Télévision payante : la disparition de TPS Star et CFoot, l’offre Orange recomposée, le rachat de Direct 8 et Direct Star examiné par l’Autorité de la concurrence

L’échec de la TNT payante en France, la nouvelle concurrence sur les droits sportifs et les ambitions en repli d’Orange sur les chaînes payantes entraînent une modification profonde de l’offre. La TNT payante voit CFoot et Direct Star cesser d’émettre, quand le bouquet Orange met fin à sa chaîne de sport et limite ses achats de droits cinématographiques. Ces derniers sont également au cœur de l’examen du rachat par Canal+ des chaînes Direct 8 et Direct Star, la place occupée par Canal+ sur les droits cinématographiques payants pouvant donner un avantage au groupe lors de l’achat de droits en clair pour ses deux nouvelles chaînes de TNT.

La domination du groupe Canal+ sur le marché de la télévision payante et l’offre élargie de chaînes sur la TNT en clair ont sans aucun doute fragilisé, en France, le déploiement de la TNT payante. Après les retraits de AB1 et Canal J en 2008, qui ont rendu leurs fréquences sur la TNT payante, c’est donc au tour de CFoot de cesser d’émettre, le 31 mai 2012, à l’issue du championnat de Ligue 2. Lancée par la LFP (voir REM n°17, p.19), CFoot devait être une alternative à l’absence de concurrence face à Canal+ lors des appels d’offres sur les droits du football français. De ce point de vue, l’arrivée d’Al-Jazira, qui joue la surenchère sur les droits domestiques, a probablement conduit la LFP à renoncer plus facilement à CFoot, tout en limitant le risque de pertes récurrentes. En effet, après un an d’existence, CFoot n’est parvenue à conquérir que 370 000 abonnés, mais seulement 50 000 abonnés directement, le reste étant apporté par les abonnements à des offres élargies de télévision payante proposées par les FAI, notamment le pack Orange Sport. Avec si peu d’abonnés, CFoot devait toutefois assumer des coûts de distribution élevés, de l’ordre de 4 millions d’euros par an, plus que ses 3 millions de recettes, et cela sans véritables perspectives de croissance, la TNT payante ne comptant en tout que 500 000 abonnés. Sur un an, CFoot aura ainsi perdu 15 millions d’euros, un déficit qui sera supporté par la LFP et les clubs associés dans la chaîne.

En disparaissant de la TNT payante, CFoot enlève à celle-ci une partie de son offre de sport, seule subsistant Eurosport sur ce créneau. A l’arrêt de CFoot s’ajoute également la disparition de TPS Star de l’offre de chaînes payantes sur la TNT, diminuant d’autant son attrait. En effet, en s’emparant de Direct 8 et Direct Star, le groupe Canal+ dépasse le seuil autorisé de sept fréquences de TNT (voir REM n°21, p.79), ce qui l’a conduit à renoncer à TPS Star, qui a tout simplement cessé d’émettre. Le 4 avril 2012, TPS Star a ainsi été retirée des offres du câble, du satellite et de l’ADSL. Après avoir envoyé au CSA une demande de restitution de sa fréquence sur la TNT payante, Canal+ a finalement obtenu l’accord de l’autorité chargée du secteur audiovisuel, mi-avril 2012, l’amenant à éteindre TPS Star également sur la TNT payante où la chaîne ne comptait que 10 000 abonnés. La décision de Canal+ entérine la stratégie du groupe sur le marché de la TNT en clair, privilégié ici au détriment de la TNT payante. A vrai dire, la décision de Canal+ crée un précédent, non pas parce que TPS Star quitte la TNT payante, mais parce que la chaîne est au cœur des reproches adressés par l’Autorité de concurrence quand elle a retiré au groupe Canal+, le 21 septembre 2011, l’autorisation de fusionner avec TPS. L’Autorité de la concurrence reproche notamment à Canal+ de ne pas avoir maintenu la qualité des programmes de TPS Star, qui devait être une alternative à la chaîne premium Canal+. En fermant TPS Star, le groupe Canal+ met un terme à une chaîne qui fait pourtant l’objet d’une nouvelle notification de rachat auprès de l’Autorité de la concurrence, dans le cadre de la fusion TPS-Canal Sat. Le 28 mars 2012, l’Autorité de la concurrence a d’ailleurs confirmé sa décision d’ouvrir une enquête approfondie sur le rachat notifié à nouveau, attestant des risques d’entraves à la concurrence sur le marché payant de la télévision.

