Sigfox créé un réseau bas débit dédié à l’internet des objets

Comme Criteo, BaBlaCar ou encore Deezer, il est des entreprises françaises qui croissent très vite. Sigfox, jeune société toulousaine créée en 2009 par Ludovic Le Mohan et Christophe Fourtet, en fait partie. L’entreprise construit un réseau cellulaire exclusivement dédié aux communications « machine à machine » (M2M) et à l’internet des objets.

Alors que la vitesse du haut débit ne cesse de progresser sur les réseaux cellulaires, avec la 4G depuis 2013 ou encore la 5G prévue à l’horizon 2020 (voir La REM n°30-31, p.23), Sigfox crée un réseau bas débit, dédié à la connectivité des objets, venant astucieusement compléter les offres de connexion haut débit proposées par les opérateurs. En effet, l’internet des objets (voir La REM n°18-19, p.76) désigne ce dispositif où tous les objets de la vie courante et tout notre environnement seraient truffés de capteurs qui interagiraient entre eux, et avec nous, « de manière fluide », à travers le réseau : voiture connectée, domotique, dispositifs de santé portés sur soi, villes connectées – de l’éclairage urbain à la gestion des déchets ou de la pollution -, la diversité des objets et la variété de leurs domaines d’applications semblent sans limites.

Les principales contraintes au déploiement à grande échelle de la connectivité des objets sont le coût des composants nécessaires aux communications électroniques ainsi que la consommation d’énergie dont dépend l’autonomie du dispositif embarqué.

Le propre d’un objet connecté est de disposer d’un seul ou de plusieurs capteurs ou « actionneurs » (appelés aussi MEMS – Microelectromechanical systems –, ou microsystèmes électromécaniques en français , voir La REM n°21, p.15), d’un microcontrôleur, qui gère les données collectées, ainsi que d’une batterie. S’ajoutent enfin un ou plusieurs modules de transmission (Bluetooth/BLE, WiFi, GPRS/3G/4G, Radiofréquence…) permettant de diffuser les données via un réseau (IP, GPRS/3G/4G, Sigfox…) jusqu’à une plate-forme de services qui héberge, analyse et restitue ces données aux fournisseurs de l’objet connecté en question.

Alors que le réseau des opérateurs de télécommunications actuels fonctionne sur des bandes de fréquences élevées, celui de Sigfox repose sur des fréquences ultracourtes. En utilisant le réseau cellulaire classique des opérateurs de télécommunications, un fournisseur d’objets connectés devra les équiper chacun d’un modem, qui coûte environ dix euros, auquel s’ajouteront quelque cinq euros par mois et par objet pour la connexion au réseau.

Dans le domaine de la communication par ondes radio, plus la fréquence est élevée, plus elle peut transmettre les informations à haut débit mais moins le signal se propage aisément dans l’espace. Sur le réseau Sigfox, la fréquence est ultracourte et transmet donc de petites quantités d’information sur de longues distances. De ce fait, Sigfox a d’ores et déjà pu couvrir plus d’un million de km2 dans le monde et l’ensemble de l’Hexagone avec seulement 1 000 antennes, chaque antenne pouvant « écouter » jusqu’à 25 millions d’objets.

Dernier avantage du réseau déployé par Sigfox : celui-ci fonctionne dans les bandes de fréquences ISM (industriel, scientifique et médical) disponibles mondialement et qui ne nécessitent pas de licence d’exploitation contrairement à celles des opérateurs de télécommunications, permettant ainsi un déploiement rapide et à grande échelle. En outre, le faible volume des données échangées, qui, plus est, en bas débit, ne laisse pas présager un risque d’encombrement du réseau.

Ainsi, Sigfox a créé un réseau reposant sur l’Ultra Narrow Band (UNB) – bande de fréquences ultracourtes –, permettant de transporter de petites quantités de données (12 Ko) sur de longues distances (jusqu’à 40 km) tout en sollicitant peu d’énergie (un dispositif Sigfox consomme 1 000 fois moins d’énergie qu’un dispositif GSM).

