Licorne

Dans le secteur des technologies, le terme désigne une start-up, généralement de moins de dix ans d’âge, dont la valorisation dépasse un milliard de dollars sans introduction en Bourse. C’est la spécialiste en capital-risque, Aileen Lee, qui utilisa, la première, cette métaphore, fin 2013, recensant à l’époque à peine une quarantaine d’entreprises high-tech non cotées et valorisées à un tel niveau. Depuis cette date, ces licornes, nées pour la plupart du succès de l’internet mobile et purs produits du capital-risque, ne se caractérisent plus par leur rareté. Elles sont loin d’être difficiles à débusquer, contrairement à l’animal légendaire dont elles empruntent le nom. Au premier trimestre 2015, on en dénombre plus de 80 au niveau mondial, dont une cinquantaine aux Etats-Unis. Cette recrudescence s’explique par la multiplication sans précédent des levées de fonds réalisées par les start-up, majoritairement celles établies dans la Silicon Valley. Selon le cabinet d’audit financier EY, 87 milliards de dollars ont été injectés en capital-risque en 2014, contre 43 milliards de dollars en 2006. Si 2014 a constitué une année record en la matière, 2015 s’annonce également prospère pour les start-up. Plus de 13 milliards de dollars ont été consacrés au développement des jeunes pousses américaines durant les trois premiers mois de 2015, soit plus de 1 000 opérations financières, un niveau jamais atteint depuis l’éclatement de la bulle internet en 2000, selon les chiffres fournis par la National Venture Capital Association, fédération des capital-risqueurs américains. Les licornes high-tech constituent désormais une espèce prolifique, au point d’être rebaptisées, pour certaines, super-licornes, à la faveur de leur valorisation potentielle qui dépasserait les 10 milliards de dollars. Ces dernières se nomment Xiaomi, Uber, Instagram, Airbnb, Snapchat… et les autres Shazam, Jawbone, Evernote, Square, etc.

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Les licornes et les super-licornes se caractérisent par la croissance accélérée de leur valeur financière. Opératrice d’un service de transport urbain entre particuliers, présente dans plus de 250 villes dans le monde (500 000 utilisateurs en France), la société Uber a levé 2,4 milliards de dollars en 2014, puis 1,6 milliard de dollars (auprès de Goldman Sachs) en janvier 2015. Sa valorisation est passée à 41,2 milliards de dollars au premier trimestre 2015, contre 3,8 milliards en août 2013. Après l’annonce d’une nouvelle levée de fonds d’un milliard de dollars au printemps 2015, le site de réservation d’hébergement Airbnb, né en 2008 et aujourd’hui accessible dans 190 pays, pèse 20 milliards de dollars, plus que les grandes chaînes hôtelières internationales. En mars 2015, le réseau social Pinterest a réussi à boucler un tour de table lui permettant de collecter 367 millions de dollars, doublant ainsi sa valorisation à 11 milliards de dollars, contre 5 milliards dix mois auparavant. En juillet 2014, le site de commerce en ligne Flipkart réalise la plus importante levée de fonds jamais réalisée par un site internet indien, soit un milliard de dollars. Parmi les super-licornes, moins connues du grand public, Palantir, spécialiste du Big data lié à la sécurité, avec comme clients la CIA, le FBI et la NSA, de même que Dropbox, service de stockage en ligne, sont parvenus à réaliser des tours de table exceptionnels au cours de l’année 2014, collectant respectivement 500 millions et 350 millions de dollars.

Ces levées de fonds par centaines de millions de dollars ont fait naître la crainte de la formation d’une nouvelle bulle spéculative, avec ses conséquences dévastatrices en cas d’éclatement. Malgré un niveau de risque inégalé depuis 1999, « il y a en ce moment une absence complète de peur dans la Silicon Valley », analyse Bill Gurley, partenaire du fonds de capital-risque Benchmark Capital. « Effrayés de passer à côté d’une prise de participation, ils [les nouveaux entrants] abandonnent leur analyse traditionnelle des risques », poursuit-il. Et d’ajouter : « Je pense qu’on aura des morts de licornes cette année ». Ainsi, le succès de certaines start-up devenues des géants du Net, à l’instar de Facebook, suffit à motiver de nouveaux investisseurs – des capital-risqueurs, mais aussi des fonds spéculatifs, des fonds souverains et même des fonds de pension privilégiant habituellement des activités traditionnelles – bien décidés à ne pas manquer une opportunité de dégager des plus-values d’un montant que seules peuvent désormais promettre les entreprises high-tech grâce à une introduction en Bourse ou un rachat. Cette euphorie financière est notamment la conséquence de la faiblesse des taux d’intérêt qui pousse ces nombreux investisseurs à rechercher de meilleurs rendements auprès de « pépites » qui restent malgré tout en nombre limité. Les grands groupes internet eux-mêmes, issus de la première génération de start-up, misent également sur les petits nouveaux du secteur des nouvelles technologies : l’américain Google a créé plusieurs fonds d’investissement (Google Venture, Google Capital), tandis que les chinois Alibaba et Baidu ont investi respectivement dans les start-up Snapchat et Uber.

