En cédant coup sur coup le Financial Times et sa participation dans The Economist, le groupe Pearson poursuit son recentrage sur le seul secteur de l’éducation. Le Financial Times est désormais contrôlé par Nikkei, le géant japonais de la presse économique, et The Economist par la famille Agnelli, qui contrôle par ses participations RCS Mediagroup en Italie.
Le groupe Pearson a, depuis 2012, décidé de recentrer ses activités sur l’éducation et engagé un plan de restructuration. L’éducation est un secteur qui, s’il est très rentable pour les revues et les éditions numériques, s’avère en revanche plus compliqué sur le marché des manuels scolaires. En effet, le groupe est pénalisé par le recul des ventes de manuels scolaires aux Etats-Unis, certains Etats ayant opté pour des solutions alternatives aux offres de Pearson. Ce sont ces difficultés qui, selon l’agence Bloomberg, ont pu expliquer le choix de Pearson de céder un des actifs historiques de sa branche éducation, son pôle presse qui inclut les très prestigieux Financial Times et 50 % de The Economist. Ces deux titres, très symboliques, sont éloignés du nouveau cœur de métier de Pearson et une cession est de ce point de vue dans l’ordre des choses. Reste que Pearson détenait le Financial Times depuis 1957 et, avec ce titre, bénéficiait d’un prestige auprès des élites mondiales comme seuls quelques grands journaux en disposent, aucun autre ne pouvant concurrencer le Financial Times, à l’exception du Wall Street Journal. La logique de la rationalisation et le besoin de ressources nouvelles pour Pearson l’ont toutefois emporté et le Financial Times a été mis en vente, comme la participation dans The Economist, l’ensemble étant estimé à près d’un milliard de livres (1,44 milliard d’euros). Cette cession fait suite à la vente des Echos au groupe LVMH en 2007, pour 240 millions d’euros, puis à celle du Financial Deutschland en 2008.
Le groupe allemand Springer a longtemps été favori pour ce rachat. Springer déploie en effet une politique d’expansion sur les marchés anglophones et dans l’information en ligne, qui s’est traduite par un investissement dans Business Insider et le lancement de Politico (voir La REM n°34-35, p.24). Springer a pris le contrôle de 88 % de Business Insider, fin septembre 2015, moyennant 343 millions de dollars, un montant supérieur à ce qu’AOL avait déboursé pour le Huffington Post. Pour Springer, le contrôle du site américain au 76 millions de visiteurs mensuels entre dans sa « stratégie qui est de croître par le biais d’une offre journalistique numérique dans les zones anglophones ». Reste que le Financial Times aurait idéalement complété l’ensemble. Le Financial Times dispose en effet d’une audience conséquente, avec une diffusion quotidienne de 737 000 exemplaires, dont plus de 70 % sont des versions numériques (soit environ 500 000 abonnés numériques à 335 dollars par an). Autant dire que le Financial Times, qui a inventé le paywall et refusé les commissions prélevées par les kiosques de presse en ligne, notamment le kiosque d’Apple, incarne la réussite d’une presse exigeante qui a su trouver et fidéliser un public en ligne prêt à payer. Cette particularité du Financial Times se traduit dans ses résultats, le quotidien ayant réalisé l’année dernière 334 millions de chiffre d’affaires pour un résultat de 24 millions de livres. A réussite particulière valorisation atypique : l’estimation de 1,44 milliard d’euros pour les actifs presse de Pearson est en complète rupture avec les sommes très faibles constatées pour les rachats de titres de presse ces dernières années, Jeff Bezos ayant notamment racheté le Washington Post en août 2013 pour 250 millions de dollars.
