Numericable s’empare de SFR et reconfigure le marché français des télécoms

En déstabilisant le marché français de la téléphonie mobile avec ses offres low cost en janvier 2012, Free a amorcé un vaste mouvement de recomposition des équilibres entre acteurs, la principale conséquence étant la volonté de Vivendi de se séparer de SFR, 2e acteur français de la téléphonie mobile derrière Orange ! Un marché à trois au lieu de quatre opérateurs mobiles a été envisagé, par Bouygues Telecom, par Free et le gouvernement. Ce sera finalement un marché mobile condamné à graviter autour de géants du fixe qui va émerger, le câblo-opérateur Altice-Numericable étant parvenu à convaincre Vivendi de lui céder SFR.

Le marché français des télécommunications est atypique parce qu’il est modelé, notamment, par un acteur innovant et agressif, Free. En introduisant en décembre 2003 les offres triple play à 30 euros, Free s’est imposé dans le fixe avec une offre alors peu chère, devenue pendant près de dix ans le standard pour le marché. Entre-temps, les opérateurs auront appris à gérer la structure de coûts liée au triple play puisque même ceux disposant d’un réseau très dense de boutiques affichent une marge de 30 % (Orange) sur cette activité quand Free, qui commercialise ses forfaits en ligne, réalise une marge de 42 % sur le triple play. Seul Bouygues Telecom, venu historiquement du mobile, peine à profiter de la manne qu’est devenu le triple play: ne disposant que de 1,9 million d’abonnés, il ne parvient pas à réaliser les économies d’échelle dans un secteur où les coûts fixes (le réseau, limité chez Bouygues et dépendant du dégroupage, onéreux) sont très élevés, d’où une marge plus faible de 20 %.

Or, c’est le niveau de marge sur le triple play qui permet aujourd’hui à Free de modeler le marché du mobile à son avantage. En lançant, en janvier 2012, des forfaits à 2 et 19,99 euros, Free Mobile a joué la carte des forfaits bon marché pour attirer rapidement une clientèle déjà abonnée aux trois opérateurs mobiles en place, Bouygues Telecom, SFR et Orange, lesquels étaient allés chercher sur le marché de la téléphonie mobile les marges élevées que le fixe leur interdisait au milieu des années 2000. Et tous ont dû baisser le prix de leurs forfaits pour résister à Free Mobile, le prix moyen des forfaits ayant notamment baissé de 12 % en France en 2013. Pour l’UFC-Que Choisir, le prix des forfaits a globalement chuté de 30 % entre janvier 2012 et 2014, permettant aux consommateurs d’économiser quelque 6,83 milliards d’euros, faisant ainsi de la France le pays d’Europe où la téléphonie mobile est la moins chère. Cette évolution porte, selon l’ARCEP, sur le parc d’abonnés avec, fin mars 2014, 25 des 55 millions d’abonnés en France (45,5 % du total) disposant de forfaits sans engagement, autrement dit de forfaits low cost.

Dès lors, la commercialisation à grande échelle de la 4G, fin 2013, devait permettre aux opérateurs de proposer des forfaits plus onéreux et de rétablir leur taux de marge sur le mobile, d’autant que Free ne disposait pas, alors, de véritable réseau 4G. Las, Free Mobile a annoncé inclure la 4G dans ses forfaits à 2 et 19,99 euros juste avant Noël, et cela malgré un réseau extrêmement restreint. Les autres opérateurs ont suivi sur le terrain de la baisse des coûts des forfaits 4G. Ne reste plus alors, pour faire face à Free, qu’à économiser, donc à réduire les coûts fixes par des suppressions d’emplois, ou par le partage des investissements entre acteurs concurrents, qu’il s’agisse de mutualisation ou de fusion.

