Transmédia

Mode de création et de communication, né des usages numériques interactifs, dans le domaine des médias, le transmédia s’appuie sur des supports différents pour créer ou pour communiquer. Il se distingue du plurimédia (ou crossmédia) qui décline un même contenu sur différents médias (presse, cinéma, radio, télévision, internet, smartphone) et du multimédia grâce auquel convergent l’écrit, le son, l’image sur un même support. Le transmédia utilise, de façon à la fois complémentaire et autonome, différents médias, supports et outils numériques pour créer un contenu original.

Le mot a été inventé au début des années 2000 par Henry Jenkins, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), auteur d’un article intitulé « Transmedia Storytelling », sous-titré « Moving characters from books to films to video games can make them stronger and more compelling », paru en 2003 dans la Technology Review. Dans Convergence Culture, ouvrage publié en 2006 (traduit en français, éd. Armand Colin-INA 2013), Henry Jenkins revient sur le phénomène transmédia qu’il explique par la triple convergence des usages, des technologies et des contenus : « Une histoire transmédia se développe sur plusieurs supports médias, chaque scénario apportant une contribution distincte et précieuse à l’ensemble du récit ». La consommation individuelle et passive des programmes devient collective et active (source : Wikipédia). Aux Etats-Unis, le titre de transmedia producer est reconnu par la Producer’s Guild of America (PGA) depuis 2010.

Nouvelle écriture audiovisuelle, le transmédia propose aux spectateurs une façon inédite de découvrir des histoires. Sa caractéristique principale réside dans la participation du public. Les spectateurs sont invités à interagir, à « expérimenter ». Abandonnant le principe classique de la narration à sens unique et linéaire, une histoire transmédia s’écrit à partir des échanges noués avec le public. Ludique et interactif, le transmédia s’apparente à un jeu vidéo grandeur nature, comptant sur la créativité de ses participants, qu’il invite volontiers à confondre fiction et réalité. Producteur, réalisateur et ex-directeur de la filiale cinéma d’Arte, Michel Reilhac est un pionnier du transmédia en France. Il en donne la définition suivante : « Ce sont des histoires qui prennent forme dès l’origine, en ayant recours à Internet, à la télévision, au cinéma, etc. Chaque média reprend une partie de l’histoire, est une pièce du puzzle et propose un autre point de vue sur cette histoire. D’autre part, chaque morceau de l’histoire doit pouvoir exister en lui-même et proposer une expérience enrichissante » (source : mediamerica.org).

Empruntant des caractéristiques à la gamification des contenus (voir REM n°21, p.36) et notamment aux jeux sérieux comme les newsgames (voir REM n°25, p.49), mais aussi au webdocumentaire et à la télévision sociale (voir REM n°22-23, p.65), le transmédia prétend aller plus loin encore dans le bouleversement des modes de production et de consommation des contenus. Requérant l’implication effective du public, il abolit déjà les frontières qui limitent la création à un média ou à un autre, en les mettant conjointement à contribution sur les cinq écrans (cinéma, télévision, ordinateur, téléphone et tablette). D’abord utilisé comme outil marketing pour mobiliser les spectateurs avant le lancement d’un film ou d’une série, le transmédia est en phase de développement, prêt à devenir un contenu innovant à part entière. Il est le reflet d’une époque marquée par la mutation des comportements, une époque où chacun s’exprime et où le spectateur devient acteur.

En 2012, la promotion du film Louise Wimmer, réalisé par Cyril Mennegun, avec Corinne Masiero, consistant à coller partout en France des milliers de post-it avec le numéro de téléphone du personnage principal pour inviter les futurs spectateurs à converser avec lui, est un exemple de transmédia au service du marketing. Mais le transmédia est bien plus que cela. Plusieurs structures sont à la pointe en France. Lancé en 2009, Transmedia Lab du groupe Orange a produit, en 2012, en partenariat avec l’entreprise Lexis Numérique, Alt-Minds, la première fiction totale, une enquête policière participative, à mi-chemin entre la websérie et le jeu, avec des indices à trouver sur les réseaux sociaux et l’internet.

Depuis la rentrée 2011, le groupe France Télévisions s’est doté d’une direction Nouvelles écritures et transmédia, dirigée par Boris Razon. Son budget est de 3,5 millions d’euros en 2013. Cette année, elle a mis en ligne une « expérience participative » de « théâtre enrichi » à partir de la pièce de Jean-Michel Ribes Théâtre des animaux, présentée au Théâtre du Rond-Point à Paris : les internautes peuvent diriger le casting (ou s’y présenter eux-mêmes en se filmant avec leur webcam), changer le décor ou doubler la voix des comédiens. La pièce de théâtre peut être visionnée en ligne grâce à cinq flux vidéo synchronisés pour naviguer à sa guise au cœur de la représentation (captation classique, vue depuis les coulisses, via le jeu des comédiens en écran divisé, par étapes, ou encore avec les comédiens évoluant dans des décors réels). Les réalisations des internautes participants sont mises en ligne.

