivement, certains déclarant ne pas avoir de poste de télévision, d’autres étant exonérés (bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés, personnes de plus de 60 ans en dessous d’un certain niveau de revenus). Cette exonération est compensée par l’État à hauteur de 653,5 millions d’euros. En tout, la CAP représente donc 3,7 milliards d’euros pour l’audiovisuel public, soit 89 % de ses recettes.

En ce qui concerne sa légitimité, plusieurs facteurs sont à prendre en compte. La CAP établissait, comme taxe spéciale, un lien direct entre le citoyen et le service public audiovisuel. Ce lien est remplacé par une ligne budgétaire du projet de loi de finances. Or, même avec une loi de programmation pluriannuelle, une ligne budgétaire est toujours modifiable, et par conséquent l’indépendance financière des groupes toujours exposée, et elle offre surtout des possibilités multiples de lobbying, soit pour faire passer un amendement en faveur des producteurs, soit pour en introduire un autre qui arrange les petits diffuseurs, ou les gros, etc. Autant dire que la politisation du financement du service public audiovisuel est inévitable, même si idéaliser la CAP est naïf : il a toujours été possible de geler la redevance, d’en baisser ou d’en augmenter le montant, donc de faire pression sur les finances de l’audiovisuel public. Les dirigeants de l’audiovisuel public le savent qui, malgré leurs contrats d’objectifs et de moyens (COM), sont à la merci de revirements budgétaires toujours possibles. Leur indépendance, quoique nommés par l’Arcom (Autorité publique française de la communi­cation audiovisuelle et numérique), est en ce sens tout à fait relative.

Les enjeux sont donc plus importants que ceux d’une simple mesure technique, ce qui explique les débats et les amendements portant sur la suppression de la CAP, au titre du premier article du projet de la loi de finances rectificative présenté par le nouveau gouvernement après la réélection d’Emmanuel Macron. Si le gouvernement s’est, dans un premier temps, engagé à verser en une seule fois les montants dévolus au financement de l’audiovisuel public, évitant ainsi le risque d’une variation infra-­annuelle, les avertissements lancés par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires culturelles, tout comme les demandes d’une partie de l’opposition, notamment Les Républicains, ont conduit à une modification du projet, voté le 23 juillet 2022 à l’Assemblée nationale. Finalement, la CAP est remplacée pendant deux ans par une fraction de la TVA votée par le Parlement, ce qui octroie à ce dernier un droit de regard sur le financement de l’audiovisuel public, le temps d’organiser un débat de fond sur le nouveau périmètre et les nouvelles modalités de finan­cement de l’audiovisuel public, qui devront entrer en vigueur en 2025. Saisi en recours par les députés de la France insoumise, le Conseil constitutionnel a validé le dispositif le 12 août 2022.

Les dispositifs possibles pour 2025 sont nombreux et dépendent du périmètre qui sera celui de l’audiovisuel public. Dans un rapport de juin 2022 signé par Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet, le Sénat propose une entreprise unique qui réunirait l’ensemble des médias de service public. La présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, n’y est pas opposée. À l’inverse, la présidente de Radio France, Sibyle Veil, a insisté sur la différence des métiers entre radio et télévision. En effet, l’information est le seul champ où télévisions et radios de service public peuvent véritablement coopérer. Cette coopération est déjà bien avancée même si une rédaction commune, envisagée dans le rapport du Sénat, n’est pas à l’ordre du jour. Dans l’information nationale, l’offre numérique est portée par les médias de service public réunis dans franceinfo.tv. Dans l’information locale, certains journaux télévisés sont mutualisés entre France Bleu et France 3, et l’offre numérique des deux médias est fédérée depuis avril 2022 en un site et une application commune. Ce rapprochement a déjà des conséquences éditoriales. France Télévisions a ainsi décidé, pour la rentrée de septembre 2022, de supprimer les JT nationaux du midi et du soir sur France 3, remplacés par une édition nationale prise en charge par le présentateur de chacune des vingt-quatre antennes régionales de France 3. Les journaux nationaux sont donc désormais l’apanage de France 2, dont la rédaction met à disposition des sujets pour le traitement de l’actualité nationale par les antennes régionales.

Il faudra aussi imaginer les conditions d’élaboration des budgets du service public audiovisuel, le texte voté prévoyant la suppression de la CAP, mais pas les montants alloués aux médias de service public. En Espagne et aux Pays-Bas, ce financement repose sur une ligne budgétaire inscrite dans la loi de finances, laissant donc au gouvernement une très large marge de manœuvre. Cette solution est dénoncée par Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde, qui souligne un risque pour l’audiovisuel extérieur de la France, lequel serait alors considéré comme un média gouvernemental et non plus comme un média indépendant de service public. Une autre solution est de conserver le mode actuel de financement en déterminant les montants alloués à l’audiovisuel public dans les contrats d’objectifs et de moyens et en confiant cette négociation à une commission indépendante, ce que propose le rapport du Sénat en s’inspirant du modèle allemand.

Sources :

  • « Macron veut remplacer la redevance par un financement pluriannuel », Nicolas Madelaine, F.B.V., Les Échos, 9 mars 2022.
  • « Redevance : Macron secoue l’audiovisuel public », Caroline Sallé, Enguérand Renault, Le Figaro, 9 mars 2022.
  • « Audiovisuel public : la fin de la redevance n’est pas un détail », Nicolas Madelaine, Les Échos, 7 avril 2022.
  • « Les Français ne paieront plus la redevance télé dès la rentrée », Isabelle Couet, Les Échos, 13 mai 2022.
  • « Un rapport sénatorial ressuscite l’idée d’une « BBC à la française » », Fabio Benedetti Valentini, Les Échos, 9 juin 2022.
  • « Sibyle Veil : « Je ne suis pas favorable à la fusion de l’audiovisuel public » », Enguérand Renault, Caroline Sallé, Le Figaro, 24 juin 2022.
  • « France 3 : les JT nationaux disparaissent », Enguérand Renault, Le Figaro, 6 juillet 2022.
  • « Ernotte pour la fusion de l’audiovisuel public », Enguérand Renault, Cyprien Cammas, Le Figaro, 7 juillet 2022.
  • « Suppression de la redevance TV : l’administration appelle à la prudence », Sébastien Dumoulin, Les Échos, 18 juillet 2022.
  • « La redevance audiovisuelle remplacée par de la TVA », Marina Alcaraz, Les Échos, 25 juillet 2022. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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