La première étape d’une réponse industrielle à Free est passée par la mutualisation, celle des réseaux mobiles de SFR et de Bouygues Telecom, l’accord ayant été signé le 3 janvier 2014. Cette mutualisation concerne 80 % du territoire et 57 % de la population, la mutualisation ne concernant pas les villes de plus de 200 000 habitants. Là où il y avait auparavant deux réseaux mobiles, il n’y en aura à terme plus qu’un, utilisé à la fois par SFR et par Bouygues Telecom, ce qui devrait leur permettre d’économiser respectivement 200 et 100 millions d’euros chaque année. En même temps, cette alliance SFR-Bouygues Telecom fait émerger un réseau géant face à l’autre grand réseau mobile, celui d’Orange, reléguant Free Mobile sur les marges avec un réseau limité. Free Mobile a l’avantage d’être protégé par un contrat d’itinérance lui donnant le droit d’utiliser le réseau Orange jusqu’en 2016 pour la 3G et, jusqu’en 2018, pour la 2G. Ensuite, il sera seul, sauf si les règles changent entre-temps. Free devra alors investir massivement dans la construction de son réseau mobile, ce qui limitera d’autant plus sa capacité à financer des forfaits mobiles à bas prix grâce aux marges réalisées dans le fixe.

Autant dire que l’accord de mutualisation SFR-Bouygues Telecom est une menace pour Free. Et Bouygues Telecom, très fragilisé sur le mobile après l’arrivée de Free, le sait puisque le groupe a décidé, fin 2013, de s’attaquer aux marges de Free sur le triple play en promettant de baisser de 150 euros par an la facture des ménages. Bouygues cherche à faire à Free ce que ce dernier lui a fait en 2012 en arrivant sur le marché du mobile avec une promesse, diviser la facture par deux, ce qui s’est traduit pour ses concurrents par une perte de parts de marché et une chute de la marge et des bénéfices. Ainsi, le groupe a lancé le 3 mars 2014 son offre triple play à 19,99 euros (au lieu de 32 chez Free), des forfaits où le taux de marge sera très faible quand celui de Free est supérieur à 40 %. Sauf que la stratégie de Bouygues Telecom sur le fixe est plus difficile : les Français considèrent en effet les abonnements triple play à 32 euros comme bon marché, depuis que Free a justement cassé les prix pour imposer ce standard au marché au début des années 2000. Enfin, changer d’opérateur fixe est complexe, alors que le renouvellement à intervalles réguliers des mobiles a toujours facilité la bascule entre opérateurs.

La seconde option pour baisser les coûts n’est pas la mutualisation des réseaux, mais leur fusion pure et simple, ce qui revient à réduire la concurrence en limitant le nombre d’acteurs sur le marché. Sur le marché français des télécoms, un acteur est par défaut exclu du jeu des fusions-acquisitions : c’est Orange, trop grand pour imaginer pouvoir s’emparer d’un concurrent sans que l’Autorité de la concurrence bloque l’opération. Reste donc SFR, Free et Bouygues Telecom. Or, le premier est une filiale du groupe Vivendi qui, depuis mars 2012, a entrepris une véritable mutation afin de se désendetter, celle-ci passant par la scission des activités de télécommunications (voir REM, n°24, p.40). En effet, SFR, fort d’un cœur de métier puissant dans le secteur du mobile, est fragilisé par la concurrence, notamment celle de Free Mobile, l’excédent brut d’exploitation ayant chuté de 16,2 % en 2013, à 2,77 milliards d’euros, ce qui a conduit Vivendi à déprécier la valeur de SFR de 2,4 milliards d’euros.

Mais l’ensemble vaut encore quelque 15 milliards d’euros. Dès lors, à défaut de repreneur évident pour SFR, Vivendi a opté pour une introduction en Bourse de sa filiale au printemps 2014 (voir REM n°28, p.48). Certes en septembre 2012, Free s’était montré intéressé par un rachat de SFR, ce qui lui aurait permis d’acquérir très rapidement un réseau mobile opérationnel. Mais l’opération n’avait pas les faveurs de l’Autorité de la concurrence, réticente à l’idée d’une fusion faisant passer de 4 à 3 le nombre d’opérateurs mobiles en France. Toujours en 2012, Numericable avait également fait part de son intérêt mais, trop petit, le câblo-opérateur n’avait pas totalement convaincu. Sauf que les choses ont depuis changé, ayant conduit Vivendi à revenir sur ses positions. En effet, Numericable est entré en Bourse en novembre 2013, ce qui lui a permis d’être valorisé quelque 3,8 milliards d’euros. Enfin, sa maison mère, Altice, qui possède 40 % de Numericable, a été cotée également le 31 janvier 2014 et valait fin février 6,3 milliards d’euros. Numericable et Altice, désormais en Bourse, peuvent donc plus facilement lever des fonds par augmentation de capital, le nouvel ensemble pesant finalement près de 10 milliards d’euros, de quoi se mettre à la portée de SFR. Le 24 février 2014, Vivendi confirmait ainsi « avoir été approché par Altice en vue d’un rapprochement entre SFR et Numericable ». C’était à vrai dire le moment de tenter sa chance pour Numericable, l’accord de mutualisation SFR – Bouygues Telecom laissant présager une très forte mobilisation de ce dernier à l’introduction en Bourse de SFR.

