Après avoir annoncé qu’il étudiait tous les scénarios possibles pour mettre fin à sa décote de holding et diminuer son endettement (voir REM n°24, p.40), le groupe Vivendi a opté en 2013 pour une revente de ses activités matures, à savoir Activision-Blizzard, le numéro 1 mondial du jeu vidéo, ainsi que sa participation dans Maroc Télécom (voir REM n°28, p.48). Le nouvel ensemble restant un conglomérat, avec des activités dans les télécommunications (SFR, GVT) et les industries culturelles (Canal+, Universal Music Group), la politique de cessions a dû être complétée par un repositionnement stratégique. Ce dernier est conduit en grande partie par Vincent Bolloré, premier actionnaire du groupe Vivendi avec 5,01 % du capital, acquis en partie par la vente à Vivendi de ses chaînes Direct 8 et Direct Star en 2012, et par des achats d’actions à hauteur de 600 millions d’euros. Ce statut nouveau de Vincent Bolloré au sein de Vivendi a d’ailleurs été entériné le 26 novembre 2013 à l’occasion du conseil de surveillance du groupe, qui a proposé que Vincent Bolloré en devienne le président, succédant ainsi à Jean-René Fourtou.
La priorité stratégique de Vivendi est désormais le développement dans les médias, ce qui va conduire le groupe à introduire SFR en Bourse dès 2014, afin de se séparer de son principal actif dans les télécommunications. Et c’est SFR qui supportera la plus grande partie de la dette de l’actuel Vivendi, aux alentours de 8 milliards d’euros, quand elle était de 17,4 milliards d’euros au 30 juin 2013, avant les cessions d’Activision-Blizzard, de Maroc Télécom, mais également du label Parlophone, une cession cette fois-ci imposée par les autorités européennes de concurrence à la suite du rachat d’EMI par Universal Music Group en 2011 (voir REM n°24, p.7).
Toutefois, la dette que supportera SFR une fois indépendant ne devra pas correspondre à un ratio d’endettement sur son excédent brut d’exploitation trop élevé, sauf à prendre le risque d’une mauvaise valorisation en Bourse (le ratio moyen d’endettement des opérateurs de télécommunications en Europe est de 2,3 fois l’excédent brut d’exploitation, soit une dette légèrement inférieure à 5 milliards d’euros pour SFR). Mais une dette de 8 milliards d’euros correspondrait en fait au montant déboursé par Vivendi en 2011 pour racheter à Vodafone sa participation de 40 % dans SFR (voir REM n°18-19, p.48). SFR a les moyens de supporter un tel endettement, le groupe ayant un résultat opérationnel de 2,8 milliards d’euros sur son dernier exercice. Le véritable enjeu financier pour SFR sera plutôt lié au déploiement des réseaux de nouvelle génération (fibre optique et 4G), et le vrai enjeu stratégique sera soit de participer à la consolidation du marché français des télécommunications, soit d’être la cible d’une OPA par un des grands acteurs mondiaux des télécommunications, pour devenir alors sa tête de pont dans l’Hexagone.
Délesté de la majeure partie de sa dette, le nouveau Vivendi aura donc les moyens d’investir pour se transformer en véritable groupe de médias, l’attelage actuel de Canal+, d’Universal Music Group et de GVT ne permettant pas de créer de véritables synergies entre ces différentes activités. Ce repositionnement stratégique sur les seuls médias commence d’ailleurs à s’illustrer. Le 28 octobre 2013, Canal+ France et Lagardère sont parvenus à un accord pour le rachat des 20 % de Lagardère dans le capital du groupe, une participation héritée de la fusion de CanalSat et TPS, dont Lagardère était l’un des actionnaires avec TF1 et le groupe M6. Canal+ France rachète 1,02 milliard d’euros la participation de Lagardère et devient ainsi une filiale à 100 % de Vivendi. Pour Lagardère, le montant est en deçà de ses espérances (M6 et TF1 avait cédé leur part à un tarif négocié de 1,5 milliard d’euros, ce qu’espérait Lagardère), mais au-delà des premières propositions de Canal+ (entre 800 et 900 millions d’euros), une divergence sur la valorisation de ces 20 % dans Canal+ qui a conduit Lagardère à tout tenter depuis 2010 pour forcer Vivendi à lui racheter au prix fort sa participation. La dernière action du groupe Lagardère a d’ailleurs été d’assigner en justice Vivendi, reprochant à ce dernier de détourner à son profit les dividendes de Canal Plus France, et réclamant 1,6 milliard d’euros en compensation du manque à gagner. L’accord trouvé entre Lagardère et Canal+ met en même temps fin à ce contentieux. Enfin, le nouveau Vivendi a témoigné de son intérêt renouvelé pour les médias en prenant, en septembre 2013, une participation dans Maker Studios, un bouquet de 60 000 chaînes sur YouTube, installé en Californie, et qui gère quelque 16 000 nouveaux artistes pour 5 milliards de vidéos vues chaque mois.
Sources :
- « Lagardère vend à Vivendi sa participation de 20 % dans Canal+ », Alexandre Debouté, Le Figaro, 29 octobre 2013.
- « Vivendi seul maître à bord de Canal+ France », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 29 octobre 2013.
- « Vivendi boucle la vente de Maroc Telecom à Etisalat », Elsa Bembaron, Le Figaro, 6 novembre 2013.
- « Bolloré aux commandes du nouveau Vivendi », Elsa Bembaron, Le Figaro, 27 novembre 2013.
- « Vincent Bolloré va prendre la présidence du nouveau Vivendi », Romain Gueugneau et Grégoire Poussielgue, Les Echos, 27 novembre 2013.
- « La Bourse attend plus de Vivendi », Romain Gueugneau et Grégoire Poussielgue, Les Echos, 28 novembre 2013.