Quand l’IREC a été fondé, au sein de l’Université Paris-Panthéon-Assas, en 1986, le mot « média » venait tout juste de s’imposer. Francisé seulement en 1973 – avec un accent aigu et un « s » au pluriel -, l’usage finit par adopter ce mot au fil des années 1980-1985. Jusque-là, on parlait des mass media : forgée dans les années 1950 aux Etats-Unis, l’expression considérait, ensemble, toutes les techniques capables d’atteindre des audiences plutôt étendues et par conséquent diverses, difficilement identifiables, des masses, qu’il s’agisse de la télévision ou du cinéma, mais aussi de la presse et de la radio.
Le succès des thèses de McLuhan, vers la fin des années 1960 et au début des années 1970, contribua sans nul doute à populariser le mot média, précipitant du même coup l’abandon, dans le langage courant, de l’expression mass media. Le passage de celle-ci à celui-là n’est guère indifférent : l’attention se déplace des seuls effets des moyens de « communication » sur la culture en général vers l’examen, non seulement des outils proprement dits et de leurs divers usages, mais également de leurs utilisateurs ou de leurs publics, des institutions auxquelles ces usages ont fini par donner naissance et, le cas échéant, des formes d’expression dont ces usages ont permis l’émergence, le journalisme, le cinéma, la publicité, ou le feuilleton de télévision.
Aujourd’hui, le mot média désigne des réalités différentes : TF1 est un média, tout comme L’Express ou NRJ ; le livre et la télévision sont des médias, au même titre que la radio et le cinéma ; l’information, la publicité, l’affichage et le divertissement, dans une certaine mesure, sont des médias. Techniques, entreprises, formes d’expression de la pensée, domaines d’activité : l’inventaire des médias décourage toute tentation de définition.
Au fil des vingt dernières années, l’usage a fini par imposer une définition : ni celle, trop restrictive, de la trop célèbre trinité presse – radio – télévision, vouée à l’information, principalement et censément ; ni celle trop extensive, qui prétend inclure dans le monde des médias, à la suite de McLuhan, au-delà des ordinateurs et des réseaux, des techniques comme la roue ou la machine à vapeur.
Le mot, en effet, a fini par rejoindre son étymologie. Un média est d’abord un moyen, – un outil, une technique, un intermédiaire -, qui permet aux hommes d’exprimer leur pensée, et de communiquer à autrui l’expression de cette pensée, quels qu’en soient l’objet et la forme. Mais un média se définit également par un usage, lequel désigne tout à la fois un rôle déterminé, qui a fini par prévaloir, et la façon de remplir ce rôle ; à tel point qu’un média échappe difficilement à l’usage qu’au fil du temps ou lui a assigné, organe d’information, moyen de divertissement, d’évasion et de connaissance, support ou vecteur d’œuvres et de chefs-d’œuvre de l’esprit ou de l’imagination.
Tout média est inséparablement un outil et un usage. Aussi la question est-elle vaine de savoir qui commande, de la technique ou de la société. Il est impossible de trancher la question du « pouvoir » des médias, du moins aussi simplement que notre volonté d’être rassurés le voudrait. Ce sont les relations réciproques entre les médias et les sociétés qu’il faut donc explorer, tout en considérant de façon simultanée, sans jamais oublier qu’ils sont inséparablement liés, ces deux aspects de tout média : outil, ce qui le rapproche du monde des techniques, et usage, ce qui invite à l’inscrire dans le domaine privilégié des sciences sociales.
De la presse à l’internet, les médias suivent un chemin qui les conduit de la pauvreté vers l’abondance, du monopole à la concurrence. Ce sont les médias de l’écrit qui se sont répandus les premiers, grâce à l’invention de l’imprimerie, avec les livres et les journaux, depuis le XVe siècle jusqu’à nos jours. Les médias, au XXe siècle, ont offert leur revanche à la fois au son et à l’image, avec le téléphone, le cinéma, la radio et la télévision. Enfin, quelques années seulement avant le XXIe siècle, l’internet est devenu un média à part entière, grâce au Web la toile mondiale, à la fois plus grand journal et plus grande bibliothèque du monde, hypermarché planétaire et musée imaginaire dont Malraux lui-même n’aurait jamais osé rêver.
Accédez sur le site de l’INA à l’intégralité des chronologies présentes dans l’ouvrage de Francis Balle, Médias & Sociétés, LGDJ, Lextenso Editions, 18e édition, avril 2019.