France : la loi « création et internet » dite Hadopi 2

Adopté par le Parlement, au mois de mai 2009, le projet de loi « création et internet » (baptisée « loi Hadopi » ou encore « Hadopi 1 ») fut soumis au Conseil constitutionnel (voir le n° 10-11 de La revue européenne des médias, printemps-été 2009). Les députés de l’opposition en contestaient la conformité à la Constitution sur plusieurs points, notamment la sanction administrative du téléchargement illégal. Dans sa décision du 10 juin 2009, le juge constitutionnel déclara certaines dispositions votées contraires aux exigences constitutionnelles. Quoique amputée, la loi du 12 juin 2009 fut cependant promulguée. Dans les jours qui suivirent, le gouvernement déposa un nouveau projet de loi complémentaire « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet », dite « loi Hadopi 2 ». Dans ce long feuilleton législatif, il est donc utile d’en rappeler les épisodes,… en attendant la suite.

La décision du 10 juin 2009

Dans sa décision du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel eut à se prononcer sur l’un des objets essentiels et le plus controversé du texte voté : la suspension, par une instance administrative, de la connexion Internet du titulaire de l’abonnement, pour fait, par ce moyen, de téléchargement illégal constitutif de contrefaçon.

Ne remettant pas en cause l’obligation de surveillance de l’accès à Internet, imposée à l’abonné, le juge constitutionnel apprécia différemment les modalités prévues pour sanctionner les manquements à cette exigence ou, plus précisément, les faits de contrefaçon qui en résultent ou qui n’en ont pas ainsi été empêchés. Il prit en compte, en l’occurrence, le pouvoir confié à une autorité administrative. Celui-ci est apparu contraire aux garanties constitutionnelles de la liberté d’expression et de la présomption d’innocence.

Contrairement à ce qui en a été rapporté, à l’époque, par certains médias d’information, le Conseil constitutionnel ne trouva rien à redire, dans son principe, au pouvoir de sanction confié à une autorité administrative, la Commission de protection des droits, composante de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet ( Hadopi ), « dès lors que l’exercice de ce pouvoir est assorti, par la loi, de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis »… ce qui n’est pas apparu être le cas en l’espèce.

Considérant cependant que la suspension de la connexion à Internet aurait pour effet de porter atteinte au droit, de toute personne, « de s’exprimer et de communiquer librement », énoncé par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789, le juge constitutionnel conclut que « le législateur ne pouvait », en la circonstance, « confier de tels pouvoirs à une autorité administrative ».

A la mise en jeu de la responsabilité du titulaire de l’abonnement à Internet, pour fait de contrefaçon à partir de son adresse IP, mais dont il n’est pas nécessairement personnellement coupable, le Conseil constitutionnel reprocha également de porter atteinte au principe fondamental de la présomption d’innocence, principe consacré par l’article 9 DDHC.

Ont, en revanche, été écartés les arguments, invoqués par les députés de l’opposition, visant à faire reconnaître que la surveillance de l’usage de l’Internet et la collecte de données permettant « d’identifier les titulaires de l’accès à des services de communication au public en ligne » seraient contraires à leur droit au respect de la vie privée.

Sans ses principales dispositions relatives à la sanction administrative du téléchargement illégal, la loi fut cependant promulguée, en l’état, dès le 12 juin 2009.

La loi du 12 juin 2009

Dans la loi promulguée figurent notamment les dispositions relatives à l’Hadopi, à sa composition, son organisation et, par l’intermédiaire de la Commission de protection des droits, à certains de ses pouvoirs de contrôle, à l’exception par conséquent des pouvoirs de sanction qui lui avaient été confiés. Méritent également d’être mentionnées les mesures, introduites dans le code de l’industrie cinématographique, relatives à la chronologie des médias et celles, insérées dans le code de la propriété intellectuelle (CPI), concernant (sujet différent, même s’il n’est pas totalement étranger à la pratique du téléchargement) le « droit d’exploitation des œuvres des journalistes ».

L’Hadopi, sa composition et son organisation (Collège et Commission de protection des droits) constituent l’un des éléments essentiels du dispositif institué par la loi du 12 juin 2009.

La Commission de protection des droits se voit attribuer des pouvoirs de contrôle et de surveillance des internautes, dans leur pratique du téléchargement. Elle pourra adresser aux titulaires « de l’accès à des services de communication au public en ligne », une « recommandation » leur rappelant « l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits », telle que mentionnée par l’article L. 336-3 CPI. Ladite commission est, en revanche, privée des pouvoirs de sanction (suspension de la connexion) que lui avait attribués le texte de loi voté, mais refusés par le Conseil constitutionnel.