Parallèlement au marché de la TNT payante, celui des chaînes payantes est lui aussi concerné par la limitation et la restructuration de l’offre. L’extinction de CFoot s’accompagne en effet, pour l’offre de chaînes de sport, de la fermeture de la chaîne Orange Sport, qui laisse désormais Canal+ seule face à Al-Jazira. N’étant pas parvenu à céder sa chaîne de sport créée en 2008, probablement parce qu’elle a contribué fortement au déficit de 419 millions d’euros en 2010 engendré par les chaînes payantes d’Orange, le groupe de télécommunications a finalement opté pour une fermeture pure et simple de la chaîne le 30 mai 2012, à l’issue du championnat de Ligue 1 dont il détient une partie des droits jusqu’à la fin de la saison. Les droits sportifs encore détenus par Orange, notamment l’ATP 500 et 1000 dans le tennis, ainsi que la Diamond Ligue d’athlétisme ont conduit Orange à négocier à la fois avec Canal+ et Al-Jazira, deux interlocuteurs essentiels désormais pour le groupe de télécommunications. En effet, Orange a négocié d’un côté avec Al-Jazira la reprise de BeInSport 1 et 2, pour renforcer son bouquet de chaînes de sport recentré pour l’instant autour d’Eurosport et ESPN, et de l’autre avec Canal+ sur les chaînes Orange Cinéma Séries.

Autant dire que les intérêts d’Orange se jouent entre les deux grands concurrents sur le marché des droits sportifs, avec d’une part la migration des 400 000 abonnés d’Orange Sport vers le bouquet sport d’Orange où la présence d’Al-Jazira est désormais nécessaire pour lui donner une consistance, et d’autre part le besoin de s’appuyer sur Canal+ pour mieux diffuser les chaînes Orange Cinéma Séries, que les deux groupes co-détiennent Canal+ a en effet racheté, pour un euro symbolique, 33,3 % du capital d’Orange Cinéma Séries le 15 juillet 2011, une opération validée par la Commission européenne en janvier 2012. Depuis le 5 avril 2012, les chaînes cinéma d’Orange, à l’origine réservées aux seuls abonnés de l’opérateur, soucieux de disposer d’une offre exclusive pour fidéliser sa clientèle ADSL, sont ainsi diffusées également par Canal+, qui propose les chaînes Cinéma Séries d’Orange au même prix de 12 euros par mois. Avec l’élargissement de sa diffusion grâce à Canal+, Orange espère atteindre 2,5 millions d’abonnés à ses chaînes cinéma dans trois ans, contre 350 000 abonnés actuellement, ce qui lui permettra d’atteindre l’équilibre. Celui-ci passera également par une baisse des investissements dans les droits audiovisuels et cinématographiques, l’arrivée de Canal+ au capital des chaînes ayant été subordonnée à un plafonnement des achats de droits, à hauteur de 65 millions d’euros par an, quand Orange avait encore investi 83 millions d’euros en 2010.

Concernant le bouquet Orange Sport, qui accueillera les chaînes d’Al-Jazira, une campagne de promotion est prévue auprès des abonnés de l’ancienne chaîne Orange Sport, à qui les chaînes d’Al-Jazira seront proposées à des tarifs réduits. Dans un souci d’équilibre, Orange a également autorisé Canal+ à démarcher les 175 000 abonnés d’Orange Sport n’étant pas abonnés simultanément à Canal+. Enfin, Orange a préféré céder à Canal+ les droits du tennis et de l’athlétisme qu’il détenait encore.

