En France, les chaînes de télévision misent sur l’information

Diversification de l’offre éditoriale des chaînes tout-info, multiplication des matinales d’information, présence sur les réseaux sociaux… les chaînes parient sur l’information pour se démarquer et renforcer leurs liens avec leurs publics.

La France a fait le choix de la profusion en matière d’information télévisée. Alors que l’offre à la télévision – le média de masse par excellence, avec la radio – était à l’origine très limitée, avec deux JT nationaux (TF1 et France 2) et un JT régional (France 3), les chaînes ont compris progressivement que l’information allait être un élément décisif de leur identité. En 2009, M6 a ainsi lancé son premier JT avec présentateur, en plus court et en décalé (à 19 h 45). Mais c’est avec la TNT (télévision numérique terrestre) que l’information s’est imposée en grand à la télévision. Dès le premier élargissement de l’offre de chaînes en 2005, BFM TV est née comme un projet éditorial tout-info original, reproduisant en France un modèle à la CNN conçu autour de l’actualité chaude (le hard news) et l’évènement (les breaking news). I-Télé, diffusée historiquement dans l’offre payante de CanalSat, passait en clair à la même occasion. C’est BFM TV qui s’imposera dans un premier temps, sans véritable alternative jusque dans la deuxième moitié des années 2010 où l’offre « tout-info » va se multiplier et se diversifier. Une autre chaîne tout- info existait en France, LCI, éditée par le Groupe TF1 et conçue à l’origine pour la télévision payante par satellite. Avec la TNT, elle va se retrouver marginalisée en étant réservée aux seules offres payantes. Conscient de son erreur stratégique, le Groupe TF1 obtiendra le droit de basculer LCI sur la télévision numérique terrestre en clair à partir de 2016 (voir La rem n°37, p.5). Débordée, dépassée par la performance de BFM TV sur les breaking news lors des attentats de 2015 notamment, France Télévisions obtiendra à son tour sa chaîne tout-info sur la TNT, là encore en 2016 (voir La rem n°40, p.20). Ainsi, depuis le milieu des années 2010, la TNT française en clair totalise quatre chaînes d’information en continu sur un total de vingt-six chaînes, ce qui fait beaucoup. Seule BFM TV est rentable et les trois autres cherchent à s’en démarquer pour mieux exister auprès des publics.

L’évolution de la tranche horaire de l’acces prime time est, à cet égard, particulièrement significative. BFM TV, dont l’offre d’information a été pensée pour la toute nouvelle TNT, à l’origine, ne s’est pas positionnée de manière offensive face à la toute-puissance des JT sur les chaînes historiques. La tranche horaire de 20 heures à 21 heures a été, dans un premier temps, composée de rediffusions de documentaires et de flashs info. Chaînes tout-info et JT semblaient alors cohabiter, les premières prenant en charge le hard news quand les seconds exploraient plus en détail et autrement l’actualité quotidienne.

Mais, après s’être imposée, BFM TV va susciter des stratégies de contre-programmation de la part de ses rivales « tout-info ». ITélé, devenue CNews en 2017, va miser sur le débat et installer des animateurs populaires en acces prime time, dont Pascal Praud avec son émission « L’heure des pros 2 ». Quant à LCI, elle a fait un choix thématique en 2021 avec la priorité donnée à l’actualité internationale, notamment les conflits en Ukraine et dans la bande de Gaza. Pour CNews comme pour LCI, cette stratégie de contre-programmation s’est révélée payante. CNews, qui fait de l’information le support d’un débat d’opinions, s’est ainsi imposée devant BFM TV deux semaines consécutives fin décembre 2023, même si BFM TV reste leader en France en nombre de téléspectateurs (12 millions par jour contre 8 millions pour CNews en 2023, 6 millions pour LCI et 5 millions pour franceinfo). Mais CNews est regardée plus longtemps que ne l’est BFM TV puisqu’une émission de débat engage plus le téléspectateur qu’un flash info. Ce faisant, CNews a fait la preuve qu’un journalisme engagé était attendu d’une partie du public, au point d’avoir conduit BFM TV à repenser son offre. La chaîne spécialisée sur l’actualité chaude, dont la figure journalistique est le reporter sur le terrain, s’est résolue à son tour à des émissions en plateau avec la programmation, en acces prime time, de « Calvi 3D », diffusée depuis septembre 2021. À la rentrée 2023, le « 20 h de Ruquier », présenté par l’animateur star éponyme, a pris le relais de « Calvi 3D » après 20 heures pour singulariser encore mieux l’offre de BFM TV. Ce pari, parce que Laurent Ruquier est d’abord un spécialiste du talk et de l’infotainment, ne s’est pas avéré gagnant. Laurent Ruquier a lui-même annoncé mettre fin à l’aventure en décembre 2023, laissant de nouveau la place à « Calvi 3D » qui, depuis janvier 2024, a retrouvé sa tranche horaire de 18 h 50 à 20 h 30.

