Transhumanisme

Apparu dans les années 1950 et popularisé dans les années 1990, le transhumanisme est un courant de pensée scientifique qui vise à transcender les capacités de l’être humain. Réalisé par Philippe Borrel, le documentaire Un monde sans humains ? (arte.tv) invite à réfléchir aux questions soulevées par la symbiose entre les nouvelles technologies et l’être humain. Il nous fait découvrir l’existence de l’université américaine de la Singularité (Singularity University) située à Mountain View, à deux pas du siège de Google, dans laquelle travaillent ensemble des chercheurs spécialistes en nanotechnologies, en biologie, en informatique et en sciences cognitives, les NBIC. Grâce aux progrès réalisés dans le domaine des NBIC, la maladie, le handicap, la vieillesse et, plus généralement, toutes sortes de « défaillances » propres à la nature humaine, seront combattus. « L’homme au futur serait ainsi comme un site web, à tout jamais une « version béta », c’est-à-dire un organisme prototype voué à se perfectionner en continu », explique le chirurgien Laurent Alexandre, président de DNAVision (société de services en analyses génétiques) dans un billet paru dans Le Monde (cahier science&techno du 20 avril 2013). Il ajoute que le lobby transhumaniste est déjà très présent aux Etats-Unis, en Chine et en Corée du Sud, pays où les industries des NBIC sont déjà très avancées dans des projets visant à changer l’humanité.
Dans le documentaire de Philippe Borrel, on est tout d’abord impressionné par les réalisations basées sur la fusion homme-machine, des prothèses de jambes par exemple. Mais très vite, on comprend que le transhumanisme n’a pas pour seul but de « réparer » l’humain, il peut aussi lui permettre de se surpasser, d’atteindre un plus haut niveau de performance, comme le renforcement de l’acuité visuelle naturelle.

Contribuant, notamment au travers de sa propre filiale 23andMe, à la recherche sur le séquençage de l’ADN (son cofondateur Sergueï Brin est porteur d’un gène à l’origine de la maladie de Parkinson), Google est l’un des parrains de la Singularity University, dirigée par l’un des évangélistes du transhumanisme, l’inventeur et entrepreneur spécialiste en informatique Ray Kurzweil, recruté récemment par Google afin de transformer le moteur de recherche en une véritable intelligence artificielle. Les adeptes du transhumanisme imaginent donc un monde meilleur, façonné, perfectionné par les progrès des technologies de pointe. Ses détracteurs y voient un monde uniquement accessible à ceux qui ont les moyens de choisir de « s’augmenter », et craignent l’avènement d’une nouvelle humanité sans humains.

Le discours sur les bienfaits des nouvelles technologies se banalise. Portant le titre officiel d’évangéliste en chef chez Intel, leader mondial des microprocesseurs, Steve Brown prédit un monde meilleur, rendu plus intelligent grâce à la fusion de la culture et de la technologie (conférence C2-MTL à Montréal en mai 2013). Annonçant l’arrivée prochaine des voitures sans conducteur, le futurologue annonce dans les dix prochaines années des changements liés aux nouvelles technologies bien plus révolutionnaires encore que ceux qui ont marqué la décennie passée.

Une étude du cabinet McKinsey publiée en mai 2013 (Le Monde du 24 mai 2013) recense les douze « ruptures technologiques » qui vont modifier considérablement et durablement la vie des individus. Au palmarès de celles-ci figurent aux cinq premières places, dans l’ordre, l’Internet mobile, le travail de la connaissance automatisée (assistant numérique haut de gamme, scanner intelligent…), l’Internet des objets, le cloud computing et et la robotique avancée (« augmentation humaine », chirurgie, aide à la personne…). L’impact économique sur la société mondiale – entreprises, consommateurs, Etats – est évalué, par an, entre 1 700 milliards et 6 200 milliards de dollars pour le cloud computing, entre 2 700 milliards et 6 200 milliards de dollars pour l’Internet des objets, et entre 3 700 milliards et 10 800 milliards de dollars pour l’Internet mobile à l’horizon 2025. L’ensemble de ces technologies qui interagissent les unes avec les autres, entraînera des bouleversements majeurs : 230 millions de travailleurs « intellectuels » seront concernés par l’automatisation de la connaissance.

Le plan du gouvernement français France Robots Initiatives vise à promouvoir l’assistance robotique des personnes âgées. Au sein du Robot Cognition Laboratory de Lyon, le travail des chercheurs a abouti à la simulation de la compréhension et, surtout, de l’apprentissage du langage par une machine. Doté de 500 neurones artificiels, le robot iCub exécute non seulement des ordres mais il est aussi capable d’anticiper les actions d’un être humain et donc d’interagir avec lui.

En janvier 2013, à l’issue d’un appel à concours, la Commission européenne a finalement retenu le Humain Brain Project (HBP) comme l’un des deux grands programmes phares de recherche pour les dix ans à venir (l’autre lauréat étant le projet Graphène, voir REM n°25, p.19). Le HBP a pour ambition de modéliser le cerveau humain sur ordinateur. L’intérêt scientifique de ce programme de recherche, qui va bénéficier d’un financement d’un milliard d’euros, ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté des chercheurs. Pour certains, il apparaît réducteur d’étudier les interactions des neurones pour comprendre le cerveau humain. Psychiatre et psychanalyste, Patrick Juignet s’alarme contre « un vaste courant idéologique matérialiste réductionniste cherchant à mécaniser l’homme […]. L’homme-machine est un homme chosifié, privé de sa spécificité humaine » (Le Monde, cahier science&techno, 26 janvier 2013).

Les Google Glass constituent un premier exemple grand public d’un « être humain augmenté » de fonctionnalités hors nature. Dévoilées en février 2013 et encore en phase de test, les Google Glass seront commercialisées, en 2014. Tel un smartphone, auquel elle est connectée grâce à la technologie sans fil Bluetooth ou via un réseau Wi-Fi, cette monture de lunettes permet, mains libres, de rester connecté à Internet en permanence. Avec caméra et un micro intégrés, ses fonctionnalités qui sont les mêmes que celles d’un smartphone, appel téléphonique, prise de vue, enregistrement vidéo, géolocalisation, réalité augmentée, se commandent à la voix, en faisant précéder chaque instruction de l’énoncé « Google Glass… ». Equipée d’un petit écran, ces lunettes futuristes affichent les informations recherchées en transparence devant l’œil droit, sans occulter la vue. L’écouteur fonctionne par conduction osseuse. Des applications pour les réseaux sociaux sont déjà prêtes : possibilité de poster sur son fil Facebook des photos prises avec les Google Glass en y ajoutant une description vocale ; tweeter, retweeter ou partager des photos via le hashtag #throughglass.
Des questions d’ordre éthique sur les conditions d’utilisation de ce cyberobjet dans la vie de tous les jours surgissent sur la Toile, au regard notamment du respect de la vie privée. Un mouvement est né au Royaume-Uni « Stop the Cyborgs », tandis que les lieux voulant interdire ces lunettes high-tech se multiplient aux Etats-Unis.

Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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