L’arrivée de Numericable dans le jeu à trois entre Bouygues, Free et SFR a subitement modifié les équilibres. Numericable est, à l’instar de Free, un groupe qui a su configurer les marchés à sa mesure. Il est parvenu dans un premier temps à fusionner l’ensemble des câblo-opérateurs français pour devenir un opérateur unique, avec un taux de marge élevé, plus de 40 %, une performance similaire à celle de Free. Enfin, le groupe a su redorer l’image du câble, désormais associé au très haut débit, un marché qu’il domine grâce à ses 5,2 millions de prises installées fin 2013. Et Numericable bénéficie aujourd’hui de l’engouement des investisseurs pour les câblo-opérateurs, ce qui lui permettra sans difficulté de s’endetter pour développer le nouvel ensemble. Le projet du groupe, avec SFR, passe en effet par le développement de l’accès au très haut débit et la possibilité pour Numericable de proposer aussi des offres quadruple play. Ainsi, dans la présentation de son projet, Numericable a insisté sur le déploiement de la fibre, plus rentable que les activités mobiles, SFR apportant surtout une marque forte et une base importante de clientèle. Enfin, le rapprochement de Numericable et de SFR ne pose pas de problème majeur de concurrence, SFR contrôlant, fin 2013, 32 % du marché du mobile et Numericable y étant absent, ainsi que 21 % du marché du fixe contre 5 % pour Numericable, quand Free en détient 23 % et Orange 41 %.

Crédible, l’offre de Numericable a obligé Bouygues Telecom à se mobiliser en urgence. En effet, l’opérateur mobile, avec 19 % de parts de marché mobile et 8 % dans le fixe, sait qu’une fusion SFR-Numericable l’obligera à se rapprocher d’un autre acteur afin de résister au nouvel ensemble et à Orange, l’autre géant du marché. Autant dire que Bouygues Telecom, sans SFR, est probablement contraint de s’allier avec Free, celui-là même qui a mis à mal son modèle économique. Bouygues Telecom a donc tout fait pour s’emparer de SFR grâce à une offre alternative à celle de Numericable, laquelle reposait sur un argument principal : le rééquilibrage du marché français du mobile après deux ans de concurrence acharnée. Pour Bouygues, un rapprochement SFR-Numericable ne résout rien car il maintient quatre opérateurs sur le marché, la stratégie de Numericable indiquant en outre que le mobile n’est plus porteur puisque SFR aura vocation à aller chercher la croissance dans le très haut débit fixe. A l’inverse, un rapprochement Bouygues-SFR permettrait de passer de quatre à trois opérateurs et d’atténuer la concurrence sur le marché mobile, donc d’y restaurer les marges, ce qui devrait éviter quelques déconvenues aux acteurs les plus fragiles, au premier plan Bouygues Telecom. Il ne s’agirait pas d’un retour au statu quo d’avant 2012, la présence de Free Mobile sur le marché étant la garantie d’une concurrence acharnée.

D’ailleurs, afin d’éviter des problèmes de concurrence, le nouvel ensemble détenant 51 % de parts de marché sur le mobile, Bouygues donnerait à Free Mobile (6 % de parts de marché), qui se retrouverait marginalisé, les moyens de se développer. Dans son offre déposée le 5 mars 2014, date butoir imposée par Vivendi, Bouygues Telecom s’engage ainsi à céder des fréquences et des antennes, qu’il ne pourra vendre qu’à bas prix, le seul acheteur intéressé pouvant être Free qui bénéficiera alors d’un pouvoir de négociation significatif et récupérera le réseau mobile qui lui manque à l’horizon 2016-2018.

