Alors que Le Figaro s’est accordé avec le groupe Riccobono pour lui céder le contrôle de son imprimerie du Tremblay, le groupe Le Monde réduit les capacités de son imprimeries d’Ivry et opte pour l’impression d’une partie de ses volumes en province, directement sur les rotatives de la presse quotidienne régionale.
Vieil héritage de la presse quotidienne française, la possession de sa propre imprimerie semble enfin ne plus être un objectif pour les grands quotidiens nationaux. Il aura fallu cependant plusieurs dizaines d’années avant que la France n’emprunte les chemins suivis partout ailleurs par la presse européenne à partir du moment où les surcapacités de l’outil industriel sont sans commune mesure avec les volumes de titres et d’exemplaires à imprimer. En effet, l’équation « un journal, une imprimerie » était encore pertinente lorsque la presse quotidienne monopolisait, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’univers de l’information. D’ailleurs, ce fut pour relancer l’impression des quotidiens à Paris à la Libération, pour informer de nouveau les lecteurs après l’Occupation, que le recrutement pour les imprimeries fut confié aux équipes de la CGT, engagées dans la Résistance et prêtes à relancer en urgence l’outil industriel. Depuis, la CGT, dont ses branches connues sous le nom des « ouvriers du livre », a conservé le monopole sur les embauches dans la presse parisienne, freinant systématiquement les tentatives de réforme de l’outil industriel par les éditeurs. Les récentes décisions, au Figaro et au Monde, attestent cependant de la fin d’un modèle qui verra la presse se recentrer sur son activité première d’éditeur.
La centralisation parisienne de l’impression des quotidiens nationaux, pour maintenir coûte que coûte un bassin d’emploi pour les imprimeries dites de presse, a été battue en brèche une première fois en 2007 avec la décision du groupe Figaro d’investir dans une imprimerie dans le sud de la France, à Gallargues, dans le Gard. L’objectif était alors de limiter les coûts de transport par avion des journaux entre l’imprimerie parisienne du Figaro, à l’époque Roissy Print, installée directement aux abords de l’aéroport, et les régions du sud de la France. L’équation économique reposant sur une impression en totalité à Paris pour une diffusion sur l’ensemble du territoire était intenable : en 2006, le coût de la distribution par avion était estimé à 15 millions d’euros par an, contre un coût de 8,5 millions d’euros annuels pour le fonctionnement de l’imprimerie de Gallargues. Une étape supplémentaire a été franchie par le groupe Figaro, le 15 juin 2011, avec l’annonce d’un protocole d’accord avec l’imprimeur Riccobono pour lui céder 60 % de la nouvelle imprimerie du groupe au Tremblay-en-France, ouverte pourtant seulement en septembre 2009 pour prendre le relais du site de Roissy Print. Le groupe Figaro a profité du désengagement annoncé de l’imprimeur italien Setegni (50 % du capital de l’imprimerie), à ses côtés au Tremblay, pour céder le contrôle de l’imprimerie au premier groupe d’impression de presse en France, le groupe Riccobono.
A ce jour, Riccobono, avec sa filiale parisienne Paris Offset Print (POP), dispose déjà de deux rotatives à la Courneuve pour l’impression en format tabloïd et s’empare des deux rotatives en format berlinois de l’imprimerie moderne du Tremblay, dans laquelle Serge Dassault, propriétaire du Figaro, avait investi 80 millions d’euros. En récupérant l’impression du Figaro, Riccobono contrôle quasiment toute l’impression de la presse parisienne, le groupe imprimant également Libération, La Tribune, L’Humanité, La Croix et Paris Turf, avant de récupérer Les Echos en novembre 2012, qui seront imprimés au Tremblay après avoir été imprimés à Ivry, dans l’imprimerie du groupe Le Monde depuis 2003. En province, le groupe Riccobono possède des rotatives également à Vitrolles pour la région Sud, en Vendée pour la région Ouest et à Nancy pour l’est de la France. Le groupe s’est par ailleurs porté acquéreur auprès du Figaro de son imprimerie de Gallargues.
