Films et séries sur internet : l’hydre Popcorn Time et l’universel Netflix

L’industrie du cinéma a fait fermer l’une des versions du logiciel Popcorn Time, qui est aussitôt réapparue sous d’autres formes. Présent dans 190 pays du monde, Netflix, quant à lui, souhaite mettre fin à l’utilisation des logiciels permettant de contourner le verrou géographique de son catalogue. Le modèle de l’industrie du cinéma peine à concilier le caractère global du réseau internet et la diversité des contrats de distribution de films octroyés pays par pays.

Apparu en février 2014, Popcorn Time est un logiciel libre de streaming de vidéo par internet, via le protocole réseau pair-à-pair BitTorrent, qui permet de rechercher des vidéos disponibles sur le réseau et de les visualiser instantanément en haute définition, avec des sous-titres dans différentes langues (voir La REM n°32, p.13). Immédiatement repéré par l’industrie du cinéma américaine, le logiciel avait été abandonné un mois plus tard par ses créateurs argentins. Mais le code source du logiciel étant libre, de nombreux forks sont apparus dans les jours et les semaines qui suivirent. Un fork (en français, fourche ou embranchement) est un nouveau logiciel créé à partir du code source d’un logiciel existant. C’est ainsi que plusieurs versions de Popcorn Time furent rapidement disponibles en téléchargement, comme Time4Popcorn et PopcornTime.io.

Le 23 octobre 2015, PopcornTime.io, l’un des forks les plus utilisés dans le monde, a finalement été fermé pour au moins deux raisons. La première tient à la pression exercée depuis deux ans par l’industrie du cinéma, et tout particulièrement par la Motion Picture Association of America (MPAA) qui, dans une note interne (révélée lors du piratage de Sony Pictures, voir La REM n°33 p.81), se félicitait d’avoir « remporté une victoire majeure en forçant les principaux développeurs de Popcorn Time à fermer ». C’était ne pas tenir compte de la disponibilité du code source du logiciel, qui a rapidement permis à d’autres développeurs de s’en emparer, parmi lesquels ceux de PopcornTime.io.

Quant à l’autre fork, développé par l’équipe de Time4Popcorn.eu, il s’est vu privé de son nom de domaine sur injonction légale auprès de l’EURid (European Registry for Internet Domains) situé en Belgique, le forçant à déménager sur Time4Popcorn.com, puis sur Time4Popcorn.se (Suède). De plus, des organisations d’ayants droit ont directement attaqué des internautes utilisant PopcornTime aux Etats-Unis, en Israël et en Allemagne. La MPPA a également poursuivi plusieurs développeurs informatiques situés au Canada et en Nouvelle-Zélande, et ont obtenu une injonction de fermer le site Popcorntime.io en octobre 2015, ainsi que le site de torrent YTS et le VPN (Virtual Private Network, réseau privé virtuel) intégré à Popcorntime.io., menaçant les opérateurs de collaborer sous peine de poursuites judiciaires.

La seconde raison s’explique par la manière dont l’équipe de développeurs Popcorntime.io a réagi face aux attaques de l’industrie du cinéma. Une partie de l’équipe souhaitait intégrer un VPN payant, qui aurait permis de rendre le trafic invisible aux yeux desinstances de contrôle. Or, la gratuité du service constituait pour les développeurs bénévoles la meilleure défense juridique de PopcornTime.io. Ces dissensions ont provoqué l’éclatement de l’équipe, dont une partie a créé un nouveau logiciel open source baptisé Butler. Ce logiciel libre de droit, présenté comme parfaitement légal, se concentre en réalité sur le développement de la technologie de PopcornTime, sans intégrer d’autres contenus que ceux de la plate-forme en ligne Vodo.net, qui propose un catalogue de films parfaitement légal. A priori, l’idée est de permettre à d’autres développeurs de créer encore plus facilement des clones de PopcornTime…

Souvent comparé à Netflix, PopcornTime a d’ailleurs rapidement été surnommé « le Netflix des pirates ». De l’aveu de Reed Hastings révélé dans une lettre à ses investisseurs, le directeur de Netflix décrivait Popcorn Time comme l’un de ses principaux concurrents. Alors que le téléchargement illégal requiert quelques compétences informatiques de base, Popcorn Time simplifie la procédure à l’extrême : télécharger le logiciel, cliquer sur la jaquette d’un film et le visionner. Fondée en 1997, Netflix est une entreprise américaine qui proposa, dès 2009 aux Etats-Unis et en 2010 au Canada, un service illimité de vidéos à la demande contre un abonnement mensuel (voir La REM n°25 p.43). Jusqu’à présent disponible dans 60 pays, Netflifx a annoncé le 6 janvier 2016 qu’il serait désormais accessible dans 130 nouveaux pays, à l’exclusion notable de la Chine. L’entreprise affirme avoir actuellement dépassé 75 millions d’abonnés dont 43,4 aux Etats-Unis : 42,5 milliards d’heures de programmes ont ainsi été regardées en 2015, contre 29 milliards en 2014. Cette année-là, Netflix avait annoncé un chiffre d’affaires de 5,50 milliards de dollars, pour un bénéfice net de 267 millions de dollars. En 2015, les revenus ont grimpé à 6,78 milliards (+23 %), tandis que les bénéfices ont fondu à 123 millions de dollars (-54 %), en raison de l’investissement nécessaire à son expansion internationale.

