En homme de presse passionné, le patron du Nouvel Observateur a effectué un passage de témoin plutôt qu’une bonne affaire, soucieux d’assurer la survie de son hebdomadaire dans la continuité, alors que la presse d’information traverse une crise aiguë.
C’est une vente sous conditions hors normes, orchestrée par Claude Perdriel, propriétaire de l’un des principaux hebdomadaires d’information français. En quête d’un actionnaire depuis juillet 2013, le patron du Nouvel Observateur, âgé de 87 ans, souhaite rester décisionnaire quant à l’avenir du titre qu’il a lancé il y a cinquante ans, avec le journaliste Jean Daniel. Il est donc parvenu à monter une opération de vente mûrement réfléchie, en allant chercher Xavier Niel, actionnaire à parts égales avec Matthieu Pigasse et Pierre Bergé de LML (Le Monde Libre, dont le groupe Prisa détient aussi 20 %), holding du groupe Le Monde. L’ex-directeur de l’hebdomadaire d’information, Louis Dreyfus, a également participé à la conclusion de cet accord en tant qu’actuel président du directoire du Monde. Un an après leur acquisition du quotidien du soir, le trio « BNP » avait déjà manifesté son intérêt pour Le Nouvel Observateur en 2011, qui n’était pas à vendre à l’époque.
Le 8 janvier 2014, le propriétaire du Nouvel Observateur et les trois actionnaires du Monde ont annoncé officiellement être entrés en « négociations exclusives ». Claude Perdriel conserverait une minorité de blocage avec 35 % du capital, tandis que les actionnaires de LML acquerraient 65 % du capital du Nouvel Observateur. Les deux groupes de presse ont déjà fait affaire en 2002, lorsque Le Nouvel Observateur est devenu actionnaire à hauteur de 1,8 % du groupe Le Monde, qui a acquis en retour 6 % de son capital. Mais leurs diverses tentatives de synergie à travers leurs régies publicitaires ou leurs titres respectifs ont échoué, qu’il s’agisse d’Aden du Monde ou du supplément Ile-de-France du Nouvel Observateur. Ils ont également été concurrents au moment de la reprise du Monde en 2010, Le Nouvel Observateur s’étant allié aux groupes Orange et Prisa (voir REM n°17, p.63).
Parmi les nombreuses conditions posées par le vendeur figurent le maintien à leurs fonctions respectives de Laurent Joffrin, directeur de la rédaction et coprésident du directoire, et de Nathalie Collin, coprésidente ; le respect de la ligne éditoriale social-démocrate et de la charte de l’hebdomadaire ; un droit de veto sur les licenciements ; un droit de préemption réciproque au rachat des parts entre actionnaires ; l’engagement des repreneurs de rester majoritaires pendant six ou dix ans et le pilotage du comité éditorial aux côtés de Jean Daniel. Enfin, Claude Perdriel entend garder la direction du supplément hebdomadaire TéléCinéObs, une parade aux éventuelles velléités de fusion de la part des nouveaux actionnaires avec leur magazine culturel Télérama. Ces dernières volontés en tant que propriétaire du Nouvel Observateur, Claude Perdriel les aura payées le prix.
Le premier hebdomadaire d’information par la diffusion, avec 500 000 exemplaires diffusés chaque semaine, vaudrait entre 40 et 60 millions d’euros. Son fondateur le cède avec le site d’information en ligne Rue89 (acheté 7,5 millions en décembre 2011) pour la modique somme de 13,4 millions d’euros. Et la moitié de cette somme sera investie dans une augmentation du capital. Racheté par le belge Roularta en 2006, l’hebdomadaire L’Express était valorisé 250 millions d’euros au moment de sa mise en vente par le groupe Dassault. Interrogé sur ses motivations pour vendre Le Nouvel Observateur à un prix aussi bas, Claude Perdriel explique que « l’idée de le revendre pour faire de l’argent avec ce journal qui, au fond, appartient aussi aux lecteurs et aux journalistes, autant qu’à nous, était pour moi impensable ». Les 6,5 millions d’euros restants seront injectés dans la holding SFA-PAR, détenue par le couple Perdriel. Afin de préparer la vente du Nouvel Observateur et de Rue89, SFA-PAR a repris pour 17 millions d’euros, en novembre 2013, les magazines Challenges, Sciences et Avenir, le site Pourquoi Docteur et une régie publicitaire, détenus par le groupe Nouvel Observateur.
Réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 100 millions d’euros, Le Nouvel Observateur affichait une perte de 7 millions d’euros en 2013. Qualifié de « patron paternaliste », Claude Perdriel, qui avoue lui-même n’avoir jamais licencié personne, se voit reprocher une gestion laxiste. « C’est vrai, reconnaît-il, car j’aime les journalistes. On ne peut pas faire de journaux sans eux ». Vu les résultats financiers, il n’est pas sûr que cette gestion des ressources humaines soit compatible avec les ambitions des nouveaux actionnaires. Avec un déficit de 2 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de plus de 300 millions en 2013, le groupe Le Monde cherche à faire des économies. Déplorant la cherté des titres de presse d’information français, quotidiens et hebdomadaires, Claude Perdriel juge que « les directeurs de journaux sont trop conservateurs. La société évolue très vite et il faudrait tout le temps renverser la table et se demander quel journal nous devons faire pour le lecteur aujourd’hui ». Président de la société des rédacteurs du Monde, Alain Beuve-Mery a soufflé une bonne idée à ses confrères inquiets du Nouvel Observateur : recevoir en héritage la minorité de blocage négociée par leur futur ex-patron. Les négociations exclusives en cours devraient rapidement aboutir.
Sources :
- « Lune de Niel à l’ »Obs » », Isabelle Hanne, Libération, 8 janvier 2014.
- « « L’Obs » in translation », Isabelle Hanne, Libération, 9 janvier 2014.
- « Comment le trio Bergé-Niel-Pigasse a mis la main sur le « Nouvel Observateur » », Alexis Delcambre et Alexandre Piquard, Le Monde, 10 janvier 2014.
- « « Je transmets l’œuvre de ma vie à des gens qui vont la défendre, c’est ma consolation », interview de Claude Perdriel, cofondateur et patron du « Nouvel Observateur » », propos recueillis par Nicolas Barré, David Barroux et Fabienne Schmitt, Les Echos, 10-11 janvier 2014.
- « « Nouvel Obs » : les coulisses d’une vente », Fabienne Schmitt, Les Echos, 16 janvier 2014.