L’idée d’une éducation aux médias « by design », c’est-à-dire dès leur conception
De l’aveu de Maja Cappello, coordinatrice d’IRIS et responsable du département Informations juridiques de l’Observatoire européen de l’audiovisuel, « même pour les experts en médias, il devient de plus en plus facile de se noyer dans une mer de contenus et d’informations, d’être submergé par ce que nous voyons et entendons, sans beaucoup d’analyse critique ou de discernement entre le contenu factuel et le piège à clics sensationnel ». Or, il s’est opéré une sorte de renversement de la garantie d’exactitude d’un contenu. Si, autrefois, un contenu publié par un média et par un journaliste laissait penser que l’information était de qualité, il s’avère que, dorénavant, l’extrême diversification des sources d’information – médias de service public, chaînes d’information, médias sociaux, contenus générés par les utilisateurs, vlogueurs, influenceurs et travailleurs indépendants – a renversé cette présomption. C’est au consommateur de média de savoir distinguer les vraies informations des fausses parmi cet océan de contenus. « L’éducation aux médias et l’autonomisation des utilisateurs », selon Amélie Lacourt, analyste juridique et autrice du présent rapport, « revêt donc une importance majeure pour garantir aux utilisateurs la possibilité d’accéder, en toute sécurité et en toute connaissance de cause, aux contenus proposés sur les services audiovisuels ».
Aux côtés du Conseil de l’Europe, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ou encore de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), le législateur européen, depuis plus de dix ans, œuvre à élaborer des lignes directrices sur l’éducation aux médias. Un certain nombre d’obligations en la matière sont prévues, notamment dans le cadre de la directive Services de médias audiovisuels (SMA) (voir La rem n°49, p.13).
Le rapport met en avant des stratégies pour développer l’esprit critique, la créativité et la responsabilité des citoyens, soulignant que l’autonomisation est essentielle pour favoriser une pratique éclairée des médias. Cette « pensée critique […], la pierre angulaire de l’éducation aux médias », s’intéresse en particulier aux populations vulnérables, c’est-à-dire aux jeunes mais également aux personnes âgées. Après avoir rapporté la diversité des initiatives « d’éducation aux médias qui permettent aux personnes âgées de développer leur esprit critique afin de lutter contre la désinformation », notamment menées en Tchéquie et en Espagne, ou la coopération entre l’Irlande, l’Italie, la Macédoine du Nord et la Slovaquie, le rapport met en lumière la démarche innovante de l’Ofcom, l’autorité de régulation des communications au Royaume-Uni, dans le cadre de son programme d’éducation aux médias « Making Sense of Media », destiné aux particuliers comme aux plateformes.
L’originalité de la démarche de l’Ofcom repose sur l’idée d’une éducation aux médias « by design », c’est-à-dire dès leur conception. Comme l’écrivent les auteurs du rapport, « pour s’attaquer à la racine du problème, il faut également s’attaquer à sa source ». L’Ofcom a ainsi impliqué des représentants des médias sociaux, des moteurs de recherche, des plateformes de partage de vidéos et des services de jeux en ligne dont Google Search, Meta, TikTok, Twitter / X et Roblox en cherchant à déterminer « comment les entreprises de toutes tailles pourraient concevoir leurs services de manière à promouvoir et à développer l’éducation aux médias numériques de leurs utilisateurs ».
Résultat d’un appel à contribution lancé d’octobre 2023 à janvier 2024, l’Ofcom a publié, en juin 2024, les principes de l’éducation aux médias dès la conception qui s’articulent autour de trois objectifs fondamentaux : « priorité, transparence et obligation de rendre compte ; conception centrée sur l’utilisateur et interventions rapides ; suivi et évaluation ». Cinq types d’intervention ont été identifiés et comprennent des « étiquettes » qui ajoutent, à l’intention de l’utilisateur des services en ligne, des informations sur les contenus et sur les comptes, des « recouvrements » offrant des éléments supplémentaires avant la consultation, des « invites / pop-up » fournissant des informations basées sur les actions des utilisateurs, des « notifications » informant les utilisateurs et, enfin, des « ressources » multimédias destinées à éclairer les comportements. Ces outils visent tous à améliorer les pratiques en fournissant un soutien complémentaire s’inscrivant dans cette éducation aux médias dont l’objectif est de développer l’esprit critique et de lutter contre la désinformation.
Seule contrainte, et non des moindres, comme le précise l’appel de l’Ofcom, cette méthode suppose que « les services en ligne s’engagent activement sur leurs plateformes pour encourager la pensée critique, remettent en question les comportements inappropriés et améliorent le confort de l’utilisateur ».
L’éducation aux médias et l’autonomisation des utilisateurs, Amélie Lacourt, IRIS, Observatoire européen de l’audiovisuel, Strasbourg, juin 2024.