C’est que Laurent Ruquier a dû contrer l’offre éditoriale de CNews mais aussi l’offre des autres chaînes généralistes qui exploitent autrement l’actualité. Laurent Ruquier n’est pas parvenu à s’imposer face à Pascal Praud sur CNews parce que celui-ci traite de l’actualité générale et politique avec ses chroniqueurs très à droite, ce qui lui permet d’exploiter une large niche commerciale limitée aux téléspectateurs proches de cette vision du monde, et qui sont donc difficiles à faire basculer vers d’autres programmes. Laurent Ruquier, connu pour son ton positif et son passé d’animateur enjoué, s’est aussi retrouvé face à des manières de faire du journalisme plus proches de l’infotainment, comme on peut en trouver dans des émissions comme « Quotidien » sur TMC, laquelle mélange talk divertissant et séquences d’information stricto sensu. Certes, « Quotidien » cible les jeunes actifs quand BFM TV a un public de CSP+, mais, à l’évidence, la concurrence se joue aussi entre chaînes tout-info et chaînes généralistes. Ces dernières misent, en effet, sur l’actualité, parce que c’est un moyen sûr de se démarquer des services de streaming vidéo et de renforcer leur identité. Cette stratégie s’illustre notamment sur les matinales, où l’enjeu commercial est faible mais l’enjeu d’image important.

Ce moment de la journée a depuis toujours été monopolisé par la radio mais fédère quand même 3 millions de téléspectateurs par jour à la télévision, entre 7 heures et 9 heures, quand le prime time, après 21 heures, compte 20 millions de téléspectateurs. Cette audience faible a longtemps poussé les chaînes à sous-investir la case horaire, laissant un boulevard au groupe audiovisuel public qui a imposé sa matinale d’info, « Télématin ». Sauf que BFM TV a fait la preuve qu’il y avait aussi de la place pour un autre public le matin, adepte des flashs info avant d’aller au travail, au profil CSP+, puisque 20 % de l’audience de BFM TV est captée sur cette tranche horaire. Ensemble, les quatre chaînes tout-info rassemblent chaque matin 1 million de téléspectateurs contre 740 000 pour « Télématin » selon Le Figaro du 11 décembre 2023. La case est ainsi devenue plus stratégique pour les chaînes, au point de conduire le Groupe TF1 à lancer lui aussi une matinale d’information à la télévision sur sa chaîne amirale à partir de janvier 2024. En débauchant Bruce Toussaint de BFM TV pour présenter sa matinale, baptisée « Bonjour ! », le Groupe TF1 signale à cet égard l’importance de l’information dans la stratégie de la chaîne, la « matinale de TF1 » venant compléter les rendez-vous du 13 heures et du 20 heures.

Sur le service public audiovisuel, le développement de franceinfo repose sur l’affirmation de la mission d’intérêt général du service public, ce qui amène le groupe audiovisuel à chercher à toucher le public le plus large possible. Pour ce faire, il faut miser aussi sur le numérique pour toucher notamment les moins de 35 ans. Le service public audiovisuel se veut exemplaire. La chaîne franceinfo a d’abord été lancée sur le web avant d’émettre sur la TNT, et la priorité donnée au numérique s’impose chaque jour davantage. Alors que l’audience des chaînes tout-info a fortement augmenté lors des émeutes de juin 2023 suite à la mort de Nahel lors d’un contrôle de police qui a dégénéré, elle est restée assez âgée quand les plus jeunes ont préféré les réseaux sociaux numériques pour s’informer. Même si cet évènement n’en est pas la cause directe, il témoigne de la nécessité pour les médias d’information de se positionner aussi en ligne, dans d’autres environnements, s’ils souhaitent toucher l’ensemble de la population. Le 18 septembre 2023, France Télévisions a donc lancé son JT quotidien pour les 12-18 ans. Baptisé « C quoi l’info », il est diffusé à 18 heures sur TikTok et Snapchat en séquences d’une minute, et sur YouTube dans sa version longue de cinq minutes, avant d’être diffusé à 18 h 55 sur franceinfo. Ce JT est tourné dans un studio qui reprend les codes des streamers et évite les formules journalistiques aujourd’hui étrangères à la jeunesse (l’exemple donné par Célia Mériguet, en charge du numérique chez France Télévisions, est l’expression « le locataire de la place Beauvau »). Le mouvement inverse s’opère également puisque France 2 a recruté Hugo Travers (connu pour sa chaîne « Hugo décrypte ») afin de réaliser des interviews le samedi dans une émission qui mise tout sur sa notoriété pour attirer sa communauté de 10 millions de followers vers le petit écran. De son côté, le Groupe TF1 a lancé le 8 janvier 2024 son JT en ligne « Top Info », autour du décryptage quotidien de cinq sujets d’actualités. Ce JT en ligne est intégré à son service d’AVOD (vidéo à la demande financée par la publicité) TF1+, lancé le même jour. La chaîne proposait déjà sur son service de replay un JT personnalisé et elle était présente sur les réseaux sociaux avec TF1 One depuis 2017, une offre d’info pour les jeunes lancée suite au rachat de MinuteBuzz. Elle a annoncé renforcer son offre avec des contenus produits uniquement pour les réseaux sociaux en prenant, pour chef de file, le journaliste Paul Larrouturou, un ancien journaliste à « Quotidien » qui officiait depuis sur LCI.