Restait donc en principe à Vivendi à décider entre les deux offres, celle de Numericable et celle de Bouygues. Dans les deux cas, SFR est valorisé presque 15 milliards d’euros, les candidats au rachat versant une grande part en numéraire (10,5 milliards d’euros pour Bouygues, 11 milliards pour Numericable), le reste en participation de Vivendi dans le nouvel ensemble (46 % dans l’offre de Bouygues, 32 % chez Numericable). L’opération est en outre bien valorisée par des synergies atteignant 10 milliards d’euros chez Bouygues Telecom, qui pourrait supprimer un réseau sur deux, les synergies s’élevant même à 12 milliards d’euros chez Numericable, ce qui laisse augurer des performances futures intéressantes pour le nouvel ensemble, donc aussi pour la participation de Vivendi au sein de ce dernier. Mais Vivendi n’a pas eu à choisir entre les deux offres du 5 mars. De jour en jour, Bouygues Telecom a joué la surenchère pour s’emparer de SFR et lever tous les obstacles au rachat. Le groupe Bouygues Telecom a ainsi confirmé le 9 mars 2014 une entrée en négociation avec Free pour la cession de 15 000 antennes et de fréquences, autant dire la cession du réseau mobile de Bouygues Telecom si ce dernier récupère celui de SFR, afin de lever au maximum l’obstacle de l’Autorité de la concurrence. L’opération atteint 1,8 milliard d’euros pour un réseau national en 2G, 3G et 4G, c’est-à-dire presque rien puisque Bouygues Telecom y a investi des milliards d’euros, dont 911 millions d’euros rien que sur les dernières enchères 4G en 2011. Pour Free, l’opération est stratégique, d’abord parce qu’elle donne accès à un réseau en économisant de très lourds investissements, ensuite parce qu’elle exclut définitivement l’atypique Numericable du marché français du mobile. Enfin, le 12 mars 2014, date butoir donnée par Vivendi à l’amélioration des offres déposées le 5 mars, Bouygues a encore relevé son offre, apportant 11,3 milliards d’euros en numéraire, donc plus que Numericable, cet aspect étant le seul où l’offre de Bouygues Telecom était très légèrement inférieure à celle de son concurrent.

Sauf qu’entre-temps Numericable a également augmenté son offre, à 11,75 milliards d’euros.

Malgré les efforts de Bouygues Telecom, le 14 mars 2014, le conseil de surveillance de Vivendi annonçait entrer en négociation exclusive jusqu’au 4 avril 2014 avec Altice-Numericable, l’offre garantissant « la meilleure sécurité d’exécution ». Autant dire que l’entrée en négociation laissait ouverte la possibilité d’une contre-offre pour Bouygues Telecom, tant que l’accord final entre Vivendi et Altice n’était pas signé. Ce que n’a pas manqué de faire Bouygues Telecom dès le 20 mars 2014 en proposant 13,15 milliards en numéraire à Vivendi pour SFR, Vivendi conservant une participation de 21,5 % dans le nouvel ensemble. Cette nouvelle offre de Bouygues favorise l’accès rapide à du numéraire en baissant la participation de Vivendi dans le futur SFR, qui se retrouve moins bien valorisé, à 17,4 milliards d’euros (-15 % pour la première offre de Bouygues).

Fort de cette contre-proposition, assortie également d’une clause de non-exécution garantissant 500 millions d’euros à Vivendi en cas de refus de l’opération par l’Autorité de la concurrence, le groupe Bouygues a pu menacer Vivendi afin de l’obliger à analyser son offre malgré l’entrée en négociation exclusive avec Altice-Numericable. Le 5 avril 2014, le lendemain de la fin des négociations exclusives entre Vivendi et Altice, est donc devenu l’horizon des deux prétendants au rachat de SFR. Le 2 avril 2014, Bouygues surenchérissait encore en rappelant que son offre initiale, celle du 14 mars, était encore valable, en plus de celle du 20 mars, laissant le choix au Conseil de Vivendi entre un accès rapide à du numéraire (offre du 20 mars) ou une meilleure valorisation de l’ensemble (offre du 14 mars). Et le 5 avril 2014, juste avant la décision du Conseil de Vivendi, Bouygues a encore surenchéri en augmentant à 15,5 milliards d’euros son apport en numéraire en cas de rachat de SFR, ramenant la participation de Vivendi à 5 %. Pourtant, rien n’y aura fait : à 13 h 30, le 5 avril 2014, Vivendi a décidé de céder définitivement SFR à Altice-Numericable pour 13,5 milliards d’euros, tout en conservant une participation minoritaire de 20 % dans SFR.