La plupart des dirigeants des licornes ne se montrent pas pressés de conquérir le marché boursier, un choix stratégique revendiqué par d’autres. Bouleversant l’économie traditionnelle, les licornes opèrent des écosystèmes inédits qui modifient durablement le comportement de millions, voire de centaines de millions, d’usagers. Elles n’en restent pas moins, pour la plupart, dépourvues de tout modèle économique. Aucune d’entre elles n’est rentable. Procédant par levées de fonds successives, elles investissent dans leur développement, testant des services innovants et débauchant des collaborateurs à la concurrence, sans devoir se prêter à court ou moyen terme à la sanction du marché boursier. Leur délai moyen d’introduction en Bourse est de onze ans, deux fois plus long qu’en l’an 2000, époque où les start-up étaient surévaluées, mais néanmoins cotées, offrant par conséquent aux investisseurs la possibilité de réaliser leur capital. A l’inverse, en assurant leur croissance sans se lancer en Bourse, les jeunes pousses de nouvelle génération veulent rester maîtresses de leur tour de table, tout en s’abstenant de publier leurs données financières, ce qui fait courir aux investisseurs, à long terme, un risque de « liquidité zéro ». Ainsi, la start-up de vente en ligne Fab.com, licorne en 2013, a été rachetée pour seulement 15 millions de dollars en mars 2015. L’application de partage de photos et vidéos éphémères, Snapchat, qui compte 100 millions d’utilisateurs au quotidien et une valorisation estimée à 16 milliards de dollars à la suite de sa dernière levée de fonds de 537 millions de dollars en juin 2015 – alors qu’elle avait décliné l’offre de rachat de Facebook pour 3 milliards de dollars en 2013 – sera peut-être le contre-exemple qui laisse espérer qu’il y aura des gagnants, comme après l’an 2000 lorsqu’émergèrent notamment Google et eBay.

« Nous sommes loin de la situation de 2000, où l’on a valorisé des concepts sans réel public pour s’en servir », soutient Greg Revenu, de la banque Bryan Garnier & Co, expliquant que des licornes comme Airbnb et Uber s’inscrivent dans l’économie réelle en occupant une position dominante dans leur secteur d’activité. Tout en reconnaissant que certaines start-up sont surévaluées, Gregori Volokhine, gérant de la société de gestion Meeschaert Capital Markets, tranche ainsi la question : « Il faut bien que les investisseurs sortent et récupèrent leur argent. C’est à ce moment-là qu’on saura s’il y a bulle ou pas ». Toutes licornes ou super-licornes qu’elles soient, ces jeunes entreprises internet, arrivées à maturité, risquent de se retrouver prises à leur tour dans « l’ouragan perpétuel », selon le processus de l’innovation décrit par l’économiste Joseph Schumpeter.

A noter : 2014 fut également une année faste pour les start-up en Europe, avec une augmentation de 37 % des sommes collectées, soit 7,8 milliards de dollars, selon le cabinet de conseil Clipperton et Digimind. L’Europe a totalisé 53 tours de table supérieurs à 30 millions de dollars en 2014 contre 33 en 2013. Certains se comptent en centaines de millions de dollars : 523 millions de dollars pour Delivery Hero, site allemand de livraison de repas ; 250 millions de dollars pour Adyen, service néerlandais de paiement en ligne ; 150 millions de dollars pour Ozon, site russe de commerce en ligne ou encore 98 millions de dollars pour Sarenza, site français de commerce en ligne.

Les start-up britanniques sont les plus choyées par les investisseurs avec un total de 2,3 milliards de fonds levés en 2014, deux fois plus que leurs homologues françaises qui ont tout de même collecté, la même année, 1,2 milliard de dollars en 245 opérations. Le record revient au site de covoiturage BlaBlaCar qui a réussi à lever 100 millions de dollars en juillet 2014. L’année 2015 s’annonce bien. Egalant le site de musique en streaming Deezer, bénéficiaire en 2012 de la plus importante levée de fonds jamais réalisée par une start-up française, le spécialiste de l’internet des objets Sigfox a fait mieux que BlaBlaCar en réussissant un tour de table à 100 millions d’euros (115 millions de dollars) auprès d’investisseurs mais aussi d’opérateurs et d’industriels en février 2015 (voir supra). A travers un nouveau service baptisé « le Hub », la banque publique Bpifrance compte encourager le rapprochement des grands groupes français et des start-up, afin de créer des « billion dollars companies ».

 Sources :

– « Les financements affluent de nouveau vers les start-up », Nicolas Rauline, Les Echos, 12 février 2015.

– « Sigfox lève 100 millions d’euros et accélère à l’international », Fabienne Schmitt, Les Echos, 12 février 2015.

– « The Billion Dollar Startup Club », Scott Austin, Chris Canipe and Sarah Slobin, The Wall Street Journal and Dow Jones VentureSource, http://graphics.wsj.com, February 18, 2015.

– « Les nouvelles étoiles géantes du Web », Benjamin Ferran et Jules Darmanin, lefigaro.fr, 23 février 2015.

– « La Silicon Valley s’interroge sur les valorisations de ses « pépites » », Jérôme Marin, Le Monde, 19 mars 2015.

– « High-tech : la « licorne », une espèce à l’expansion très rapide », AFP, tv5monde.com, 9 avril 2015.

– « Les start-up de la Silicon Valley flambent », Sarah Belouezzane, Le Monde, 19-20 avril 2015.

– « Qui sont les super-licornes ? », Dylan McClain, Enjeux Les Echos, mai 2015.

Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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