« Propager puissamment sur les réseaux sociaux une fausse nouvelle ne requiert que quelques dizaines de milliers d’euros et peut se faire dans l’anonymat. Les plateformes se verront imposer une transparence accrue sur les contenus sponsorisés afin de rendre publique l’identité des annonceurs et de ceux qui les contrôlent mais aussi de limiter les montants consacrés à ces contenus ». Ainsi s’exprimait le président de la République Emmanuel Macron lors de ses vœux à la presse le mercredi 3 janvier 2018. Un texte permettant de lutter contre la propagation des fausses nouvelles, ou fake news, pendant les périodes électorales est ainsi mis en chantier dès cette année.
La nécessité de lutter contre la diffusion de tels contenus s’est davantage fait sentir ces derniers mois, et notamment à l’occasion des élections présidentielles française et américaine. Des informations douteuses, issues notamment de médias russes tels Russia Today, ont ainsi pu viser certains candidats. Le candidat Emmanuel Macron fut particulièrement ciblé par ces vagues de désinformation. Si la publication des « Macron Leaks » a pu révéler certains dessous de la campagne du candidat, ceux-ci ont également été accompagnés de faux documents et prétendues rumeurs le mettant personnellement en cause. Si la plupart de ces contenus peuvent être aisément repérés et dénoncés, la force de frappe dont ils disposent sur les réseaux numériques les rend particulièrement dangereux. Un même contenu peut en quelques heures, voire en quelques minutes, être partagé des milliers de fois sur les réseaux sociaux, s’amplifier de nouveaux commentaires et informations, et ainsi atteindre une grande partie du public.
Le phénomène n’est pourtant pas nouveau. La diffusion de fausses nouvelles avait déjà pu emprunter la voie des médias traditionnels que sont l’édition, la presse ou l’audiovisuel, avec un succès variable. On pense bien sûr au canular radiophonique organisé par Orson Welles dans les années trente sur une radio américaine, dans lequel celui-ci relatait, sur un ton journalistique, les événements du roman La Guerre des mondes de H. G. Wells. L’événement est resté de sinistre mémoire, puisqu’on a longtemps affirmé que le public a cru aux propos tenus à l’antenne, ne percevant pas le caractère fictif de l’émission. On sait maintenant que ces conséquences ont été très largement exagérées par la presse écrite de l’époque, qui cherchait à discréditer un média concurrent et en plein développement 1.
La fausse nouvelle n’était donc pas celle que l’on croyait. Le souvenir tenace qu’elle a laissé prouve néanmoins les craintes que l’on attache à la propagation de ces contenus. L’audiovisuel pourrait facilement tromper le public, par ses nombreuses capacités de falsification et de montage. L’écrit n’est pas en reste, et plusieurs fausses nouvelles littéraires ont même fait preuve d’une incroyable longévité auprès de certains publics, malgré les démentis dont elles ont fait l’objet. Ainsi en est-il de l’ouvrage Les Protocoles des sages de Sion de Matveï Golovinski paru au début du XXe siècle et présenté comme le plan de conquête d’un complot juif international. Identifié comme un faux à de multiples reprises, l’ouvrage a pu alimenter la propagande de régimes totalitaires, tel le Troisième Reich, et continue de servir celle de mouvements terroristes contemporains.
L’influence des fake news, qu’elle soit potentielle ou avérée, n’est donc pas négligeable. Les craintes qu’elles génèrent sont d’autant plus importantes avec les moyens contemporains de communication numérique, et notamment le web 2.0, qui permettent au plus grand nombre de recevoir mais aussi d’émettre des idées et informations, dont certaines peuvent être fausses. Les réseaux sociaux sont à ce titre devenus de nouvelles « places publiques » où la liberté d’expression peut être exercée par tout un chacun, comme l’a récemment affirmé la Cour suprême des États-Unis (voir La rem n°44, p.62).
PLUSIEURS FAUSSES NOUVELLES LITTÉRAIRES ONT MÊME FAIT PREUVE D’UNE INCROYABLE LONGÉVITÉ AUPRÈS DE CERTAINS PUBLICS, MALGRÉ LES DÉMENTIS DONT ELLES ONT FAIT L’OBJET
Or une fausse nouvelle peut très rapidement y gagner une audience internationale, tout simplement en étant partagée et diffusée au-delà de ses premiers publics. La profusion de contenus portant sur tous les types de sujets n’aide guère à faire la part des choses. Cela est d’autant plus vrai que les fausses nouvelles partagées sur les réseaux sociaux proviennent souvent de sites dont le contenu peut paraître très éloigné. Tel est le cas avec les sites de divertissement, dont les revenus publicitaires dépendent notamment de la plus ou moins large diffusion de nouvelles « sensationnelles » 2. Une fois partagées, celles-ci peuvent être relayées et republiées par des milliers d’autres personnes, quand bien même la source aurait été retirée ou identifiée comme non authentique.