Le nouvel ensemble Numericable-SFR fédère désormais 21 millions de clients dans le mobile et 7 millions dans le fixe, pour lesquels un réseau très haut débit est déjà disponible, seul groupe à en disposer face à Orange, Free et Bouygues Telecom. L’opération marginalise Bouygues Telecom sur le marché du mobile, qui reste à quatre opérateurs, et met ce dernier dans une situation complexe car Bouygues a un accord de mutualisation de son réseau mobile avec SFR et loue sa fibre optique à Numericable. Quant à Free, il n’aura pas accès à bon prix à un réseau mobile, celui de Bouygues n’étant plus à vendre en urgence, et se retrouve donc dans l’orbite d’Orange dont il dépend pour son contrat d’itinérance. Autant dire que Bouygues va devoir assainir sa structure de coûts (un plan social massif est annoncé) pour envisager un rapprochement avec Free dans de bonnes conditions ou une vente, soit à Free soit à un opérateur étranger, voire à Orange, ce qui poserait dans ce cas des problèmes importants de concurrence. Bouygues Telecom peut aussi opter pour un accord de mutualisation avec Orange, moins risqué, et revenir sur son partenariat avec SFR. Dans ce cas, Orange aurait Bouygues pour satellite dans le fixe, et Free pour satellite dans le mobile, face à l’autre ensemble constitué par le seul Numericable-SFR. Orange tire également un avantage du rachat de SFR par Numericable, ce dernier disposant d’un réseau national, ce qui peut conduire Orange à demander un allégement de la régulation sur la boucle locale fixe, là où Numericable est fortement implanté.

La vraie inconnue reste donc le destin de Numericable-SFR. Si l’offre d’Altice-Numericable l’a emporté, c’est d’abord grâce au faible risque concurrentiel du rapprochement et au projet de Numericable, qui promet finalement de recentrer le marché français des télécoms sur le fixe, et non plus sur le mobile !

Si SFR avait été cédé à Bouygues Telecom, Bouygues aurait transféré à bas prix un réseau mobile à Free qui n’aurait pas manqué d’attaquer encore plus la base de clientèle de SFR et de Bouygues. Le marché aurait donc tourné autour du mobile, au risque de dévaloriser la participation résiduelle de Vivendi dans SFR. Or le marché du mobile est désormais un marché en restructuration : Bouygues Telecom doit, pour survivre, se transformer en opérateur low cost, donc se débarrasser de ses magasins et autres services clientèle ; les MVNO (opérateurs de réseau mobile virtuel) n’ont plus l’espace du low cost pour se déployer depuis que Free Mobile s’y est installé, entraînant tous les opérateurs de réseau mobile à opter pour la même stratégie low cost ; enfin les groupes puissants, Orange, Numericable-SFR et Free le sont aujourd’hui parce qu’ils ont un réseau fixe. C’est cette nouvelle équation qui explique pourquoi Numericable s’est emparé, le 16 mai 2014, de 1,67 million de clients supplémentaires en rachetant Virgin Mobile, premier opérateur mobile virtuel en France, moyennant quelque 325 millions d’euros. Le MVNO perd des parts de marché depuis l’arrivée de Free Mobile et s’est résolu à une vente au mieux offrant, anticipant la grande vague de consolidation qui ne manquera pas d’arriver, le mobile étant aspiré par le fixe. En effet, avec Virgin Mobile, Numericable fera sans difficulté l’économie des 147 millions d’euros annuels de frais d’itinérance, ses abonnés basculant sur le réseau SFR, soit une économie de près du tiers du chiffre d’affaires annuel de Virgin Mobile (468 millions d’euros en 2013). Et Numericable récupère une nouvelle marque mobile, positionnée sur le low cost, quand SFR bénéficie d’une image plus haut de gamme. Autant dire qu’après deux ans de baisse des prix, les plus grands vont chercher à cumuler le maximum d’abonnés mobiles, peu rentables, pour réaliser sur le volume les bénéfices que le faible taux de marge ne permet plus sur des parcs d’abonnés moins importants.