A l’exception du groupe Amaury, qui dispose encore à Paris de son imprimerie grâce aux tirages de L’Equipe et du Parisien, suffisamment élevés par rapport aux tirages de la presse quotidienne nationale d’information générale et politique, Le Monde est le dernier grand quotidien national à disposer d’une imprimerie, un outil industriel qui le pénalise lourdement et dont la restructuration était l’une des conditions imposées lors du rachat du groupe par le trio dit « BNP » – Pierre Bergé, Xavier Neil et Matthieu Pigasse (voir REM n° 17, p. 65). Avec la perte des Echos en 2012 et après le départ ces deux dernières années du Journal du dimanche, de Direct Matin et du Guardian, l’imprimerie du Monde n’aura en effet plus que Le Monde à imprimer. Autant dire qu’avec trois rotatives vieillissantes, elle disposera de capacités inexploitées et devrait générer de lourdes pertes pour le groupe. En 2011, Le Monde imprimerie devrait enregistrer une perte d’exploitation de 3 millions d’euros qui pourra s’élever, en l’absence de restructuration, à plus de 10 millions d’euros en 2013. Ses nouveaux actionnaires en ont donc fait une priorité qui a conduit, le 22 juin 2011, à la signature d’un accord avec les représentants du Livre majoritaires à l’imprimerie d’Ivry, le CILP-CGT (53 % des votes contre 47 % pour le SGLCE-CGT, qui a refusé de signer le protocole d’accord). Cet accord prévoit tout simplement la fermeture de deux rotatives sur trois et la modernisation de la rotative restante grâce à trois sécheurs permettant d’améliorer la qualité d’impression. Si, avec ces modifications, l’imprimerie d’Ivry récupère comme elle l’espère l’impression du gratuit 20 Minutes, elle pourra alors être mieux exploitée entre une parution le matin et une parution le soir pour Le Monde.
En fermant deux rotatives sur trois, l’accord implique la suppression de nombreux postes à Ivry, au moins 150 emplois sur un total de 230 salariés. Le syndicat du Livre a donc tout fait pour maintenir l’emploi à Paris où il dispose d’une capacité d’influence plus forte qu’en province. Avec une seule rotative à Paris, une partie de l’impression du Monde devra en effet être externalisée, notamment pour les titres distribués en province où le recours à l’imprimerie parisienne est moins naturel. Syndicats et direction se sont donc opposés sur le choix industriel à retenir, malgré une logique économique qui favorise naturellement l’impression en province, dans les imprimeries de la presse quotidienne régionale, même si ce choix a des conséquences sur l’emploi à Paris. Le CILP-CGT a fait savoir qu’il fallait sauver l’emploi à Paris, donc continuer d’imprimer l’ensemble des volumes du Monde à Paris, même si c’est pour distribuer le quotidien à l’autre extrémité de la France. Inversement, la direction du quotidien a insisté sur la cohérence d’une impression en province pour livrer Le Monde dès l’après-midi, comme cela se fait à Paris, ce qui permettrait probablement de développer le lectorat du Monde dans les régions.
Une première contrepartie a déjà été accordée en termes d’emplois à Paris : le protocole d’accord prévoit que le groupe Le Monde participe au financement d’une imprimerie de labeur (et non de presse) en région parisienne, aux côtés d’un opérateur industriel, pour y imprimer les suppléments des quotidiens nationaux et des gratuits. Cette nouvelle imprimerie permettrait d’accueillir une partie des effectifs supprimés à Ivry. Il s’agit d’une alternative à la solution, plus conservatrice, proposée par le SGLCE-CGT qui a refusé de signer l’accord. Ce dernier voulait que le groupe Le Monde investisse 25 millions d’euros dans une nouvelle rotative à Ivry, le maintien d’une seule rotative ressemblant, selon le syndicat, « à une étape avant la fermeture dans deux ou trois ans ». A vrai dire, un investissement de 25 millions d’euros dans une rotative, pour un groupe racheté quelques mois plus tôt environ 100 millions d’euros, semblait irréaliste sur le plan économique, d’autant qu’à la suite d’une enquête le Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) a conclu que les volumes d’impression de la presse nationale ne justifiaient pas une nouvelle rotative au format berlinois, des surcapacités étant déjà constatées. Le 11 juillet 2011, le président du directoire du Monde, Louis Dreyfus, a donc confirmé qu’une partie de l’impression du journal Le Monde se ferait en province à l’avenir, et que des discussions étaient d’ores et déjà lancées avec un regroupement de titres de presse régionale, Ebra, Ouest France, La Provence et La Dépêche du Midi, pour délocaliser l’impression du quotidien du soir. Les titres de la presse quotidienne régionale (PQR) concernés se sont réunis au sein d’IPR (Impression Presse Région), structure unique qui permet de proposer aux éditeurs parisiens une solution globale d’impression en région, sans avoir à négocier à chaque fois avec chaque groupe de presse quotidienne régionale.
Sources :
- « Riccobono va reprendre l’imprimerie du Figaro », Xavier Ternisien, Le Monde, 17 juin 2011.
- « Accord au Monde sur l’imprimerie », Le Figaro avec AFP, 23 juin 2011.
- « Le Monde passe un accord sur son imprimerie », Anne Feitz, Les Echos, 24 juin 2011.
- « Imprimerie du Monde : la direction signe un “constat d’accord” avec le Comité intersyndical du Livre parisien CGT (CILP-CGT) », La Correspondance de la Presse, 24 juin 2011.
- « Les journaux se désengagent du métier d’imprimeur », Aude Carasco, La Croix, 29 juin 2011.
- « Le Monde empêtré dans son imprimerie », Frédérique Roussel, Libération, 4 juillet 2011.
- « Quatre groupes de presse proposent au Monde d’organiser son impression en région », La Correspondance de la Presse, 11 juillet 2011.