Euronews s’ouvre à la Turquie

Poursuivant son développement multilingue, la chaîne paneuropéenne d’information en continu diffusera en dix langues en 2010. Elle a déjà lancé sa nouvelle programmation en turc et l’enrichira en farsi dans le courant de l’année.

Dix-huit mois après son lancement en langue arabe (voir le n°8 de La revue européenne des médias, automne 2008), la chaîne européenne d’information en continu assure la diffusion de ses programmes en turc sur son réseau mondial depuis le 30 janvier 2010. Le site Internet de la chaîne est également proposé dans cette langue. Le groupe public de radio et de télévision turc, la TRT (Turkish Radio and Television), devenu le 21e actionnaire d’Euronews en 2008, retransmet dorénavant des programmes quotidiens de la chaîne d’information sur sa deuxième chaîne, TRT2, diffusée par voie hertzienne dans l’ensemble du pays. Ce partenariat avec Euronews constitue pour la Turquie un petit pas de plus sur le long chemin menant au seuil de l’Union européenne. Si la création d’une chaîne publique en langue kurde en janvier 2009 a constitué un progrès notable au regard des Vingt-Sept (voir le n°9 de La revue européenne des médias, hiver 2008-2009), le rapport annuel sur les pays de l’élargissement établi par Bruxelles comporte néanmoins l’avertissement suivant : « L’initiative du gouvernement sur la question kurde devrait mener à des mesures concrètes garantissant aux citoyens turcs des droits et libertés pleins et entiers, quelle que soit leur origine ».

Cependant, l’affrontement permanent entre le gouvernement turc et Dogan, le premier groupe de médias du pays (propriétaire notamment de huit quotidiens parmi les plus lus, comme Hürriyet et Milliyet, d’une vingtaine de chaînes – dont deux réalisant les taux d’audience les plus élevés – de radios, de maisons d’édition), contribue à ternir l’image de la Turquie en matière de liberté d’expression. Déjà redevable au gouvernement d’une taxe de plus de 420 millions d’euros sur la vente de 25 % du capital de ses chaînes au groupe allemand Springer, Dogan s’est vu infliger un redressement fiscal d’un montant jugé disproportionné de 1,75 milliard d’euros en septembre 2009. La Commission européenne a condamné cette décision politique : « Quand la sanction est d’une telle ampleur qu’elle menace l’existence même d’un groupe de presse entier, comme c’est le cas, alors la liberté de presse est en jeu ». Membre du Conseil de l’Europe depuis 1949 et ayant ratifié la Convention européenne des droits de l’homme en 1954, la Turquie a fait l’objet de 1 676 arrêts de violation rendus par la Cour européenne des droits de l’homme et 12 029 requêtes sont encore en attente à ce jour. Malgré la réforme constitutionnelle et législative en cours depuis 2001, instaurant la prééminence de la réglementation internationale sur la règle interne en matière de droits de l’homme, l’interprétation qui en est faite par les autorités nationales reste trop peu soucieuse d’appliquer la jurisprudence européenne en matière de droits de l’homme. Juge à la Cour européenne des droits de l’homme, élue au titre de la Turquie, Isil Karakas dénonce un fossé entre la législation et la pratique : « Les violations sont souvent graves : elles concernent les atteintes à la vie, l’interdiction de la torture et des traitements inhumains, l’habeas corpus, mais également la liberté d’expression ; cela reflète à quel point le respect de la Convention en Turquie demeure fragile ».

Diffusée dans 151 pays par voie hertzienne, câble, satellite et IPTV, Euronews couvre désormais 300 millions de foyers en neuf langues (allemand, anglais, arabe, espagnol, français, italien, portugais, russe, turc). Ayant remporté un appel d’offres émis par la Commission européenne pour produire et diffuser des programmes en continu à destination notamment de l’Iran et de l’Afghanistan, la chaîne paneuropéenne lancera un service en farsi à la fin de l’année 2010. Le BBC World Service l’a précédée sur ce terrain en lançant BBC Persian TV en janvier 2009. Celle-ci a fait d’emblée l’objet d’une interdiction par le gouvernement iranien (voir le n°9 de La revue européenne des médias, hiver 2008- 2009). La chaîne d’origine britannique a néanmoins maintenu sa diffusion, mais son signal a été brouillé en décembre 2009, lors de la retransmission d’informations concernant le décès du grand ayatollah Hossein-Ali Montazeri, opposant au régime de Téhéran.

Considérée comme moribonde au début des années 2000, Euronews est devenue rentable depuis 2004, dégageant un résultat net d’1 million d’euros pour un chiffre d’affaires de 50 millions en 2009, grâce notamment à une hausse de 15 % de ses recettes publicitaires. Son budget est d’un montant de 60 millions d’euros pour l’année 2010, dont 80 % de ressources propres. Elle emploie environ 400 salariés en 2010. La chaîne aux 21 actionnaires, dont les principaux sont les radiodiffuseurs publics européens (France 25 %, Italie 23 %, Russie 17 %, Turquie 16 % et Suisse 10 %), souhaite ouvrir son capital aux collectivités locales lyonnaises, afin de rembourser, en actions, un prêt participatif d’un montant de 1,8 million d’euros que lui ont accordé, à son lancement en 1993, la région Rhône-Alpes, le conseil général du Rhône et le Grand Lyon. Le Conseil d’Etat se prononcera sur cette question d’ici à la fin de l’année. Grâce à cette opération financière, Euronews, qui avait envisagé un temps de déménager à Bruxelles, quitterait la banlieue lyonnaise d’Ecully pour s’installer dans de nouveaux locaux plus vastes dans le quartier de Confluence au sud de la ville.

Principale concurrente en Europe de la chaîne américaine CNN International, Euronews touche 182 millions de foyers européens (y compris 27 millions de foyers en Russie), contre 141 millions de foyers pour CNN International et 90 millions pour BBC World News. Ainsi, son audience cumulée par jour en Europe sur le câble et le satellite est de 3 millions de téléspectateurs, tandis que CNN International rassemble 2 millions de téléspectateurs quotidiens et BBC World News 700 000. En outre, Euronews comptabilise 3,6 millions de téléspectateurs supplémentaires, grâce à la reprise de ses programmes dans des fenêtres de diffusion sur les chaînes nationales européennes. Avec un total de 6,5 millions de téléspectateurs par jour, la chaîne paneuropéenne réalise trois à quatre fois plus d’audience que CNN International et dix fois plus que BBC World News. Aux Etats-Unis, Euronews est diffusée par câble et par satellite, couvrant ainsi 50 millions de foyers.

Sources :

  • fr.euronews.net
  • « Le gouvernement turc s’en prend au magnat des médias », Guillaume Perrier, Le Monde, 18 septembre 2009.
  • « Bruxelles réclame à la Turquie des progrès sur la liberté d’expression et la justice », P.Ri., Le Monde, 16 octobre 2009.
  • « Droits de l’homme en Turquie ? Pourrait mieux faire », Isil Karakas, Le Monde, 16 octobre 2009.
  • « Euronews invite les collectivités à son capital », Marie-Annick Dépagneux, Les Echos, 3 décembre 2009.
  • « La chaîne iranienne de la BBC brouillée », Nicolas Madelaine, Les Echos, 22 décembre 2009.
  • « Euronews veut faire entrer les collectivités locales lyonnaises dans son capital », La Correspondance de la Presse, 8 janvier 2010.
  • « Euronews diffusée en turc d’ici fin janvier, et en persan d’ici fin 2010 », AFP, tv5.org, 18 janvier 2010.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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