Recel de violation de secret défense et protection des sources d’information

Décision de non-lieu.

En décembre 2007, un journaliste du quotidien Le Monde avait été brièvement gardé à vue et mis en examen pour recel de violation de secret pour avoir publié, en avril de la même année, des informations, couvertes par le « confidentiel défense », dont il refusait de révéler l’origine, au nom du droit à la protection des sources d’information. Plus de six ans après, l’instruction s’est achevée, début janvier 2014, par une décision de non-lieu. Se trouvent ainsi illustrées la question de la protection des sources d’information des journalistes et celle, qui lui est partiellement liée, du recel de violation de secret, au moment même où un nouveau projet de loi, visant à déterminer un régime spécifique à leur égard, est en cours de discussion au Parlement.

A l’époque des faits, la protection des sources d’information des journalistes n’était que très partiellement assurée par des dispositions, relatives au journaliste entendu comme témoin et à certaines mesures de perquisitions, insérées dans le code de procédure pénale par la loi du 4 janvier 1993. Ce régime protecteur a été renforcé par la loi du 4 janvier 2010. Celle-ci a introduit, dans la loi du 29 juillet 1881, l’affirmation du principe du droit à la protection des sources des journalistes auquel « il ne peut être porté atteinte […] que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie » et, dans le code de procédure pénale, des dispositions nouvelles visant à élargir et conforter ladite protection à l’égard de situations de témoignage, réquisitions et perquisitions.

Quelques cas d’espèce, dont notamment l’affaire dite des « fadettes » (factures détaillées de téléphones de journalistes, par lesquelles il a été cherché à identifier la source d’informations, couvertes par le secret de l’enquête et de l’instruction, publiées dans la presse), et bien que les réquisitions contestées aient été annulées (par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux, le 5 mai 2011, dont la décision a été confirmée par la Cour de cassation, le 6 décembre 2011 – voir REM n°21, p.4), et la volonté, à la suite de plusieurs condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 12 avril 2012, Martin et autres c. France – voir REM n°22-23, p.6 et CEDH, 28 juin 2012, Ressiot et autres c. France – voir REM n°24, p.4), de mettre, à cet égard, notre droit national en conformité avec les exigences du droit européen, ont conduit, conformément à l’une des promesses électorales du président de la République, au dépôt, en juin 2013, d’un nouveau projet de loi en la matière. Celui-ci semble cependant ne pas satisfaire encore pleinement les journalistes ou ceux qui s’expriment en leur nom. Cela expliquerait le retard pris par son adoption.

Parmi les dispositions nouvelles en attente d’adoption figure celle selon laquelle « la détention par un journaliste de documents provenant du délit de violation du secret professionnel ou du secret de l’enquête ou de l’instruction ou du délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée ne peut constituer le délit de recel prévu par l’article 321-1 du code pénal lorsque ces documents contiennent des informations dont la diffusion au public constitue un but légitime en raison de leur intérêt général », notion d’appréciation bien incertaine.

Aussi utile que soit la protection des sources d’information des journalistes, que la Cour européenne des droits de l’homme considère comme étant « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse », à quoi bon continuer à définir des obligations de secret si les journalistes – sinon ceux auxquels ces secrets s’imposent et qui ont manqué à leur devoir, dont l’identification sera ainsi, en pratique, rendue plus difficile si ne leur est pas accordée une totale impunité – peuvent détenir et exploiter de telles informations sans crainte d’être poursuivis et sanctionnés pour recel et leur donner l’écho le plus large et donc le plus préjudiciable ? La liberté d’information devrait-elle immanquablement prévaloir sur tout autre droit ? N’y faudrait-il pas au moins des garanties qu’à ce jour, la profession ne fournit pas ?

Sources :

  • « Un journaliste mis en examen pour un article publié dans « Le Monde » », LeMonde.fr, 7 décembre 2007.
  • « Garde à vue, reportage à froid », Guillaume Dasquié, LeMonde.fr, 26 décembre 2007.
  • « Secret des sources des journalistes. A propos de la loi du 4 janvier 2010 », Emmanuel Derieux, JCP G n° 3, 40, p. 9-11, 2010.
  • « Protection des sources des journalistes : conflits de secrets », Emmanuel Derieux, Legipresse, n° 276, p. 280-284, octobre 2010.
  • « Protection des sources des journalistes. Secret des sources des journalistes et impunité des violations de secrets », Emmanuel Derieux, RLDI/75, n° 2483, p. 30-34, octobre 2011.
  • « Secret des sources d’information des journalistes », Emmanuel Derieux, JCP G, supplément au n° 47, p. 31-35, 19 novembre 2012.
  • « Protection des sources journalistiques : de L’Art poétique à l’art législatif », Catherine Fruteau, Legipresse, n° 308, p. 467-473, septembre 2013.
  • « Les démêlés juridiques du secret des sources des journalistes. Retour sur les derniers épisodes à l’aube du « projet de loi Taubira » », Boris Barraud, RLDI/97, p. 81-93, octobre 2013.
  • « Secret des sources : non-lieu pour le journaliste Guillaume Dasquié », LeMonde.fr, 21 janvier 2014.
Professeur à l’Université Paris 2

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