Injonctions : l’Autorité de la concurrence plus clémente avec Canal+

En revenant sur une partie des injonctions auxquelles le Groupe Canal Plus est soumis depuis 2012, l’Autorité de la concurrence donne au leader de la télévision payante en France les moyens de mieux répondre à la concurrence d’Altice sur les droits sportifs, et à celle de Netflix sur les séries.

Alors qu’elle avait refusé, en 2016, de revenir sur l’interdiction de distribution en exclusivité d’une chaîne premium éditée par un tiers, Canal+ souhaitant distribuer les offres de BeIn Sports (voir La rem n°40, p.40), l’Autorité de la concurrence a été amenée à revoir sa position à l’occasion du réexamen des injonctions auxquelles a été assujetti le Groupe Canal Plus en juillet 2012 (voir La rem n°24, p.69). En effet, les injonctions décidées en 2012 à l’occasion de l’autorisation renouvelée de la fusion entre CanalSat et TPS d’une part, et l’autorisation du rachat des futures C8 et C17 au Groupe Bolloré d’autre part, devaient s’imposer durant cinq ans et faire l’objet d’un réexamen eu égard à l’évolution de la concurrence sur les marchés concernés.

Parce que l’évolution de la concurrence a été contrastée selon les marchés, l’Autorité de la concurrence a opté pour une levée partielle des injonctions le 22 juin 2017, tout en prenant acte de l’évolution rapide du paysage concurrentiel. En effet, sa décision, peut-être la plus importante, est de limiter à trois ans la durée des nouvelles injonctions, à savoir jusqu’au 31 décembre 2019, date au-delà de laquelle le Groupe Canal Plus n’aura plus d’autres obligations que celles imposées par le droit commun de la concurrence.

La levée des injonctions s’explique en grande partie par l’émergence d’acteurs en mesure de concurrencer Canal+ sur les marchés où le groupe est positionné. Ainsi, dans les services non linéaires, notamment la vidéo par abonnement, l’arrivée en 2014 de Netflix sur le marché français a changé radicalement les équilibres : avec 1,5 million d’abonnés en France, Netflix fédère le double des abonnés à CanalPlay et bénéficie des séries en exclusivité qu’il finance directement ou achète auprès des studios. Sans surprise, les obligations du Groupe Canal Plus en la matière sont grandement allégées. Parce que les séries exclusives sont désormais devenues le principal motif d’abonnement aux offres de sVoD, le Groupe Canal Plus pourra proposer en exclusivité sur ses services non linéraires (VoDsVoD – vidéo à la demande, vidéo à la demande avec abonnement) les séries qu’il préfinance.

Concrètement, cela signifie que Braquo ou Les Revenants ne seront disponibles que sur CanalPlay par exemple. Concernant les séries et les films américains, toutes les injonctions sont levées, notamment l’interdiction de négocier à la fois l’achat des droits linéaires et non linéaires sur les films. Cette levée d’injonction s’explique certes par le comportement des géants mondiaux de la sVoD, qui sont devenus de véritables concurrents sur le marché des droits, mais également par la montée en puissance d’OCS et l’arrivée d’Altice sur le marché de la télévision payante en France, ce dernier ayant négocié avec NBC Universal et Discovery plusieurs contrats d’exclusivité (voir La rem n°42-43, p.55).

En revanche, les obligations du Groupe Canal Plus concernant ses offres non linéaires sont en partie maintenues pour tout ce qui a trait aux relations avec les acteurs français. Le Groupe Canal Plus reste un acteur incontournable du cinéma français avec Studio Canal, mais aussi avec Canal+ et ses obligations de contribution au financement de la production cinématographique. Dès lors, pour ses services non linéaires, le Groupe Canal Plus ne peut pas coupler l’achat de droits linéaires et non linéaires pour les films français. En revanche, Studio Canal est désormais autorisé à commercialiser des exclusivités auprès des plates-formes tierces, quand auparavant StudioCanal devait céder ses droits à toute plate-forme intéressée. Cette mesure lui permettra de ne pas céder ses droits à des éditeurs qui le concurrencent trop fortement. Enfin, StudioCanal pourra céder en exclusivité jusqu’à 50 % de ses droits aux différents services en ligne du Groupe Canal Plus, l’autre moitié de son catalogue de films devant être cédée à des distributeurs concurrents qui ont besoin de Studio Canal pour respecter l’obligation qui leur est faite de proposer des films d’expression originale française. En revanche, l’obligation est maintenue qui interdit à Canal Plus d’imposer aux fournisseurs d’accès à internet une exclusivité de distribution de ses services non linéaires.

Concernant les services linéaires, les injonctions sont certes allégées, mais les contraintes restent fortes en raison de la position dominante de Canal Plus sur le marché de la télévision payante. En effet, le groupe contrôle encore 75 % du marché de la télévision payante, contre 85 % en 2012. À cet égard, l’essentiel des allégements doit se comprendre en regard de la stratégie de convergence d’Altice, qui investit massivement dans les droits sportifs et désormais dans les films et les séries, qui se positionne sur le marché de la télévision payante en créant des chaînes et sur celui de la télévision en clair avec le rachat de NextRadioTV et Numéro 23. Alors que l’Autorité de la concurrence avait refusé en 2016 de lever l’interdiction faite à Canal+ de distribuer en exclusivité des chaînes premium, Canal+ souhaitant s’allier à BeIn Sports, cette obligation est désormais supprimée tant que la chaîne distribuée en exclusivité dans les bouquets du groupe est également auto-distribuée à l’unité chez les distributeurs tiers, donc facturée en sus des bouquets concurrents de ceux du Groupe Canal Plus.

