Afin de restructurer sa dette, Prisa cède la majorité de son capital à des fonds américains

Le groupe de médias espagnol, fragilisé par une dette trop importante, se reconfigure au détriment de la famille fondatrice qui cède une grande partie de son capital. Prisa, qui sera détenu à terme majoritairement par des capitaux américains, gagne en échange la possibilité de se concentrer de nouveau sur sa stratégie de développement plutôt que sur les échéances de sa dette.

Confronté à une dette record de près de 5 milliards d’euros depuis son OPA au prix fort sur sa filiale Sogecable en 2008, et après avoir joué la carte des cessions d’actifs (voir le n°13 de La revue européenne des médias, hiver 2009-2010), Prisa s’est résolu à accepter l’arrivée de fonds américains à son capital. En effet, les ventes d’actifs n’ont pas suffi à faire face aux échéances de remboursement des banques, malgré les concessions faites par Prisa qui a réduit de manière significative son périmètre en 2009 : vente de 25 % de sa maison d’édition Santillana au fonds américain DLJ South American Partners pour 250 millions d’euros, de 29,6 % de Media Capital, son pôle audiovisuel au Portugal, pour 150 millions d’euros, vente de sa chaîne en clair La Cuatro ainsi que de 22 % de Digital+ au groupe Mediaset, enfin vente de 21 % de Digital+ à Telefonica pour 470 millions d’euros, dont seulement 240 millions en numéraire. Ces ventes d’actifs auront rapporté au total 1,3 milliard d’euros à Prisa, une somme insuffisante pour honorer le remboursement d’un prêt relais de 1,9 milliard d’euros à fin mars 2010.

Le 5 mars 2010, Prisa annonçait alors l’arrivée dans son capital d’investisseurs internationaux par l’intermédiaire du fonds américain Liberty Acquisitions Holdings Corporation, pour un montant de 660 millions d’euros. Le total des sommes ainsi récupérées, 1,96 milliard d’euros en tout, permettra au groupe d’honorer sa dette, un nouveau délai ayant été obtenu auprès des banques jusqu’au 19 mai 2013. Bénéficiant d’une situation financière assainie et d’une dette réduite à 3,3 milliards d’euros, Prisa pourra même investir pour son développement.

L’accord avec Liberty Acquisitions Holdings Corporation a pour premier objectif de restructurer la dette du groupe Prisa afin de remettre celui-ci en ordre de bataille. Il se traduit toutefois par un changement complet du profil de l’entreprise qui voit la famille fondatrice Polanco perdre sa majorité au capital de Prisa, l’opération abaissant sa participation au capital de 70 % à 30 %, en même temps que les investisseurs américains prendront à terme le contrôle de plus de 50 % du capital du groupe. L’opération est complexe : Liberty Acquisitions Holdings Corporation, fondée en 2007 par le financier Nicolas Berggruen, est une special purpose acquisition company (SPAC), c’est-à-dire une société sans activité fédérant les fonds d’investisseurs en vue de l’acquisition d’une entreprise. Par conséquent, la montée au capital de Prisa s’opère sous forme d’une offre publique d’échange (OPE) de Prisa sur Liberty pour 660 millions d’euros, à laquelle Prisa ajoutera une augmentation de capital de 150 millions d’euros auprès de ses actionnaires minoritaires, ce qui diluera la participation de la famille Polanco pour l’abaisser jusqu’à 30 % du capital. Prisa passera ainsi d’« une compagnie familiale à une multinationale cotée en Bourse des deux côtés de l’Atlantique », comme le reconnaît Ignacio Polanco, le président de Prisa.

En revanche, la famille Polanco ne perd pas le contrôle de l’entreprise dans l’opération, grâce à une modification des statuts du groupe, qui limiteront les droits de vote à 30 % pour tous les actionnaires. Par l’intermédiaire de sa holding Rucandio, la famille Polanco restera donc l’actionnaire de référence du groupe avec 30 % du capital, quand les investisseurs réunis dans Liberty Acquisitions Holdings Corporation détiendront leurs actions à titre individuel. Fort de cette nouvelle organisation que Prisa, qui contrôle en Espagne le quotidien El País, la première radio du pays Cadena Ser, le bouquet de télévision payante Sogecable, ainsi que des activités dans la presse, l’édition et l’audiovisuel en Europe et en Amérique latine, a présenté ses perspectives de développement le 9 mars 2010. Après une année 2009 difficile, où le résultat net du groupe s’est affiché en repli de 39,2 % à 50,5 millions d’euros, du fait notamment des conditions très difficiles sur le marché publicitaire espagnol, le groupe espère un résultat net compris entre 152 et 190 millions d’euros dès 2010, et entre 188 et 259 millions d’euros en 2011. Pour y parvenir, Prisa compte poursuivre sa stratégie de développement dans les pays d’Amérique latine, qui bénéficient d’une croissance forte, ainsi qu’aux Etats-Unis dans les médias hispanophones, en même temps que le groupe développera ses activités dans le numérique.

Sources :

  • « Prisa seals $900m Liberty deal », Mark Mulligan & Andrew Edgecliffe-Johnson, Financial Times, march 5, 2010.
  • « L’espagnol Prisa cède la majorité de son capital à des Américains », Gilles Sengès, Les Echos, 8 mars 2010.
  • « Prisa : l’actionnaire historique cède la majorité à des investisseurs américains », Mathieu de Taillac, Le Figaro, 8 mars 2010.
  • « La famille Polanco cède sa majorité dans le capital de Prisa », Jean-Jacques Bozonnet, Le Monde, 9 mars 2010.
  • « Espagne : Prisa espère tripler son bénéfice net après sa restructuration », AFP, 9 mars 2010.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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