Parmi les règles qui visent à favoriser l’offre (ou plus précisément l’utilisation) légale d’œuvres et de prestations protégées, doivent être mentionnées celles, « relatives aux délais d’exploitation des œuvres cinématographiques » (chronologie des médias), introduites dans le code de l’industrie cinématographique. La promulgation, par une ordonnance du 24 juillet 2009, d’un nouveau « code du cinéma et de l’image animée » les fait désormais figurer à ses articles L. 231-1 à L. 234-2. L’« exploitation sous forme de vidéogrammes », pour la location ou la vente, ne peut intervenir qu’« à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de la date » de sortie d’un film en salle. L’« exploitation sur les services de médias audiovisuels à la demande » ou « sur les services de télévision » est, pour ce qui est du délai, appelée à être déterminée par contrat, dans le respect d’accords professionnels. Un « accord pour le réaménagement de la chronologie des médias », en date du 6 juillet 2009, a été rendu obligatoire par un arrêté du 9 juillet 2009.

Les dispositions relatives au « droit d’exploitation des œuvres des journalistes » (susceptibles d’être téléchargées) accordent à l’éditeur de presse de très larges possibilités, dans l’espace et dans le temps, au détriment des droits d’auteurs des journalistes qui se trouvent ainsi remis en cause dans la réalité de leur usage.

Le nouvel article L. 132-5 CPI dispose qu’« est assimilée à la publication dans le titre de presse la diffusion de tout ou partie de son contenu par un service de communication au public en ligne », dès lors que celui-ci est « édité par l’entreprise de presse ou par le groupe auquel elle appartient ou édité sous leur responsabilité ».

Par l’article L. 132-36 CPI, il est établi que « la convention liant un journaliste professionnel […] et l’employeur emporte, sauf stipulation contraire, cession à titre exclusif à l’employeur des droits d’exploitation des œuvres du journaliste réalisées dans le cadre de ce titre ».

L’article suivant précise que « l’exploitation de l’œuvre du journaliste sur différents supports, dans le cadre du titre de presse […] a pour seule contre-partie le salaire, pendant une période fixée par un accord d’entreprise ou, à défaut, par un accord collectif […] Cette période est déterminée en prenant notamment en considération la périodicité du titre de presse et la nature de son contenu ».

Le nouvel article L. 132-39 CPI dispose encore que, « lorsque la société éditrice ou la société qui la contrôle […] édite plusieurs titres de presse, un accord d’entreprise peut prévoir la diffusion de l’œuvre par d’autres titres de cette société ou du groupe auquel elle appartient ».

Plusieurs accords collectifs, d’entreprise ou de branche, sont appelés à encadrer et ainsi à restreindre, au profit des éditeurs de presse, l’exercice du droit « exclusif » des auteurs journalistes. N’ayant pas été saisi de ces dispositions, le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur ce qui aurait éventuellement pu être apprécié, par lui, comme constituant une atteinte aux droits des journalistes. Les possibilités futures de contestation, en justice, de la conformité à la Constitution de dis- positions législatives conduiront peut-être à réexaminer cette question. Dans d’autres « considérants » de sa décision du 10 juin 2009, le droit d’auteur est, en effet, garanti par référence au droit de propriété, tel qu’il est consacré par l’article 17 DDHC qui lui donne une valeur constitutionnelle.

Seules les dispositions de cette « loi Hadopi 1 » considérées comme non-conformes à la Constitution appelaient une suite sous forme d’une nouvelle intervention législative : « loi Hadopi 2 ».

Le projet de loi complémentaire

Comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet, tirant les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel de juin 2009 ayant considéré que la suspension de la connexion à Internet « pouvait conduire à restreindre l’exercice, par toute personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement » et, en conséquence, qu’il n’était pas possible de « confier de tels pouvoirs à une autorité administrative », c’est donc à l’autorité judiciaire que, par une loi complémentaire, il a été prévu d’attribuer cette compétence.

Craignant un encombrement des juridictions, le texte, par un « jeu de lois », renvoyant à d’autres dispositions, prévoit notamment qu’il soit, en cas d’infraction alléguée, le plus fréquemment recouru à la « procédure simplifiée », organisée par les articles 495 à 495-6 du code de procédure pénale (CPP).

