L’annonce surprise de l’alliance entre les numéros 2 et 3 de la communication annonce un nouveau cycle de consolidation du marché, justifié par la concurrence nouvelle des géants du web. Mais plutôt que de faire émerger un grand groupe de communication numérique, l’alliance donne d’abord naissance à un mastodonte de la publicité à la télévision américaine, le plus gros marché publicitaire au monde.
En annonçant, le 28 juillet 2013, s’être mis d’accord pour une fusion entre égaux, les groupes de communication Omnicom, numéro 2 mondial en chiffre d’affaires, et Publicis, numéro 3 mondial, ont créé la surprise. Cette fusion inaugure une nouvelle ère dans le marché de la communication, un terme qui recouvre toutes les actions publicitaires ainsi que le conseil en communication, l’événementiel, que ce soit hors ligne ou en ligne. En effet, le secteur s’est construit par cycles successifs de consolidation, dans les années 1980, au tournant des années 2000, puis après 2005 dans le numérique.
Le marché, dominé historiquement par le britannique WPP, s’est structuré dans les années 1980 par le regroupement d’agences, dont Omnicom est l’émanation. Le groupe est ainsi né en 1986 du rapprochement des réseaux américains d’agences publicitaires BBDO et DDB. Il devient un géant en mondial en 1993 avec le rachat de TBWA Worldwide et s’impose comme une alternative américaine à WPP : avec 11,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2012, Omnicom est juste derrière WPP et son chiffre d’affaires de 12,8 milliards d’euros, très loin devant le deuxième groupe de communication américain, Interpublic, qui réalise un chiffre d’affaires de 5,4 milliards d’euros.
Si WPP devance Omnicom, c’est parce que le groupe a lui aussi su grossir en consolidant le marché dans les années 1980 avec le rachat des réseaux d’agences J. Walter Thomson et Ogilvy puis, en 2000, avec le rachat de l’agence américaine Young & Rubicam pour 5,7 milliards de dollars, ce qui lui avait alors permis de prendre la place de numéro 1 mondial. A cette époque, Publicis amorce à son tour sa transformation en groupe mondial de communication avec le rachat du britannique Saatchi & Saatchi en 2000 pour 2 milliards d’euros, devenant ainsi le cinquième plus grand groupe de communication. En 2002, Publicis rachètera pour 3 milliards de dollars le groupe américain Bcom3, un réseau regroupant les agences Leo Burnett et Starcom MediaVest Group, ce qui lui permet alors de doubler son chiffre d’affaires. Enfin, c’est encore Publicis qui sera à l’origine de la vague de consolidation amorcée dans les agences numériques avec plus de 2,5 milliards d’euros investis depuis 2005, Publicis ayant, pour ses principales acquisitions, racheté Digitas en 2007 (voir REM n°6-7, p.48), puis Razorfish en 2009, contrôlé auparavant par Microsoft, Rosetta en 2011 et le néerlandais LBi en 2012. Publicis est d’ailleurs le seul groupe mondial de communication à réaliser en 2012 plus de chiffre d’affaires dans le numérique (35 %) que dans la publicité traditionnelle (30 %), un avantage certain qui se retrouve dans ses comptes et qui aura permis la fusion entre égaux avec Omnicom.
Publicis affiche en effet des bénéfices similaires à Omnicom, malgré un chiffre d’affaires presque deux fois inférieur, notamment parce que le groupe a su prendre très tôt le virage du numérique et se positionner également dans les pays émergents. Alors qu’Omnicom a réalisé un résultat de 750 millions d’euros pour 11,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires, Publicis a réalisé un résultat de 737 millions d’euros pour 6,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2012, la marge de Publicis (16,1 %) étant nettement supérieure à celle d’Omnicom (12,6 %). Ces différences expliquent d’ailleurs pourquoi, malgré leur différence de taille, les deux groupes ont une capitalisation boursière similaire (environ 12,5 milliards d’euros chacun). C’est armés de ces chiffres que Maurice Lévy, président du directoire de Publicis, et John Wren, PDG d’Omnicom, ont justifié le choix d’une fusion entre égaux, Publicis devant détenir 50,3 % du capital et Omnicom 49,7 %, l’équilibre 50/50 étant atteint dans un deuxième temps après le versement d’un dividende spécial aux actionnaires de Publicis et d’Omnicom.
Cette fusion est singulière, d’abord parce qu’elle réunit des groupes de tailles différentes et aux performances contrastées, même si Publicis et Omnicom sont tous deux bénéficiaires, ensuite parce qu’elle fait plus que consolider le secteur de la communication. Elle lui donne tout simplement une autre dimension : avec 17,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires, le nouvel ensemble, qui est baptisé Publicis Ominicom Group, aura une capitalisation boursière d’environ 26,5 milliards d’euros et sera, pour les médias, un acteur clé. Présentée comme une réponse « à l’explosion des données et au développement de nouveaux médias géants dans l’internet », cette fusion correspond de fait, selon Maurice Lévy, à un verrouillage entre grands de la communication d’une bonne partie du marché de la publicité média, celle qui représente les plus gros montants et échappe encore, et peut-être définitivement, aux acteurs du Net. Ainsi, selon l’institut Recma, le nouvel ensemble devrait avoir une part de marché mondiale de 35,6 % dans l’achat médias (l’achat en gros d’espaces publicitaires dans les médias, ensuite revendus aux annonceurs, les agences publicitaires étant dans ce cas des sortes d’agences de courtage). En France, Publicis Omnicom Group passera par exemple devant Havas, le leader historique de l’achat média, avec 32,8 % de parts de marché contre 23,6 % pour Havas en 2012. Aux Etats-Unis, cette part de marché montera à 41,6 %, le nouvel ensemble contrôlant donc dans les médias la même part de marché, et même un peu plus en fait que Google sur le marché publicitaire internet. Omnicom et Publicis réalisaient déjà avant leur alliance plus de la moitié de leur chiffre d’affaires aux Etats-Unis, dont la plus grande partie sur le marché de la publicité à la télévision.
