Taxer les revenus des plateformes de streaming pour financer la filière musicale en France
Le Centre national de la musique (CNM), établissement public créé en janvier 2020, se veut être à la filière musicale ce que le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) est à celle du cinéma, ou bien ce que le Centre national du livre représente pour l’édition, depuis leur création en 1946. Ces vingt dernières années, le numérique a définitivement redessiné les contours d’une industrie culturelle dont les usages se multiplient autant qu’ils évoluent, et sont notamment portés par l’avènement des plateformes de streaming, par une forte concurrence internationale et par l’évolution des modes de production. L’idée de structurer la filière musicale remonte à plus de dix ans. Malencontreusement inauguré en 2020, l’année du Covid-19, « le CNM n’a jamais connu de fonctionnement normal, ni du point de vue budgétaire, ni du point de vue de l’exercice des missions que la loi lui a assignées ». Les auteurs du rapport entendent ainsi proposer une « nouvelle stratégie qui doit faire du CNM le bras armé d’une politique pérenne en faveur de la filière musicale française ». Sa mise en place répond au besoin de rassembler la filière musicale éparpillée entre les cinq organismes que sont le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), le Fonds pour la création musicale (FCM), le Bureau Export de la musique française (Burex), le Club Action des labels et des disquaires indépendants français (Calif) et le Centre d’information et de ressources pour les musiques actuelles (Irma).
L’ambition et les moyens d’action du CNM doivent tout à la fois porter sur le développement international des créations françaises, sur le numérique et sur la structuration nationale de la filière pour assurer et promouvoir la souveraineté culturelle de la France en matière de musique. Le rapport issu de la mission confiée au sénateur Julien Bargeton dresse un état des lieux économique de la filière musicale (partie 1) et du paysage institutionnel au sein duquel il évolue (partie 2). Aux failles d’un marché nécessitant une intervention publique (partie 3), une stratégie de la filière musicale est proposée (partie 4) ainsi que les ressources sur lesquelles elle pourrait s’appuyer (partie 5).
Ainsi, les auteurs du rapport envisagent la création d’une taxe sur le streaming. Lancée à la fin de l’année 2022, cette idée est loin de faire l’unanimité parmi les acteurs de la musique avec, d’un côté, les partisans d’un tel mécanisme financier – au rang desquels la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), les producteurs de disques, les producteurs de spectacles, les labels indépendants – et, de l’autre, les majors et les plateformes de streaming qui y sont opposés, préférant une taxe sur les services numériques (TSN), services fournis par les Gafam. Le rapport préconise de fixer cette nouvelle taxe à 1,75 % des revenus des plateformes de streaming. Selon le dossier de presse du « Projet de loi relatif à la taxation des grandes entreprises du numérique » du ministère de l’économie et des finances en date du 6 mars 2019, cité par le rapport, « l’écoute en streaming correspond au mode de consommation à la fois majoritaire (61 % des revenus 2022 de la musique enregistrée) et le plus porteur (+13 % par rapport à 2021) », même si – et ce sont les arguments des plateformes de streaming –, « ni Spotify ni Deezer n’ont dégagé de bénéfices depuis leur création, les comptes d’Apple Music ou d’Amazon Music ne sont pas accessibles et n’ont pas été communiqués à la mission ». Le risque est donc que cette contribution soit reportée sur le consommateur final.
Le rapport suggère également que le « périmètre de la taxe billetterie soit modifié afin d’y inclure toutes les musiques ». Cette taxe sur les spectacles de variété créée en 2003, qui représente environ 35 millions d’euros, a son équivalent au profit de l’Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP). Or, comme l’expliquent les auteurs, « seule une partie du spectacle vivant musical est visée, le périmètre correspondant à celui de l’ancien Centre national des variétés (CNV) et excluant (tacitement) la musique classique et contemporaine et (explicitement) la musique traditionnelle ; le périmètre de la taxe inclut des spectacles n’ayant pas de composante musicale ou alors de façon marginale (cabaret, humour, spectacles sur glace) ; le partage entre le CNM et l’ASTP pour les spectacles d’humour et les comédies musicales n’est pas résolu par la nature du spectacle mais par le statut d’adhérent ou non à l’ASTP du théâtre dans lequel ils sont représentés ». Ce qui provoque parfois des contentieux entre le CNM et l’ASTP pour déterminer qui doit collecter la taxe pour un spectacle donné. Ces tensions pourraient être résolues en modifiant le champ de la taxe, puisque, ayant vocation à structurer l’ensemble de la filière musicale, le CNM rendra « obsolète la partition entre le champ « variétés » et celui des musiques « savantes » », ce qu’admettent d’ailleurs la majorité des acteurs de la musique classique et contemporaine, ainsi que les acteurs de la variété. Ce rapport, particulièrement attendu par l’ensemble des professionnels de la filière musicale, est un pas de plus vers la « maison commune de la musique » où se joue l’avenir de la musique française.
La stratégie de financement de la filière musicale en France. Faire du Centre national de la musique l’outil d’une nouvelle ambition, mission du sénateur Julien Bargeton, avec les rapporteurs François Hurard, Guillaume Lachaussée, Aude Charbonnier, ministère de la culture, avril 2023.