Ces constats justifieraient des moyens de lutte nouveaux contre les fake news. La proposition évoquée par le président de la République d’une loi de « fiabilité et de confiance dans l’information » viendrait pallier l’insuffisance des outils traditionnels en la matière, tout en obligeant à redéfinir ce qu’est une vraie « fausse information ».
Comme cela a déjà pu être relevé 3, la diffusion de fausses informations, pendant ou hors période électorale, fait l’objet de plusieurs dispositions pénales. L’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse est celui auquel on pense en premier : il sanctionne la diffusion, par tout moyen et de mauvaise foi, de fausses nouvelles, de documents falsifiés ou attribués à des tiers qui trouble la paix publique ou est susceptible de la troubler ou qui « sera de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l’effort de guerre de la Nation ». Preuve en est que la répression de fausses informations est ancienne. De la même façon, les articles 224-8 et 322-14 du code pénal sanctionnent le fait de communiquer de fausses informations relatives à des destructions ou dégradations dangereuses pour les personnes, ou encore compromettant la sécurité d’un aéronef en vol ou d’un navire. Certaines fake news diffusées sur le web pourraient évidemment tomber dans le champ de l’une de ces dispositions. Mais celles-ci ne sont cependant pas des plus efficaces à l’égard des informations qui ont moins pour objet de troubler l’ordre public que de manipuler l’opinion publique, et qui restent les plus nombreuses à être partagées sur les réseaux sociaux et autres services web.
LES RÉSEAUX SOCIAUX SONT DEVENUS DE NOUVELLES « PLACES PUBLIQUES » OÙ LA LIBERTÉ D’EXPRESSION PEUT ÊTRE EXERCÉE PAR TOUT UN CHACUN
D’autres délits visent plus spécifiquement la diffusion volontaire d’informations manipulatrices, mais là encore dans des cas bien particuliers, tenant à la nature du contenu ou à sa finalité. Ainsi en est-il de celles qui sont susceptibles de provoquer la hausse ou la baisse artificielle de prix de biens ou services (art. L 443-2 du code de commerce), celles qui peuvent influer sur la situation d’une offre ou le cours d’un instrument financier (art. L 465-3-2 du code monétaire et financier), ou encore celles qui sont relatives aux prétendues conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse (art. L 2223-2 du code de la santé publique). Enfin, s’agissant précisément de la matière électorale, l’article L 97 du code électoral sanctionne la diffusion de fausses informations pouvant influencer le comportement des électeurs, sachant que l’infraction suppose que le résultat du scrutin ait effectivement été faussé. Cela sous-entend un certain degré de gravité dans les allégations qui ont été proférées, la plupart des informations inexactes diffusées lors d’une campagne pouvant relever de la libre expression du débat politique. D’autres infractions pourraient encore être relevées, comme la diffamation, le montage photographique ou l’usurpation d’identité, lorsque les fausses nouvelles portent atteinte à la réputation d’une ou plusieurs personnes.
Enfin, on rappellera que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) fait respecter un impératif d’honnêteté de l’information diffusée par les services de médias audiovisuels, selon l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, modifié sur ce point par la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias (voir La rem n°41, p.10). Cette exigence d’honnêteté figurait déjà dans les conventions que l’autorité de régulation passe avec les éditeurs de ces services. Cela l’a par exemple conduit à adresser plusieurs mises en demeure à la suite de la diffusion de reportages comportant des informations erronées, ou des montages sonores ou visuels 4.
L’EXPRESSION FAKE NEWS EST DEVENUE UN CONCEPT « FOURRE-TOUT »
Un arsenal bien fourni existe donc déjà pour réprimer la diffusion de fake news par des procédés de communication au public. La loi évoquée par le président de la République ciblerait logiquement une nouvelle catégorie de fausses informations, actuellement non couverte par les dispositions précitées. Au vu du contexte de cette proposition, on peut penser qu’il s’agirait de fausses informations « intermédiaires » entre celles visées par l’article 27 de la loi de 1881 et celles de l’article L 97 du code électoral, c’est-à-dire qui sont seulement susceptibles d’influencer le cours d’une élection sans forcément constituer une menace pour l’ordre public. Outre la nature des informations, la proposition insiste sur la nécessité de développer des moyens d’intervention rapide pour signaler, identifier et retirer ces contenus, la création de nouvelles mesures de référé ayant à ce titre été évoquée par le président.
LA CRÉDIBILITÉ DU STYLE A PARFOIS PU ÉCLIPSER LA VOCATION HUMORISTIQUE DU CONTENU AU POINT QUE CERTAINES PERSONNALITÉS ONT PRIS CES INFORMATIONS AU SÉRIEUX
Indépendamment de la dimension procédurale, le projet pose la question de la définition même de ce qu’est une fausse information. On relèvera déjà que l’expression fake news, qui revêt un sens bien particulier dans la langue anglaise, est devenue un concept « fourre-tout » 5.