À vrai dire, l’Autorité de la concurrence avait jugé en 2016 que la non-participation d’Altice à l’appel d’offres sur les droits du Top 14 était l’indication d’une concurrence encore timorée sur le marché des droits sportifs. Depuis qu’Altice a déboursé 1,2 milliard d’euros en mai 2017 pour s’emparer des droits de diffusion de la Champions League et de l’Europa League en France (voir La rem n°42-43, p.51), la donne a évidemment changé. En revanche, le Groupe Canal Plus conserve l’obligation de reprise d’un nombre minimal de chaînes indépendantes dans ses offres payantes, CanalSat restant en la matière un distributeur dominant. Mais le groupe n’a plus l’obligation de dégrouper ses chaînes cinéma auprès des distributeurs tiers parce qu’une véritable concurrence a émergé, celle notamment des chaînes cinéma d’Orange et d’Altice.

En ce qui concerne l’acquisition de droits, les allégements sont importants pour les droits américains, quand les obligations sont maintenues pour les droits français. Canal Plus peut donc désormais conclure deux contrats cadres avec les studios américains, contre un seul précédemment, ce qui lui permet de coupler l’achat de droits de films et de séries pour une diffusion en clair, en payant et en ligne. Cette mesure devrait en toute logique faciliter l’accès aux films américains de la mini-généraliste C8 qui bénéficiera ici de la puissance de négociation de la chaîne premium Canal+. En effet, le seul contrat cadre de ce type est pour l’instant passé entre le Groupe Canal Plus et Disney, quand Altice a de son côté signé un contrat similaire avec NBC-Universal. Quant à l’achat de droits de diffusion pour les films américains, plus aucune restriction ne s’applique. À l’inverse, en ce qui concerne le cinéma français, les obligations sont en grande partie maintenues du fait du rôle central du Groupe Canal Plus dans son financement.

Ainsi, le groupe ne peut pas conclure de contrat cadre avec des producteurs indépendants français, sauf si un distributeur de télévision payante est amené à le faire, ce qui signifie que Canal Plus ne peut pas s’assurer par défaut d’exclusivités pour sa chaîne premium comme pour ses chaînes en clair. Enfin, Canal Plus doit continuer de négocier séparément les droits de première diffusion, de seconde diffusion et de diffusion en ligne des films français, ce qui interdit au groupe de profiter de sa position dominante sur le marché de la télévision payante (première diffusion) pour s’imposer aussi sur le marché de la télévision en clair ou les offres de VoD et sVoD. Pour ces dernières toutefois, le succès de Netflix et le décollage difficile de la VoD en France a conduit à des aménagements : Canal Plus à la demande (VoD) peut désormais distribuer cinq films par an en avant-première avec une période d’exclusivité d’une semaine.

En définitive, l’Autorité de la concurrence a donné les moyens au Groupe Canal Plus de mieux répondre aux concurrences nouvelles d’Altice et de Netflix. En effet, parce que les droits sportifs font l’objet d’une surenchère sans précédent, un monopole semble désormais impossible qui garantira à Canal Plus (voir La rem n° 41, p.91), et désormais à Canal+ et à BeIn Sports dont les offres sont regroupées, de s’assurer seuls du contrôle de la télévision payante. Comme au Royaume-Uni pour Sky, Canal Plus devra très probablement miser sur son offre de films et de séries : à cette fin, ses contraintes sont désormais supprimées pour les films américains, quand les séries préfinancées par Canal Plus ou produites par Studio Canal pourront désormais être diffusées en exclusivité sur CanalPlay.

Cette mesure essentielle permet au Groupe Canal Plus d’envisager une véritable alternative française à Netflix. En effet, l’offre de CanalPlay, actuellement constituée de fonds de catalogue sans véritable intérêt, va enfin pouvoir se distinguer. La mesure arrive peut-être malheureusement trop tard : entre 2014 et 2017, Netflix aura eu le temps de s’imposer comme le premier acteur de la sVoD en France. Enfin, la suppression du dégroupage des chaînes cinéma de Canal+, le nouveau contrat cadre avec un studio américain, comme la possibilité d’une distribution en exclusivité de chaînes premium devraient tout à la fois renforcer l’offre de télévision payante de Canal Plus et son offre en clair qui bénéficiera des achats couplés. À l’évidence, la décision de l’Autorité de la concurrence permet au Groupe Canal Plus d’accompagner dès la rentrée 2017 sa politique de relance commerciale qui débuta fin 2016. Le groupe, qui a perdu des abonnés, et qui devra s’assurer de conserver au moins une partie de la Ligue 1 au-delà de 2020, n’a plus le temps en effet d’attendre cette échéance pour se relancer, même s’il pourra alors bénéficier de conditions encore plus favorables, une fois débarrassé des dernières injonctions de l’Autorité de la concurrence.

Sources :

  • « Canal+ devrait bientôt avoir les mains plus libres face à son concurrent SFR », Nicolas Madelaine, Les Echos, 15 juin 2017.
  • « L’Autorité de la concurrence modifie le dispositif de mesures qui avaient été imposées à Vivendi et GCP dans le cadre du rachat de TPS », Communiqué de presse, Autorité de la concurrence, 22 juin 2017.
  • « L’Autorité de la concurrence donne plus de marge à Canal+ pour contrer SFR », Nicolas Madelaine, Les Echos, 23 juin 2017.
  • « L’Autorité de la concurrence va desserrer l’étau autour du groupe Canal+ », Caroline Sallé, Le Figaro, 23 juin 2017.
  • « Télévision payante : la rentrée que Canal+ ne peut pas se permettre de rater », Nicolas Madelaine, Les Echos, 23 juin 2017.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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