Car la fusion ne donne pas l’avantage numérique à Publicis Omnicom Group. Alors que le numérique est le segment d’activité le plus important chez Publicis, gage d’une forte rentabilité, sa part dans le nouvel ensemble chute à 20 %. De la même manière, le développement de Publicis dans les pays émergents, où le marché publicitaire est dynamique, va être minoré au sein de Publicis Omnicom Group, les marchés émergents ne comptant plus que pour 20 % du chiffre d’affaires, qui sera dès lors très dépendant du marché américain, donc des performances de l’ex-Omnicom. Cette fusion entre égaux, de tailles finalement très différentes, s’explique par l’union d’un groupe ayant basculé dans le XXIe siècle, le groupe Publicis présent dans le numérique et sur les nouveaux marchés, et d’un groupe encore spécialisé dans la publicité traditionnelle, avec des agences certes très créatives, mais tournées plus vers les médias que vers l’internet. Se posera donc la question à terme des tendances qui l’emporteront, à savoir la tendance française qui mise sur les pays émergents et le numérique, ou le gigantisme du marché publicitaire médias américain qui, même moins dynamique du fait de la concurrence de l’internet et de la crise économique, restera le premier marché au monde. Or, dans le nouvel ensemble, le marché média français ne pèsera plus que 5 % du chiffre d’affaires, ce qui limitera probablement l’influence des centres de décision parisiens, Publicis Omnicom Group réalisant l’essentiel de son chiffre d’affaires aux Etats-Unis.
En annonçant la fusion, Maurice Lévy et John Wren ont au contraire insisté sur la dimension européenne du groupe, qui aura son siège au Pays-Bas, et deux centres opérationnels, à Paris et à New York. Sauf à considérer que Paris gérera le monde et que New York sera l’antenne locale du groupe pour le marché américain, la logique voudrait que Publicis Omnicom Group rapatrie à terme l’ensemble de sa direction générale à New York. Le coup de maître de Maurice Lévy qui, en s’alliant avec Omnicom parvient à plus que doubler de taille, aura dans ce cas pour contrepartie l’américanisation du nouvel ensemble. Et cette dernière semble inévitable : Maurice Lévy et John Wren seront codirecteurs généraux pendant 30 mois, après quoi seul John Wren restera directeur général, Maurice Lévy, à plus de 73 ans, devenant président non exécutif du nouvel ensemble. Au moins, cette fusion apporte-t-elle une réponse immédiate à une interrogation récurrente sur le successeur de Maurice Lévy à la tête de Publicis : il n’en aura pas.
Pour les autres groupes de communication, cette alliance est un nouveau défi à relever. La dernière grande opération de consolidation, le rachat d’Aegis par Dentsu en mars 2013 pour 4,9 milliards de dollars, n’avait pas rebattu les cartes du marché : un géant japonais, concurrencé sur son marché national par l’internet, prenait le contrôle d’une agence anglo-saxonne pour s’internationaliser. Cette fois-ci, la course à la taille a au contraire pour conséquence de faire émerger un géant sur un marché, le marché publicitaire TV, capable de négocier avec les nouveaux géants du web, lesquels lorgnent tous le marché de la publicité à la télévision. Cette course au gigantisme marginalise en même temps les autres grands groupes de communication en dehors de WPP et de ses 12,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2012. Le numéro 3 sera Interpublic Group, avec un chiffre d’affaires plus de deux fois inférieur à celui de WPP, et de trois fois inférieur à celui de Publicis Omnicom Group. Le quatrième groupe, Dentsu, sera presque respectivement trois et quatre fois plus petit que WPP et Omnicom Group. Enfin, le cinquième groupe, le français Havas et son 1,8 milliard d’euros de chiffre d’affaires, devient logiquement une cible dans le mouvement annoncé de consolidation qui se jouera entre Publicis Omnicom Group et WPP, sauf si un nouvel entrant apparaît après une nouvelle fusion entre outsiders. En revanche, si WPP, qui a déjà envisagé de racheter Interpublic et a des contacts avec Havas, venait à s’emparer de l’un de ces deux groupes, alors le marché mondial de la communication hors ligne serait définitivement réduit à un duopole, la concurrence étant animée sur le marché numérique par Google, Yahoo! ou encore Facebook.
Sources :
- « Mariage géant entre Publicis et Omnicom », Alexandre Debouté et Enguérand Renault, Le Figaro, 29 juillet 2013.
- « Cette opération nous est imposée par les géants du Net », interview de Maurice Lévy, président du directoire de Publicis, par Alexandre Debouté, Le Figaro, 29 juillet 2013.
- « En se mariant, Publicis et Omnicom créent le nouveau leader mondial de la publicité », Fabienne Schmitt, Les Echos, 29 juillet 2013.
- « Publicis Omnicom : l’histoire secrète d’une fusion », Enguérant Renault et Alexandre Debouté, Le Figaro, 30 juillet 2013.
- « Les fusions entre égaux à la Omnicom – Publicis ne marchent pas », interview de Martin Sorrell, PDG de WPP, par Véronique Richebois et Alexandre Counis, Les Echos, 2 août 2013.
- « Agences médias : Havas domine toujours, ZenithOptimedia passe devant Carat », Alexandre Debouté, Le Figaro, 21 août 2013.
- « Maurice Lévy : « Nul n’est petit volontairement » », interview de Maurice Lévy, président du directoire de Publicis Groupe, par Alexandre Debouté, Le Figaro, 29 août 2013.