L’attrait principal de ce choix technologique réside dans une connectivité à moindres coûts : moins de 2 euros par an et par objet dont l’autonomie, pour certains, peut dépasser dix ans. De plus, le programme de recherche et développement de Sigfox prévoit que d’ici à 36 mois, la consommation électrique d’un objet Sigfox passera du milliwatt au microwatt, afin de se passer de batterie, l’objet tirant l’énergie nécessaire à son fonctionnement des ondes électromagnétiques, de la chaleur ou de la lumière environnantes.

L’ambition première de Sigfox est de devenir uniquement fournisseur de réseau pour la connectivité des objets. L’entreprise propose donc à des équipementiers tels que STMicroelectronics, Texas Instruments ou encore Intel, de rendre compatibles leurs équipements électroniques – « SIGFOX Ready™ » –, pour qu’ils puissent ainsi communiquer sur le réseau.

Parmi ses clients, Sigfox compte déjà l’afficheur urbain Clear Channel, qui communique avec l’ensemble de ses panneaux d’affichage, y compris ceux installés en sous-sol ; l’assureur Maaf, qui propose des détecteurs de fumée ou d’intrusion bon marché et de grande autonomie ; la ville de Moscou, dont 30 % du trafic automobile seraient dus aux conducteurs cherchant à se garer et qui a équipé les aires de stationnement de la capitale russe de 15 000 capteurs afin d’identifier facilement un emplacement libre à l’aide d’un smartphone. En France, la ville de Grenoble a déployé des détecteurs de fuites d’eau sur son réseau de chauffage urbain. L’un des derniers clients en date de Sigfox est Cofely Services, filiale d’Engie (ex-GDF Suez), qui vient de signer en mai 2015 un contrat pour connecter à son réseau bas débit des milliers de capteurs de température et de comptage sur l’ensemble du territoire français, dans des immeubles, des équipements publics, des collèges et des lycées. L’objectif est d’automatiser la remontée d’informations concernant la consommation d’eau et d’énergie, la température, ou encore la détection d’anomalies en temps réel.

Alors que Sigfox couvre déjà une partie de l’Europe, une importante levée de fonds de 100 millions d’euros conclue en février 2015 lui donne les moyens de ses ambitions : s’étendre aux Etats-Unis et en Asie. Forte d’une centaine de salariés, l’entreprise avait déjà levé 27,5 millions d’euros fin 2014, après avoir recruté Anne Lauvergeon en tant que présidente du conseil d’administration. Figure au dernier tour de table une majorité de grandes entreprises dont Engie, Air Liquide, Telefonica, NTT Docomo, SK Telecom ou encore Eutelsat, ce qui dénote une stratégie de financement reposant d’abord sur des partenaires industriels, plutôt que sur des capital-risqueurs, confirmée par l’entrée de Samsung au capital de Sigfox le 15 juin 2015, après ce second tour de table, pour un montant non-dévoilé.

Ne se positionnant pas en concurrent des opérateurs de télécommunications, Sigfox signe des accords avec bon nombre d’entre eux partout dans le monde, excepté en France, où Bouygues Telecom a choisi de déployer le réseau LoRa (pour Long Range), créé par le français Cycleo, racheté en 2012 par l’américain Semtech. Cette nouvelle concurrence illustre l’intérêt porté à ce marché d’avenir qu’est l’internet des objets.

Sources :

  • « Le français Sigfox va connecter « le plus grand parc de stationnement intelligent au monde » à Moscou », Marion Moreau, frenchweb.fr, 23 janvier 2014.
  • « The IOT Book », Geoffray Sylvain, Dimitri Carbonnelle, Emmanuel Fraysse, Barbara Belvisi, Vincent Macé, Olivier Desbiey, Aruco, 2015, http://theiotbook.com/
  • « Sigfox lève 100 millions d’euros et accélère à l’international », LesEchos.fr, 11 février 2015.
  • « La réponse de Sigfox au lancement du réseau bas débit de Bouygues Télécom », Sophie Arutunian, LaTribune.fr, 27 mars 2015.
  • « Cofely Services choisit Sigfox pour connecter ses points de mesure », Sylvain Arnulf, usine-digitale.fr, 28 mai 2015.
  • « Samsung Invests In Sigfox’s Network For Connected Objects », Romain Dillet, Techcrunch.com, june 15, 2015.
Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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