La mise en vente des activités de presse magazine du groupe Lagardère à l’international confirme la stratégie de recentrage du groupe sur ses actifs les plus rentables. La branche presse magazine internationale de Lagardère est en effet fragilisée par la chute de la diffusion mondiale de la presse et le recul des recettes publicitaires, que seule une taille critique sur chaque marché aurait permis de compenser.
En annonçant, le 1er décembre 2010, avoir « engagé une réflexion sur la vente de la branche magazine internationale », le groupe Lagardère a confirmé sa stratégie de recentrage sur ses activités les plus rentables (voir le n°16 de La revue européenne des médias, automne 2010). Cette division, qui édite 212 titres dans 45 pays, repose d’abord sur les activités américaines de Lagardère, renforcées en 1988 par l’achat de Diamandis pour 712 millions de dollars. La branche presse magazine internationale du groupe a réalisé à elle seule 710 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2009, soit 40 % du chiffre d’affaires total de Lagardère Active. Elle inclut les éditions internationales de Elle, des féminins comme Woman’s Day ou des magazines automobiles comme Car and Driver et Road & Track aux Etats-Unis.
Pour justifier son désengagement de la presse magazine à l’international, secteur où Lagardère comptait parmi les leaders mondiaux, le groupe a communiqué d’abord sur l’insuffisante rentabilité de ses différents titres. En effet, le marché de la presse magazine a été fortement pénalisé en 2008 par la chute de ses recettes publicitaires et doit affronter la migration annoncée d’une partie de ses lecteurs vers les éditions numériques sur tablette, adaptées au format de la presse magazine (voir le n°14-15 de La revue européenne des médias, printemps-été 2010), tandis que la diffusion de la presse magazine dans le monde décroît de 2 à 3 % chaque année. En 2008 comme en 2009, les activités aux Etats-Unis auraient même été déficitaires. Pour Arnaud Lagardère, interrogé par Le Figaro, l’alternative était soit de se désengager, soit de se renforcer sur la presse magazine internationale pour bénéficier de synergies entre les titres sur chaque marché national en atteignant une taille critique, notamment vis-à-vis des annonceurs auxquels il faut proposer une offre globale. Bien que leader en Espagne, fortement implanté en Russie, numéro 3 aux Etats-Unis sur les féminins haute de gamme face à Hearst et Condé Nast, le groupe a donc opté pour une vente, dont il espère retirer jusqu’à 700 millions d’euros, soit l’équivalent d’une année de chiffre d’affaires de la branche internationale.
Parmi les prétendants au rachat, plusieurs noms ont très vite circulé, parmi lesquels l’allemand Bauer, les américains Hearst et Meredith, trois acteurs concurrents du groupe français et dont l’intérêt pour les magazines de Lagardère traduit bien le besoin de concentration dans la presse magazine internationale. Le 31 décembre 2010, Lagardère est entré en négociation avec Hearst pour la cession de son pôle de presse internationale. Hearst s’est d’emblée imposé comme l’interlocuteur le plus logique : il travaille avec Lagardère depuis 1994, le groupe gérant la publication de l’édition américaine de Marie Claire, et il a une logique industrielle lui permettant de piloter à l’échelle internationale les déclinaisons des magazines de Lagardère, au premier rang desquelles les 42 éditions internationales de Elle. Hearst a en effet la même stratégie avec son magazine Cosmopolitan, vendu dans plus de 100 pays avec 61 éditions différentes. Enfin, en s’emparant des actifs de Lagardère, Hearst pourra se renforcer sur les marchés anglo-saxons face à Condé Nast, notamment sur le marché des féminins haut de gamme où Condé Nast dispose d’une offre diversifiée avec Vogue et Vanity Fair. En ajoutant Woman’s Day et Elle à Cosmopolitan et Harper’s Bazaar qu’il contrôle déjà, Hearst pourra ainsi proposer une gamme élargie de contacts aux annonceurs américains. Les négociations portent sur le prix, mais aussi sur le souhait de Lagardère de conserver un droit de regard éditorial sur les déclinaisons de Elle à l’international. La marque restera en effet la propriété du groupe Lagardère qui continue de l’exploiter en France et de bénéficier des accords de licence déjà passés pour certaines des éditions internationales de Elle.
En se retirant de la presse aux Etats-Unis, Lagardère ne conserve donc plus outre-Atlantique que ses activités dans l’édition, particulièrement rémunératrices. Enfin, avec la cession de ses parts dans Le Monde (voir infra), celles à venir de ses participations dans le groupe Amaury ainsi que des 20 % de capital qu’il détient dans le groupe Canal+, Lagardère devrait récupérer au total près de 2 milliards d’euros, de quoi rémunérer ses actionnaires et investir dans les secteurs identifiés comme stratégiques, Lagardère Services, le sport, l’édition de livres et les services en ligne. Mais c’est surtout la vente des 20 % qu’il détient dans Canal+ qui permettront à Lagardère de réaliser de nouveaux investissements stratégiques, puisque Arnaud Lagardère en espère 1,5 milliard d’euros. Enfin, la cession, en réduisant fortement le chiffre d’affaires de Lagardère Active, déjà amputé de Virgin 17, semble témoigner d’une recomposition du groupe au détriment de sa branche médias.
Sources :
- « Lagardère met en vente ses magazines étrangers, Hearst et Bauer favoris », Anne Feitz, Les Echos, 2 décembre 2010.
- « Hearst favori pour les titres internationaux de Lagardère », Pierre de Gasquet, Les Echos, 23 décembre 2010.
- « Hearst est entré en négociations exclusives pour la reprise de la presse étrangère de Lagardère », Pierre de Gasquet, Les Echos, 3 janvier 2011.
- « Lagardère restera propriétaire de la marque Elle », interview d’Arnaud Lagardère par Paule Gonzalès, Gaëtan de Capèle, Philippe Larroque et Enguérand Renault, Le Figaro, 6 janvier 2011.