Si regarder de façon illégale des vidéos protégées par le droit d’auteur sur internet est une pratique largement répandue, elle était néanmoins réservée, jusqu’ici, aux initiés ayant quelques compétences informatiques. C’était sans compter sur l’arrivée du logiciel Popcorn Time en mars 2014.
Rapidement baptisé le « Netflix des pirates », Popcorn Time est un logiciel libre de lecture en continu de vidéo, par internet, via le protocole réseau pair à pair (P2P) BitTorrent. Autrement dit, c’est un logiciel qui permet de lire en streaming des vidéos disponibles avec l’extension torrent (.torrent) sur le web.
Selon le quotidien argentin La Nación, qui a interrogé l’un des créateurs du logiciel, Popcorn Time aurait été réalisé par une cinquantaine de personnes à travers le monde, avec pour objectif « d’améliorer l’expérience avec les réseaux BitTorrent, qui est pénible et compliquée, pour la rapprocher de ce que veut l’utilisateur normal ».
Ce qui est donc offert à cet « utilisateur normal », c’est de naviguer parmi les affiches de film sur une interface vierge de publicité, choisir d’un clic un film, ajouter des sous-titres et regarder instantanément son programme, avec une qualité supérieure. L’interface d’utilisation de Popcorn Time est particulièrement simple et n’a rien à envier aux services de vidéo à la demande proposés par Orange, Canalplay ou encore Netflix. De plus, le logiciel est d’ores et déjà disponible sur ordinateur, que ce soit sur Windows, Mac OS ou Linux, mais aussi sur les téléphones, les tablettes et même les téléviseurs, puisque ses créateurs ont développé une application Chromecast, le lecteur de flux multimédia commercialisé aux Etats-Unis par Google et qui prend la forme d’une petite clé à brancher sur le port HDMI (High Definition Multimedia Interface) d’une télévision (voir REM n°30-31, p.40).
Le logiciel Popcorn Time n’est cependant qu’une interface : les fichiers « .torrent » sont collectés sur la Toile, les informations additionnelles sur les films sont extraites du site web The Movie Database et les sous-titres sont récupérés sur le site spécialisé OpenSubtitles. Les initiateurs du logiciel Popcorn Time se sont ainsi imaginé qu’ils ne commettaient rien d’illégal, puisque leur logiciel ne fait qu’agréger et mettre en forme des données déjà disponibles sur le réseau.
Mais l’industrie du divertissement américaine n’a pas tardé à réagir et, à peine un mois après le lancement du logiciel, en avril 2014, la petite équipe argentine à l’origine du projet fut dissoute. Cependant, le code source du logiciel étant libre de droit, de nouveaux développeurs informatiques, anonymes ou pas, ont rapidement repris le flambeau et de multiples versions du logiciel se sont rapidement propagées sur la Toile. Les Etats-Unis, le Brésil et les Pays-Bas seraient au nombre des pays où il a été le plus souvent téléchargé. Aux Etats-Unis, on compterait 1,4 million d’installations, 100 000 utilisateurs actifs et 15 000 installations quotidiennes, soit un peu plus qu’aux Pays-Bas.
Contactée par le magazine en ligne Numerama, l’équipe du principal « clone » de Popcorn Time, Time4PopCorn, révèle que, en France, l’application a déjà été installée sur 350 000 ordinateurs, téléphones ou tablettes. Il y aurait 25 000 utilisateurs actifs et 5 000 nouvelles installations chaque jour. Ces chiffres portent sur une seule des déclinaisons de Popcorn Time ; or il en existe déjà une quinzaine d’autres comme Isoplex, Flicstor, UnTvApp, XBMC Torrent ou encore Zona et Acestream. Les usages pourraient donc être en réalité bien plus nombreux.
Le fonctionnement de ces logiciels reposant sur BitTorrent, leurs utilisateurs ont pu être un temps, en France, dans le collimateur de la Hadopi, puisque c’est précisément ce type d’échanges en P2P qui est surveillé par Trident Media Guard, la société nantaise chargée de collecter les adresses IP des internautes pirates. La riposte de Popcorn Time fut l’intégration au logiciel d’un réseau privé virtuel (en anglais VPN pour Virtual Private Network), rendant ainsi anonyme la véritable adresse IP de l’utilisateur.
Il y a donc sur internet un logiciel libre de droit, dont il n’est plus possible de supprimer le code source, et qui offre une interface utilisateur aussi ergonomique que les services payants de SVOD permettant à n’importe quel internaute de visionner des films et séries issus de .torrent.
Selon ses concepteurs, le succès mondial de Popcorn Time et de ses « clones » a au moins le mérite de relancer le débat sur l’industrie du cinéma : « Vous savez quelle est la meilleure chose à propos de Popcorn Time ? Que des tas de gens se soient accordés pour reconnaître que l’industrie du cinéma avait établi bien trop de restrictions sur bien trop de marchés […] Le piratage n’est pas un problème de personnes. C’est un problème de services ». Et de conclure : « L’expérience montre que les gens risquent des amendes, des poursuites judiciaires ou toute autre conséquence possible uniquement pour pouvoir regarder un film récent chez eux. Juste pour avoir l’expérience qu’ils méritent ».
Sources :
- « Popcorn Time », Wikipedia.fr
- « Popcorn Time rend les armes, mais la suite arrive », Guillaume Champeau, Numerama.com, 15 mars 2014.
- « Popcorn Time est mort, vive Popcorn Time ! », Alexis Kauffmann, Framablog.org, 15 mars 2014.
- « Popcorn Time : les chiffres en France, les nouveautés à venir (VPN, iOS…) », Julien L., Numerama.com, 3 septembre 2014.