L’offre de télévision payante haut de gamme est donc désormais à chercher d’abord auprès de Canal+ qui n’a plus pour véritable concurrent que le groupe Al-Jazira, positionné sur le seul domaine du sport. C’est d’ailleurs la domination de Canal+ sur le marché des droits audiovisuels et cinématographiques dans l’univers payant qui sera au cœur de l’enquête menée par l’Autorité de la concurrence sur l’autorisation du rachat par Canal+ des chaînes Direct 8 et Direct Star. Notifiée le 5 décembre 2011, l’opération de rachat a conduit dans un premier temps le groupe Canal+ à proposer à l’Autorité de la concurrence une série de sept obligations, le 27 mars 2012, afin de préserver la concurrence dans le secteur audiovisuel. Canal+ propose notamment de ne pas favoriser les annonceurs passant par les régies appartenant au groupe Bolloré, c’est-à-dire essentiellement les agences du groupe Havas dont Direct 8 et Direct Star sont actuellement très dépendantes, Vincent Bolloré étant par ailleurs un actionnaire important du groupe Vivendi. Concernant la vente de droits cinématographiques par StudioCanal, le groupe Canal+ s’engage à ne pas favoriser Direct 8 et Direct Star dans l’accès aux films anciens, limitant l’achat des droits par les deux chaînes à six mois au maximum, ce qui libère rapidement les droits pour d’autres chaînes concurrentes. Avec les studios américains, le groupe Canal+ propose de négocier séparément l’achat de droits cinématographiques pour Direct 8 et Direct Star d’une part, les chaînes Canal+ de l’autre. En revanche, pour les droits des films français, Canal+ propose de limiter à 20 films par an l’achat à la fois des droits en clair pour les chaînes de la TNT et des droits payants pour les chaînes Canal+, une concession dérisoire sachant que M6 achète en tout dix films français récents par an. Les droits des séries ne sont pas concernés par cet engagement. Enfin, Canal+ s’engage, pour les droits sportifs que le groupe détient et doit céder à des chaînes en clair, notamment les matchs considérés comme événements d’importance majeur (voir REM n°18-19, p.6), à ne diffuser que 5 matchs par an sur Direct 8 et Direct Star. Le reste des matchs sera donc diffusé en clair sur des chaînes concurrentes de Direct 8 et Direct Star.

Le 17 avril 2012, l’Autorité de la concurrence a considéré, dans un communiqué, que « l’opération soulève des doutes sérieux d’entraves à la concurrence et nécessite l’ouverture d’une phase d’examen approfondi ». Les premiers engagements proposés par le groupe Canal+ ne sont donc pas suffisants, notamment sur « les conditions dans lesquelles les chaînes gratuites concurrentes pourront accéder au catalogue de films de StudioCanal ». L’autorité entame donc une « consultation élargie des acteurs du marché », pour estimer en particulier « si les fortes positions du groupe Canal Plus dans les marchés de la télévision payante sont susceptibles de porter atteinte à la concurrence sur les marchés de la télévision gratuite ». En effet, pour alimenter sa chaîne premium et ses chaînes cinéma, mais également du fait de ses obligations spécifiques d’investissement dans le cinéma français, le groupe Canal+ préachète d’ores et déjà 60 % des films français. Si l’on ajoute à cela les 20 films maximum où les droits payants et en clair seraient groupés lors de l’achat des droits, c’est l’essentiel du marché français du film que Canal+ peut briguer. Pour les droits cinématographiques américains, la chaîne Canal+ détient déjà de son côté les droits de cinq des sept majors hollywoodiennes, ce qui risque de mettre le groupe dans une situation très favorable lors du négoce des droits en clair, même si celui-ci est fait de manière séparée.

Sources :