Pour « alléger le travail des autorités judiciaires », il est prévu d’introduire, dans le CPI, un nouvel article permettant, aux « membres de la Commission de protection des droits » de l’ Hadopi et à « ses agents habilités et assermentés », de constater les infractions. Certains ont pu voir là une forme de « privatisation » ou, tout au moins, de démembrement de la police et de la justice. Ces personnels ne risquent- ils pas d’être très vite débordés par le nombre des faits allégués de violation des droits de propriété intellectuelle dont ils auraient à faire le constat et, grâce à l’adresse IP, à identifier les coupables (une certaine confusion continuant d’être maintenue entre le manquement à l’obligation de surveillance de l’usage de la connexion Internet et la contrefaçon) ? Pour accélérer la procédure et désencombrer les tribunaux, il est prévu d’ajouter les infractions en cause dans la liste de celles sur lesquelles un juge unique pourrait statuer.

A ces délits devrait également s’appliquer la « procédure simplifiée » de l’« ordonnance pénale ». Si le choix en est fait par le ministère public, celle-ci permet au juge saisi de statuer, « sans débat préalable, par une ordonnance pénale portant relaxe ou condamnation à une amende », susceptible d’inclure une peine complémentaire, du type de la suspension de la connexion. Ce n’est qu’« en cas d’opposition formée par le ministère public ou par le prévenu » que « l’affaire est portée à l’audience du tribunal correctionnel ».

Ce projet de loi a été adopté les 22 et 23 septembre 2009 par les deux Assemblées. Mais, une fois encore, le Conseil constitutionnel en a été saisi. Sa décision, à ce jour, est attendue.

Ont déjà été évoquées certaines des dernières étapes de cette longue procédure législative, véritable feuilleton ou « saga Hadopi », non encore achevée, relative à la tentative d’adaptation du droit d’auteur et des droits voisins à l’évolution des techniques numériques et de leurs usages, s’agissant notamment du téléchargement, et particulièrement de celui effectué dans le cadre des échanges P2P, constitutifs de contrefaçons. Avant la promulgation du texte de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet (Hadopi 2), il convient cependant d’attendre la décision du Conseil constitutionnel. Il faudra ensuite vérifier la réalité de son application. Au nombre des faits de violation, qui en limitera les possibilités de sanction, par ailleurs, mal comprise ou perçue par une partie de l’opinion, notamment des plus jeunes qui procèdent à de tels téléchargements, s’ajoute leur dispersion géographique qui fait que, pour être utile et efficace, la ri- poste ne peut être strictement nationale. Le débat n’est pas clos.

Sources :

  • Conseil constitutionnel. Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, JO, 13 juin 2009, p. 9675.
  • Loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, JO, 13 juin 2009, p. 9666.
  • Projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet.
  • « Diffusion et protection de la création sur Internet. A propos de la loi du 12 juin 2009 », E. Derieux, JCP G 2009, n° 26, pp. 12-15.
  • « La réforme du droit d’auteur des journalistes par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 », L. Drai, Comm. Comm. électr., septembre 2009, pp. 8-12.
  • « « Loi Hadopi » et la cession légale des droits d’auteur des journalistes », Th. Hassler, RLDI/52, août-septembre 2009, n° 1733, pp. 74-79.
  • « La révision de la chronologie des médias », E. Lauvaux, Legipresse, septembre 2009, n° 264.II.109-113.
  • « Hadopi : et l’œuvre ? », A. Tricoire, Legipresse, septembre 2009, n° 264.I.117-118.
  • « La liberté de communication avant tout. La censure de la loi Hadopi 1 par le Conseil constitutionnel », M. Verpeaux, JCP G 2009, n° 39, pp. 46-52.
  • « Réflexions sur la loi « Création et Internet » et sur le projet de loi « Hadopi 2 », H. Bitan ; « De la « loi Hadopi » à la « loi Hadopi 2 » », I. Boubekeur ; « La loi du 12 juin 2009. Restriction des droits d’auteurs des journalistes », E. Derieux ; « La loi Hadopi : beaucoup de bruit pour rien ? », E. Mirat et P. Boiron ; « Hado-pirate la Constitution : le Conseil sanctionne ! », D. Rousseau ; « Les adresses IP sont des données personnelles selon le Conseil constitutionnel », Ch. Simon ; « Présentation de la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de création sur internet », M. Trézéguet, Dossier spécial : Loi « création et internet » , pp. 90-126, RLDI/51, juillet 2009.
Professeur à l’Université Paris 2

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