À l’évidence, cette profusion de choix éditoriaux, de formats pour l’information, de profils aussi, puisque des journalistes venus de « Quotidien » ou de YouTube s’imposent désormais dans des émissions classiques sur le petit écran, souligne combien il est difficile de maintenir encore les cadres interprétatifs traditionnels sur le journalisme qui ont été mobilisés jusqu’au début des années 2000. Les chercheurs québécois Jean Charron et Jean de Bonville parlaient ainsi de paradigmes, donc de représentations dominantes sur les manières les plus légitimes de faire du journalisme, et avaient fait succéder le journalisme d’information au journalisme d’opinion, avant que celui-ci ne soit progressivement remplacé par un journalisme de communication. Ce dernier s’incarne parfaitement dans la figure d’Hugo Travers ou de Pascal Praud, mais force est de constater que l’engagement de Pascal Praud le rapproche aussi du journalisme d’opinion. Quant au journalisme d’information, celui des rédactions qui misent sur l’objectivité et un compte rendu exhaustif des faits, il serait « vieux jeu » et inadapté aux réseaux sociaux numériques. Mais il s’incarne en partie dans la chaîne BFM TV qui s’est largement imposée dans le domaine du « tout-info » et il s’incarne encore dans les JT qui n’ont pas cédé à la tentation de faire de leur présentateur le cœur de la séquence d’information proposée, laissant aux journalistes sur le terrain le soin de rendre compte des faits et de leurs contextes. C’est, d’ailleurs, encore le pari de BFM en régions qui, après avoir lancé plus de dix chaînes locales, envisage d’obtenir une fréquence nationale de TNT lors des enchères qu’organisera l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), en 2025, pour le renouvellement de quinze d’entre elles. À cette occasion, les fréquences des chaînes de la TNT payante, qui n’ont objectivement plus de raison d’être, pourraient venir renforcer l’offre en clair.

Sources :

  • Sallé Caroline, « Les chaînes d’info dopées par les émeutes », Le Figaro, 4 juillet 2023.
  • Sallé Caroline, « BFM veut se consolider en développant de nouvelles chaînes », Le Figaro, 1er septembre 2023.
  • Sallé Caroline, « France Télévisions crée un JT pour les jeunes qui désertent la grand-messe du « 20 Heures » », Le Figaro, 14 septembre 2023.
  • Meffre Benjamin, « « C quoi l’info ? » : France Télévisions lance un JT à destination des 12-18 ans », leparisien.fr, 14 septembre 2023.
  • Baït-Darcourt Céline, « Le youtubeur Hugo Travers arrive sur France 2 », francetvinfo.fr, 23 octobre 2023.
  • Sallé Caroline, « « Télématin », « Bonjour ! », BFMTV… La guerre des matinales est déclarée », Le Figaro, 11 décembre 2023.
  • Sallé Caroline, « CNews, l’ex-petite chaîne d’info qui fait vaciller le leader BFMTV », Le Figaro, 12 décembre 2023.
  • Benedetti Valentini Fabio, « Laurent Ruquier quitte un BFMTV défié sur son terrain », Les Échos, 27 décembre 2023.
  • Sallé Caroline, « Laurent Ruquier, l’arme anti-Pascal Praud de BFMTV qui s’est enrayée », Le Figaro, 27 décembre 2023.
  • Benedetti Valentini Fabio, Loignon Stéphane, « Avec « Bonjour ! », TF1 relance la guerre des matinales », Les Échos, 27 décembre 2023.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)