Malgré les engagements pris en 2022, les relations entre Google et les éditeurs de presse sont encore trop opaques selon l’ADLC, qui inflige une nouvelle amende au géant californien et précise que les accords sur le droit voisin ne valent pas accord pour l’entraînement des IA.
La France fut la première à transposer dans son droit national la directive du 17 avril 2019 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans le marché unique numérique. La loi du 24 juillet 2019 a ainsi imposé aux moteurs de recherche et à tous ceux qui tirent profit de la reprise et du partage des contenus des médias d’information de participer à leur financement au titre du droit voisin (voir La rem n°54, p.10). Mais il fallait, au préalable, convenir avec les éditeurs de la manière de les rémunérer. La négociation fut longue et, selon l’Autorité de la concurrence (ADLC), inéquitable : le 13 juillet 2021, elle infligeait une amende de 500 millions d’euros à Google (voir La rem n°60, p.5) pour ne pas avoir négocié « de bonne foi » avec les éditeurs. Elle reprochait notamment à Google d’avoir intégré dans les accords de rémunération la participation à News Showcase, l’application d’informations du groupe (voir La rem n°56, p.32). Google a donc dû se résoudre à signer de nouveaux accords avec les éditeurs, limités à la seule rémunération au titre du droit voisin (voir La rem n°61-62, p.9). Ces nouveaux accords, assortis d’engagements de transparence dans la négociation, ont été acceptés par l’ADLC, le 21 juin 2022, qui les a rendus contraignants, considérant que le terrain d’entente trouvé entre Google et les éditeurs devait désormais servir de référence pour tous les accords de rémunération au titre du droit voisin (voir La rem n°63, p.9).
Si le revirement de Google semblait exemplaire, alors que Microsoft ou X refusent toujours de négocier avec les éditeurs, la mise en œuvre des engagements n’a pas semblé irréprochable à l’ADLC. Début 2024, elle envoyait aux éditeurs une série de questions dans le cadre d’une enquête sur le respect de ses engagements par Google. Cette demande anticipait de six mois la reprise des négociations entre éditeurs et intermédiaires pour le renouvellement des contrats de rémunération au titre du droit voisin, ces derniers s’achevant fin décembre 2024. Las, le 20 mars 2024, l’ADLC condamnait Google à une amende de 250 millions d’euros pour non-respect des engagements pris en 2022, une amende jugée « disproportionnée » par Google, qui accepte toutefois le verdict et propose des modifications de ses pratiques sur les aspects inventoriés par l’ADLC. Parmi ces derniers, la mise à disposition de plus d’informations au mandataire en charge d’évaluer le suivi des engagements ; la mise à disposition de plus d’informations sur la méthode de rémunération retenue par Google, considérée comme trop opaque et donc potentiellement discriminatoire ; la mise à disposition d’informations plus précises sur les statistiques d’affichage de Google, afin que les éditeurs puissent mieux évaluer leur rémunération ; et la dénonciation du lien entre droits voisins et accès des IA aux articles de presse pour s’entraîner. Il s’agit de l’un des enjeux majeurs du moment pour les éditeurs, alors que les IA génératives ont besoin des textes de leurs articles pour s’entraîner à produire des réponses documentées en lien avec l’actualité. La question se pose donc d’une éventuelle rémunération des éditeurs pour la mise à disposition de leurs contenus, des accords entre sociétés d’IA et éditeurs étant passés au cas par cas (voir infra). La question se pose de la nature de cette rémunération, qui pourrait soit entrer dans le périmètre des droits voisins, soit être traitée dans un autre cadre, par exemple celui du droit des bases de données.
Parmi les arguments avancés, l’ADLC constate d’abord que Google ne l’a pas avertie, et n’a pas averti les éditeurs de l’utilisation des articles de presse français pour l’entraînement de son IA générative Bard, lancée en France en juillet 2023 et renommée Gemini en février 2024. Il y a là un manquement aux obligations de transparence telles que les prévoit l’accord sur les droits voisins. Il a fallu, en outre, attendre septembre 2023 pour que Google permette aux éditeurs de s’opposer à l’utilisation de leurs articles pour l’entraînement de son IA. Or, pour refuser cette utilisation, les éditeurs devaient refuser « toute indexation de leurs contenus par Google », donc potentiellement s’opposer à leur référencement par le moteur de recherche qui est une source d’audience majeure pour eux, et une source de rémunération au titre du droit voisin. Google a précisé ne pas faire de lien entre les deux services, pour l’instant au moins, et en Europe en particulier. En effet, ailleurs dans le monde, Google propose déjà des résultats dans son moteur de recherche qui s’appuient sur les réponses de son intelligence artificielle : avec ce programme, baptisé Search Generative Experience (SGE), Google établit donc un lien direct entre référencement et accès de son IA aux articles des journaux.
En signalant que les accords sur les droits voisins au titre du référencement ne sauraient être invoqués pour justifier aussi d’un droit à l’utilisation des articles de presse pour l’entraînement des IA génératives, l’ADLC établit un lien entre IA et les principes qui ont justifié la reconnaissance des droits voisins des éditeurs de presse, ouvrant la porte à une rémunération encadrée par le régulateur au titre de l’exploitation des contenus de presse par les IA génératives. Notons enfin que l’APIG (Alliance de la presse d’information générale) a confié à la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) le soin de renégocier les contrats au titre du droit voisin avec Meta et Alphabet. Or, la Sacem a, dans le domaine de la musique, exercé son droit d’opt-out auprès des principales IA génératives dès octobre 2023, ce qui rend inopérant l’exception au droit d’auteur pour la fouille de données reconnue par l’UE. La Sacem demande pour ses auteurs une compensation financière si un accord doit être trouvé pour l’exploitation de leurs titres à des fins d’entraînement.
Sources :
- Loignon Stéphane, « La Sacem exerce son droit d’opposition face à l’IA », Les Échos, 13 octobre 2023.
- Alcaraz Marina, « Droits voisins : l’Autorité de la concurrence regarde de près l’intelligence de Google », Les Échos, 9 février 2024.
- Piquard Alexandre, « Pourquoi Google est de nouveau sanctionné face aux éditeurs de presse dans la bataille des droits voisins », lemonde.fr, 20 mars 2024.
- Alcaraz Marina, « Droits voisins : Google écope d’une amende de 250 millions d’euros », Les Échos, 21 mars 2024.
- Cohen Claudia, « L’Autorité de la concurrence sanctionne Google », Le Figaro, 21 mars 2024.
- AFP, « Droits voisins : la presse quotidienne confie à la Sacem la renégociation avec Meta et Google », 9 avril 2024.