L’entreprise américaine a été récemment confrontée à un problème d’un genre nouveau, lié aux catalogues de films accessibles pays par pays. En France, Netflix propose un catalogue de 2 500 films, contre 5 650 aux Etats-Unis. Cette différence s’explique notamment par les contrats d’exclusivité et les accords d’exploitation signés avec des chaînes de télévision nationales, interdisant à Netflix de proposer certains films et certaines séries, y compris ses propres productions. Par exemple, 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick ne figure pas dans le catalogue américain mais il est disponible en Russie ou encore en Grèce. En réalité, le catalogue complet de Netflix comptabiliserait quelque 5 800 films.

Un développeur informatique, pour l’instant anonyme, a créé Smartflix.io, qui combine un moteur de recherche, un navigateur web et un VPN. Il s’agit, simplement pour l’abonné Netflix de se connecter à Smartflix et de parcourir l’intégralité du catalogue de films, le logiciel donnant l’impression de se connecter depuis le pays où il est autorisé. Ainsi, en utilisant Smartflix.io, un Américain peut visionner 2001, l’Odyssée de l’espace aux Etats-Unis, faisant croire à Netflix qu’il se connecte depuis la Russie.

Vice-président de Content Delivery Architecture chez Netflix, David Fullagar, a annoncé récemment la fin de cette pratique dans un premier temps tolérée : « Dans les semaines à venir, ceux qui utilisent des proxies (VPN) et des débrideurs seront uniquement en mesure d’accéder au catalogue du pays dans lequel ils se trouvent. » En effet, Netflix étant maintenant présent dans 190 pays, cette technique n’est plus considérée comme un moyen indirect d’accéder au service pour ceux qui n’y avaient pas encore accès. Smartflix est loin d’être le seul logiciel qui permet de contourner les verrous géographiques mis en place par Netflix sur ses catalogues.

A la question « Craignez-vous un procès ? », le créateur de Smartflix répond sans sourciller : « Beaucoup de services similaires existent depuis des années. Et les studios font face à des problèmes bien plus pressants comme le téléchargement illégal. L’Union européenne cherche à limiter les blocages géographiques – la tendance est là. » Le problème reste entier, car l’abonné Netflix souhaite que son catalogue le suive, y compris lorsqu’il voyage à l’étranger, notamment lors de ses déplacements professionnels.

Alors que PopcornTime.io semble déjà renaître de ses cendres avec Popcorn Time CE branche n°1 (popcorntimece.tk) et Popcorn Time CE branche n°2 (popcorntime.ag, popcorn-time.is), ou encore Popcorn-Time.se (Time4Popcorn), les alternatives prolifèrent à chaque fermeture de PopcornTime. En atteste le lancement d’un nouveau service de streaming de fichiers pair-à-pair qui fonctionne avec la plupart des navigateurs web comme Internet Explorer, Chrome ou encore Firefox. Baptisé Popcorn Time Online, ce service installe un logiciel sur l’ordinateur de l’utilisateur ainsi que sur son navigateur web pour lui offrir ensuite les mêmes services que Popcorn Time. Les développeurs, anonymes, ont rendu ce logiciel open source afin qu’il puisse être copié et installé très facilement sur un serveur web.

Dans tous les cas, la capacité des individus à contourner les restrictions liées au droit d’auteur, qu’ils téléchargent illégalement ou qu’ils soient déjà clients de services VOD, illustre le profond décalage entre le caractère global du réseau internet et la territorialité du droit d’auteur et des contrats de distribution, régulée pays par pays.

Sources :

  • « Les déboires du « Netflix du piratage » », Alexandra Piquard et Martin Untersinger, Le Monde, 18 octobre 2015. 
  • « Popcorn Time fork goes dark after mpaa hounds developers », Ernesto, Torrentfreak.com, 16 décembre 2015.
  • « Smartflix ou comment casser les frontières de Netflix », Damien Leloup, Le Monde, 10 janvier 2016. 
  • « Netflix announces crackdown on vpn and proxy pirates », Andy, Torrentfreak.com, 14 janvier 2016.
  • « Netflix va appliquer plus strictement les limitations géographiques de son catalogue », Lemonde.fr/pixels/, 15 janvier 2016.
  • « Popcorn Time peut maintenant fonctionner dans le navigateur », Numerama.com, Alexis Piraina, 3 février 2016.

Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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