France Télévisions a également coproduit la fiction transmédia The end, etc. de la réalisatrice Laëtitia Masson, dont le budget s’élève à 400 000 euros, fiction mise en ligne en février 2013, dont le sujet est l’engagement. Les spectateurs-internautes sont invités à recomposer eux-mêmes l’histoire, en choisissant de cliquer sur les mots clés des différents thèmes proposés, mêlant ainsi témoignages, portraits et chansons.

Très présente sur l’internet et notamment dans la production de webdocumentaires, la chaîne franco- allemande Arte a décidé de supprimer son service multimédia afin d’intégrer plus étroitement le numérique à l’ensemble de ses activités créatives. Résolument bimédia avec l’ensemble de ses programmes conçus à la fois pour la télévision et pour l’internet, Arte a diffusé en mai 2013, About:Kate, la première série entièrement crossmédia, écrite par Janna Nandzik. La plate-forme Arte Creative met à la disposition des téléspectateurs-internautes plusieurs outils : un site web pour suivre la navigation de Kate sur la Toile, un compte Facebook pour savoir ce que Kate est en train de poster sur son profil durant l’épisode en cours et une application pour smartphone et tablette, synchronisée avec la diffusion à l’antenne, pour participer, à l’aide de QCM (questionnaires à choix multiples), à la séance de Kate chez son thérapeute. En outre, les téléspectateurs- internautes sont appelés à être « coréalisateurs », en envoyant des vidéos, des photographies et des sons, qui seront intégrés à la série.

Arte s’est lancée également dans le transmédia. En lien avec le documentaire The Brussels Business de Matthieu Lietaert et Friedrich Moser, coproduit par la ZDF et Arte, la plate-forme interactive The Brussels Business Online, ouverte entre février et avril 2013, a permis aux téléspectateurs-internautes de suivre, jour après jour, huit débats au Parlement européen, d’entendre les lobbyistes et de s’informer sur les questions de politique européenne débattues, et enfin de voter en temps réel.

Allant plus loin encore dans la fusion du réel et de la fiction, Michel Reilhac a imaginé l’œuvre transmédia Cinemacity, lancée par Arte en juillet 2013. A partir d’un site web et d’une application gratuite pour téléphone portable, Cinemacity offre la possibilité de découvrir en réalité augmentée les lieux de tournage dans la capitale de plus de 400 extraits de films réalisés entre 1932 et 2013, notamment à partir de promenades thématiques. Des mini-séries (5×2 min), baptisées fictions-balades, sont également proposées. Les spectateurs-mobinautes sont invités à en réaliser eux-mêmes dans le cadre d’un atelier d’écriture dirigé par Michel Reilhac, ainsi qu’à rejouer à leur guise l’extrait de leur film préféré. Les meilleurs seront présentés au Festival Cinemacity en juin 2014.

Pour les médias traditionnels, l’enjeu est de trouver la façon de retenir un jeune public multiconnecté, dont l’attention navigue continuellement d’un terminal à un autre. En expérimentant le transmédia, dont le modèle économique reste à trouver, les chaînes de télévision cherchent à s’adapter aux nouveaux usages de communication numérique. A ce stade, elles assurent surtout leur promotion auprès des internautes, en créant des communautés participatives autour de leur marque. A l’heure où s’effacent les singularités de chacun des médias, ceux-ci doivent être multimédias, multisupports et multiplateformes. A cette fin, les médias sont à la recherche d’un nouveau langage, multipliant les projets à la frontière du monde réel et de la fiction : jeux de piste en ligne et hors ligne, pour annoncer la sortie d’un film, et jeux de rôle grandeur nature (Live Action Role Play – LARP) consistant à incarner dans la vie réelle un personnage de fiction. Les médias empiètent de plus en plus sur leurs domaines respectifs de création. Le transmédia illustre cette nécessité de créer un « univers » rassembleur. Il annonce l’avènement d’une création multimédia hybride : une expérience narrative (et non plus un programme), ludique, interactive, « immersive », pour une communauté de spectateurs-acteurs (et non plus une audience), à vivre en mode connecté et « en live ». Son avenir est lié à celui des technologies.

REM N°28 Automne 2013

Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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