Doctissimo, Marmiton, Aufeminin : Reworld s’empare des marques numériques de TF1 qui préfère désormais se concentrer sur le développement de son offre vidéo en ligne.
Le 28 juin 2022, TF1 a annoncé la cession à Reworld Media de son pôle Unify Publishers, c’est-à-dire l’essentiel de l’offre numérique du groupe, hors activités audiovisuelles. Il s’agit d’un changement radical de stratégie pour le groupe qui, confronté à la faible croissance du marché publicitaire à la télévision, avait cherché à se positionner sur le numérique où les investissements des annonceurs sont beaucoup plus dynamiques (voir La rem n°41, p.37). TF1 revendiquait même une offre d’exception en couplant la puissance de ses écrans de télévision, notamment ceux de sa chaîne amirale, et les possibilités de ciblage offertes par ses activités en ligne. La première garantit une couverture massive de la population quand la seconde offre, grâce aux données récoltées, les moyens de répéter le message publicitaire auprès de ceux parmi les plus concernés, et de toucher aussi plus efficacement les 25-34 ans, moins présents devant les postes de télévision. C’est d’ailleurs au nom de la nécessité de collecter des données sur les internautes pour disposer de ce complément à l’offre d’écrans à la télévision que TF1 avait consenti des dépenses importantes pour constituer son pôle numérique. Le groupe avait ainsi racheté près de 80 % du capital d’Aufeminin.com à Springer en 2018, valorisant l’ensemble à 364 millions d’euros (voir La rem n°45, p.29).
Depuis, TF1 a revu son positionnement sur le marché publicitaire. En ligne, pour la partie display – c’est-à-dire les encarts classiques, les vidéos et les annonces sur les réseaux sociaux numériques –, la croissance est captée pour l’essentiel par le groupe Meta (Facebook), longtemps en position de force grâce à la masse de données récoltées sur ses utilisateurs, ce qui le rend incontournable sur le marché de la publicité dite « programmatique » (voir La rem, n°42-43, p.92). S’ajoute à cette redoutable concurrence le fait que le marché du display est de plus en plus menacé par les politiques de protection des données personnelles promues par Apple. Avec son dispositif d’App Tracking Transparency, Apple a limité les possibilités de récolte des données pour les utilisateurs d’iPhone, donc les possibilités de ciblage pour la publicité, dégradant ainsi le prix de l’affichage publicitaire (voir La rem n°61-62, p.61). Stratégiques dans les années 2010, alors que la publicité display était très dynamique, les investissements de TF1 dans une galaxie de sites web sont désormais moins porteurs, ce dont atteste la dépréciation, en 2020, de l’ensemble Unify Publishers dans les comptes du groupe, puisque sa valeur a été ramenée à seulement 75 millions d’euros.
Mais la cession à Reworld Media, connu pour savoir exploiter des marques dans les univers numériques, s’explique aussi par l’évolution du marché audiovisuel lui-même. Avec le succès du streaming vidéo et l’envolée de la consommation à la demande depuis la crise sanitaire, qui a marqué un tournant, les offres de replay des chaînes se transforment progressivement en pôle numérique à part entière pour les chaînes de télévision, et plus seulement en offre de complément. Dès lors, il est possible, dans ces environnements, de récupérer des données sur les utilisateurs, de cibler l’affichage publicitaire et de fournir autrement, mais dans un même univers de marque, une complémentarité aux annonceurs entre écrans linéaires et services de médias à la demande. Autant dire que TF1 n’a plus besoin d’Unify pour continuer à proposer une offre complète aux annonceurs, ce que le groupe a autrement indiqué en annonçant la cession de ses activités numériques afin de se concentrer sur son cœur d’activité dans l’audiovisuel.
Pour Reworld Media, qui s’était imposé comme l’un des principaux groupes de médias en France avec le rachat de Mondadori en 2019 (voir La rem n°49, p.44), les actifs de TF1 le font encore changer de dimension. Cette fois-ci, il s’agit de médias numériques, donc la stratégie est différente – qui voyait jusqu’ici Reworld Media s’emparer principalement de marques construites dans la presse papier pour les basculer ensuite en ligne. Reworld devra plutôt redéployer les marques d’Unify sur le numérique avec, comme il l’a fait ailleurs, le développement de propositions éditoriales pour les marques éloignées des canons du journalisme. La méthode Reworld va être appréciée différemment. En effet, les sites concernés ne sont pas tous des sites d’information stricto sensu, ainsi d’Aufeminin ou de Marmiton, même si les enjeux déontologiques peuvent être importants, par exemple pour Doctissimo, autre site du pôle Unify. D’autres marques sont en revanche de vrais pure players d’information, comme ZDnet.
Sources :
- « TF1 peine à s’imposer dans le monde numérique », Marina Alcaraz, Les Échos, 22 juin 2021.
- « Reworld veut être consolidateur de l’industrie des médias », Nicolas Madelaine, Les Échos, 30 mars 2022.
- « TF1 revend aufeminin et Marmiton à Reworld Media », Fabio Benedetti Valentini, Les Échos, 29 juin 2022.