  • « Euro 2012 : Al-Jazira bouscule les chaînes françaises », Paule Gonzalès, Le Figaro, 24 novembre 2011.
  • « Al-Jazira sort Canal+ de la Ligue des champions », F.S. et C.P., Les Echos, 6 décembre 2011.
  • « Ligue des champions et Al-Jazira : droits du foot et effets domino », Philippe Bailly, Le Figaro, 7 décembre 2011.
  • « Canal+ prive TF1 de la Ligue des champions », Paule Gonzalès, Le Figaro, 9 décembre 2011.
  • « Ligue des champions : Canal+ parvient à limiter la casse », Fabienne Schmitt, Les Echos, 12 décembre 2011.
  • « Nouvelle victoire d’Al-Jazira contre Canal Plus », Sandrine Cassini, latribune.fr, 24 janvier 2012.
  • « Foot : la LFP inflige deux nouveaux revers à Canal+ », Fabienne Schmitt, Les Echos, 24 janvier 2012.
  • « Football : la Ligue a quasiment atteint son objectif sur les droits au- diovisuels », Christophe Palierse et Fabienne Schmitt, Les Echos, 25 janvier 2012.
  • « Droits télé : Al-Jazira et M6 s’offrent la Ligue Europa », Fabienne Schmitt, Les Echos, 20 février 2012.
  • « Foot : Al-Jazira fait son marché chez Canal Plus », Delphine Cuny, latribune.fr, 20 février 2012.
  • « Le Qatar détient désormais 100 % du PSG », Philippe Bertrand, Les Echos, 7 mars 2012.
  • « Foot : Al-Jazira Sport s’appuie sur son allié Mediapro », Paule Gonzalès et Enguérand Renaud, Le Figaro, 21 mars 2012
  • « Al-Jazira cherche sa régie publicitaire », Paule Gonzalès, Le Figaro, 21 mars 2012.
  • « Canal+ face à la menace Al-Jazira », Nathalie Silbert, Les Echos, 2 avril 2012.
  • « Football : Al Jazira a signé un premier accord avec Free », Sandrine Cassini et Jamal Henni, latribune.fr, 10 avril 2012.
  • « Al-Jazeera bouscule le foot à la télévision », Paule Gonzalès, Le Figaro, 11 avril 2012.
  • « TF1 va faire la pub des deux chaînes de sport d’Al-Jazeera », latribune.fr, 13 avril 2012.
  • « Non, monsieur Méheut, Al-Jazeera n’est pas irrationnel », point de vue de Pascal Perri, Les Echos, 24 avril 2012.
  • « Orange et BeInSport proches d’un accord », Paule Gonzalès, Le Figaro, 25 avril 2012. – « Google entre sur le terrain du foot français », Paule Gonzalès, Le Figaro, 3 mai 2012.
  • « Frédéric Thiriez éteindra la chaîne CFoot en juin », Sandrine Cassini, latribune.fr, 10 février 2012.
  • « Orange Sport s’arrête et cherche à valoriser ses droits », Fabienne Schmitt, Les Echos, 7 mars 2012.
  • « Orange et Canal+ finalisent leur alliance », Jamal Henni, latribune.fr, 9 mars 2012.
  • « Le gouffre financier d’Orange dans la télévision », Grégoire Poussielgue et Guillaume de Calignon, Les Echos, 28 mars 2012.
  • « L’Autorité de la concurrence maintient la pression sur Canal+ », Fabienne Schmitt, Les Echos, 29 mars 2012.
  • « Rachat de Direct 8 : Canal Plus propose des concessions minimales », Jamal Henni, latribune.fr, 29 mars 2012.
  • « Rachat de Direct 9 et Direct Star : Canal+ lâche du lest », Fabienne Schmitt, Les Echos, 2 avril 2012.
  • « TPS Star n’est plus diffusée que sur la TNT payante », Fabienne Schmitt, Les Echos, 5 avril 2012.
  • « Orange refond complètement son offre de télévision », Paule Gonzalès, Le Figaro, 10 avril 2012.
  • « L’Autorité de concurrence émet des « doutes sérieux » sur le rachat de Direct 8 par Canal+ », latribune.fr, 17 avril 2012.
  • « Le rachat de Direct 8 par Canal+ dans le viseur de l’Autorité de la concurrence », Fabienne Schmitt, Les Echos, 18 avril 2012.
  • « Ecran (presque) noir pour TPS Star », Jamal Henni, latribune.fr, 18 avril 2012.
  • « Canal+ : le bras de fer avec la concurrence », Enguérand Renault, Le Figaro, 18 avril 2012.
  • « BeInSport et Canal+ se disputent les abonnés d’Orange Sport », Fabienne Schmitt, Les Echos, 14 mai 2012.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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