Les MVNO et même Bouygues Telecom sont donc désormais des cibles très convoitées. Le passage de trois à quatre opérateurs de téléphonie mobile en 2012 aura donc pour conséquence un assèchement très important du nombre d’acteurs sur ce marché, les survivants espérant pouvoir ensuite remonter les prix et le taux de marge. Les vraies ruptures commerciales ou techniques sont en revanche à attendre sur le marché du fixe, assoupi depuis 2002 autour des forfaits à 30 euros (35 euros aujourd’hui).

Sources :

  • « Le premier actionnaire de Numericable entre en Bourse », Solveig Godeluck, Les Echos, 8 janvier 2014.
  • « Bouygues et SFR visent 300 millions d’euros d’économies », Romain Gueugneau et Solveig Godeluck, Les Echos, 4 février 2014.
  • « Numericable est prêt à faire une offre sur SFR avant sa cotation », Romain Gueugneau et Solveig Godeluck, Les Echos, 15 février 2014.
  • « Pourquoi Vivendi est en train de changer de pied sur l’avenir de sa filiale SFR », Romain Gueugneau et Solveig Godeluck, Les Echos, 25 février 2014.
  • « ADSL : Bouygues Telecom baisse les prix de 12,50 euros par mois », E.R., Le Figaro, 25 février 2014.
  • « Bouygues Telecom relance la guerre des prix dans la téléphonie », Elsa Bembaron, Le Figaro, 27 février 2014.
  • « Martin Bouygues brûle une cartouche anti-Free en cassant les prix dans l’Internet fixe », Solveig Godeluck, Les Echos, 27 février 2014.
  • « Retour à trois opérateurs mobiles : le débat relancé », Bertille Byart et Elsa Bembaron, Le Figaro, 3 mars 2014.
  • « Numericable s’engage à faire croître l’activité et l’emploi chez SFR », Elsa Bembaron, Marie-Cécile Renault et Engureand Renault, Le Figaro, 4 mars 2014.
  • « Numericable et Bouygues vont déposer une offre sur SFR », Romain Gueugneau et Solveig Godeluck, Les Echos, 5 mars 2014.
  • « Deux offres, deux visions différentes des télécoms », Enguréand Renault, Le Figaro, 6 mars 2014.
  • « Vivendi demeurera dans les télécoms avec Bouygues ou Numericable », Romain Gueugneau et Solveig Godeluck, Les Echos, 7 mars 2014.
  • « Bouygues sort un atout maître pour remporter la mise sur SFR », Romain Gueugneau et Solveig Godeluck, Les Echos, 10 mars 2014.
  • « Son pari dans le mobile réussi, Free défend le mariage Bouygues-SFR », Romain Gueugneau et Solveig Godeluck, Les Echos, 11 mars 2014.
  • « Numericable ne modifiera pas son offre sur SFR », interview de Patrick Drahi, fondateur d’Altice, par Romain Gueugneau, Alexandre Counis et Solveig Godeluck, Les Echos, 12 mars 2014.
  • « Bouygues Telecom relève son offre sur SFR », Bertille Bayart et Elsa Bembaron, Le Figaro, 13 mars 2014.
  • « Vivendi choisit de céder SFR à Numericable », Elsa Bembaron, Le Figaro, 15 mars 2014.
  • « Vivendi a choisi de vendre SFR à Numericable en dépit des pressions », Romain Gueugneau et Solveig Godeluck, Les Echos, 17 mars 2014.
  • « Bouygues somme Vivendi de prendre en compte sa nouvelle offre sur SFR », Romain Gueugneau et Solveig Godeluck, Les Echos, 24 mars 2014.
  • « Vivendi promet d’étudier l’offre de Bouygues sur SFR », Romain Gueugneau et Solveig Godeluck, Les Echos, 28 mars 2014.
  • « Bouygues multiplie les initiatives avant la décision de Vivendi sur SFR », Romain Gueugneau et Solveig Godeluck, Les Echos, 3 avril 2014.
  • « Malgré l’insistance de Bouygues, Vivendi vend SFR à Numericable», Romain Gueugneau et Solveig Godeluck, Les Echos, 7 avril 2014.
  • « Après avoir laissé échapper SFR, Bouygues évalue ses options », Solveig Godeluck, Les Echos, 8 avril 2014.
  • « Poker menteur dans les télécoms françaises », Elsa Bembaron, Le Figaro, 17 mai 2014.
  • « Numericable va avaler Virgin Mobile pour 325 millions d’euros », Solveig Godeluck, Les Echos, 19 mai 2014.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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