Finalement, la cession de Financial Times aura été exceptionnelle jusqu’à son terme, puisque c’est un acheteur inattendu qui l’a emporté, Pearson ayant annoncé le 24 juillet 2015 la vente de son titre au japonais Nikkei. Pearson ne cède à Nikkei ni sa participation dans The Economist ni l’immeuble londonien du Financial Times, ce qui explique le montant de la cession, à 844 millions de livres, soit 1,2 milliard d’euros. Le groupe Nikkei Inc. édite le Nikon Keiza Shimbun, un titre prestigieux qui, par contraction, a donné son nom à l’ensemble du groupe. Le Nikon Keiza Shimbun, quotidien économique, est au Japon ce que le Financial Times est pour le monde. Le Nikon Keiza Shimbun ou « Nikkei », qui compte plus de 3 millions d’abonnés, est diffusé chaque jour à 4 millions d’exemplaires grâce à deux éditions quotidiennes. Il monopolise au Japon les nouvelles à valeur ajoutée du fait de la forte proximité entre la rédaction et l’élite politique et économique du pays. Enfin, il dispose d’une visibilité à la télévision grâce à la chaîne économique Nikkei CNBC. Reste que le lectorat du Nikkei vieillit, ce qui oblige le groupe japonais à chercher des relais sur la scène internationale et à augmenter la part du numérique dans ses revenus. Le groupe Nikkei a ainsi lancé la Nikkei Asian Review afin d’étendre à l’Asie l’expertise économique dont il dispose avec son quotidien, et il a pris, en 2014, des parts dans la maison d’édition britannique qui édite le magazine haut de gamme Monocle. Avec le rachat du Financial Times, la stratégie du groupe Nikkei prend toutefois une tout autre ampleur, le groupe japonais détenant désormais un quotidien à l’audience mondiale, une marque internationale, et probablement l’une des meilleures expertises sur le numérique, le Financial Times étant une référence pour toutes les entreprises de presse qui cherchent à mieux valoriser en ligne l’information dont elles disposent.
A la suite de l’annonce de la cession du Financial Times, Pearson a également confirmé être en discussion pour la vente de sa participation de 50 % dans The Economist, estimée à 400 millions de livres (565 millions d’euros). Trois semaines plus tard, Pearson a confirmé la cession de sa participation dans The Economist, qui s’est faite en deux temps. Elle est portée principalement par Exor, une structure contrôlée par la famille Agnelli, également présente au capital de Fiat Chrysler, le constructeur automobile contrôlant RCS Mediagroup en Italie. Exor disposait déjà de 4,7 % du capital de The Economist et, moyennant 287 millions de livres, montera sa participation à 43,4 %, ce qui lui en donne automatiquement le contrôle. Le solde de la participation de Pearson sera racheté par le groupe The Economist lui-même pour 182 millions de livres. Afin de protéger l’indépendance du magazine de référence, vendu à 1,6 million d’exemplaires chaque semaine, dont 80 % en dehors du Royaume-Uni, la gouvernance du groupe The Economist va être modifiée, interdisant à tout actionnaire individuel de détenir plus de 20 % du capital et à toute entreprise ou particulier de détenir plus de 50 % du capital. Pour Pearson, la cession de sa participation lui rapporte en tout 469 millions de livres (663 millions d’euros), marquant ainsi la fin d’une histoire pour le groupe entré dans la presse britannique dans les années 1920.
Enfin, Pearson pourrait par ailleurs être amené à céder aussi une partie de sa participation de 47 % dans la coentreprise d’édition Penguin Random House, créée en octobre 2012 à la suite de la fusion de Penguin (Pearson) et de Random House (Bertelsmann) (voir La REM n°25, p.21). Lors de la fusion, les deux associés s’étaient engagés à conserver leurs parts pendant trois ans, une échéance qui arrive à son terme. Bertelsmann s’est dit de son côté prêt à augmenter sa participation dans Penguin Random House en rachetant des titres détenus par Pearson.
Sources :
- « Le Financial Times pourrait changer de mains », Julien Dupont-Calbo, Les Echos, 21 juillet 2015.
- « Rumeurs sur la vente du Financial Times », Amandine Alexandre, Le Figaro, 21 juillet 2015.
- « Nikkei fait l’acquisition du Financial Times », Chloé Woitier, Le Figaro, 24 juillet 2015.
- « Le FT passe sous pavillon japonais », Vincent Collen, Les Echos, 24 juillet 2015.
- « Pearson sort de la presse avec la vente de The Economist », Alexandre Counis, Les Echos, 13 août 2015.
- « Business Insider dans le viseur de Springer », Chloé Woitier, Le Figaro, 23 septembre 2015.
- « Springer met la main sur Business Insider », Marina Alcaraz, Les Echos, 30 septembre 2015.