Ainsi, l’adjectif fake vise ce qui est trompeur, essentiellement sur un plan formel, alors que l’adjectif false correspond plus exactement à ce qui est « faux » sur le fond. Un même contenu peut bien sûr relever des deux catégories lorsqu’il comporte une information fausse présentée avec les canons éditoriaux d’un article de presse. Mais le terme fake a pu être employé pour viser bien d’autres contenus qui, sans être exacts ou authentiques sur le fond, ne sauraient pour autant être qualifiés de « faux ». Tel est le cas par exemple des informations diffusées par des sites parodiques et autres pastiches des grands journaux d’information politique et générale. La crédibilité du style a parfois pu éclipser la vocation humoristique du contenu au point que certaines personnalités ont pris ces informations au sérieux.
LA PROPAGATION DE RUMEURS OBÉIT SURTOUT À UN OBJECTIF PUBLICITAIRE, LOIN DES VISÉES POLITIQUES DES FAUSSES INFORMATIONS
Il en est de même avec les nouvelles diffusées par les appeaux à clics. Si le ton s’y veut plus sérieux, la propagation de rumeurs y obéit surtout à un objectif publicitaire, loin des visées politiques des fausses informations évoquées par le président de la République. Il reste enfin le cas des informations diffusées par les sites web relevant de courants politiques extrêmes, mêlant théories conspirationnistes et points de vue orientés sur l’actualité. De façon générale, il s’agit de nouvelles « plus ou moins » fausses, présentées comme « vraies » sous réserve d’extrapolations volontaires.
Ce large éventail pose de sérieuses difficultés pour en donner une définition sur le plan juridique. Celle-ci devrait normalement être la plus précise possible, tant dans le contenu même des fausses informations que dans les risques qu’elles présentent. Or on sait que les limites à la liberté d’expression doivent être prévisibles et proportionnées à un objectif légitime, comme le rappelle trop souvent la Cour européenne des droits de l’homme. Le manque de prévisibilité a déjà pu être relevé à l’égard de l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 6, ce pourquoi la jurisprudence en a réduit le champ d’application 7. Toujours selon la jurisprudence de la Cour, la liberté d’expression, consacrée par l’article 10 de la Convention, autorise le recours à l’exagération, la provocation 8, la satire 9, particulièrement lorsque sont mises en cause des personnalités politiques 10, et peut même inclure des idées ou informations qui heurtent, choquent ou inquiètent la population 11.
S’agissant des campagnes électorales, la Cour a pu rappeler que la diffusion d’informations authentiques constituait un but légitime dans une société démocratique. Mais elle a également affirmé que l’article 10 ne mettait pas obstacle à « la discussion ou à la diffusion d’informations reçues, même en présence d’éléments donnant fortement à croire que les informations en question pourraient être fausses » 12. La liberté d’expression inclut un droit de douter, de supposer et pourquoi pas de théoriser. Cela brouille certes la frontière entre les déclarations de fait et les jugements de valeur, mais tend à renforcer le débat d’idées. La notion américaine de « marché libre des idées » (free speech) est fondée sur ce même raisonnement.
LES LIMITES À LA LIBERTÉ D’EXPRESSION DOIVENT ÊTRE PRÉVISIBLES ET PROPORTIONNÉES À UN OBJECTIF LÉGITIME
Le libre-échange des idées et informations est considéré comme le moyen le plus efficace de rechercher et découvrir « la vérité », ce qui suppose la confrontation entre des idées « bonnes » et « mauvaises », vraies, fausses et « douteuses ». Les fausses nouvelles diffusées sur les réseaux sociaux participeraient dès lors d’un débat public sur des sujets d’intérêt général, les réactions qu’elles génèrent relevant elles-mêmes de la liberté d’expression. Hormis les cas visés par les infractions précitées, on peut donc se demander quelles sont celles qui pourraient être sanctionnées par une nouvelle disposition sans trop restreindre l’exercice de cette liberté. Aussi, cela explique les craintes manifestées par un certain nombre de journalistes à l’égard de la loi promise par le président de la République, que l’on accuse déjà d’être liberticide.
Mais le véritable problème tient certainement moins à la nature des fausses nouvelles qu’à leur contexte de diffusion. Leur force de propagation est à ce titre décuplée par les réseaux sociaux et les moteurs de recherche où elles côtoient, sur un pied d’égalité, des informations authentiques, traitées et présentées avec sérieux par des journalistes professionnels officiant dans des entreprises de presse. Le risque de confusion chez un public non averti n’en serait que plus important, d’où les craintes qu’on leur associe spontanément. Le libre-échange des idées est ainsi affecté par des mécanismes techniques et/ou économiques qui conduisent à présenter des informations dont la fiabilité et la qualité de traitement peuvent être extrêmement variables 13. De tels risques restaient marginaux dans les médias traditionnels que sont la presse écrite et l’audiovisuel. Les éditeurs spécialisés dans la diffusion de nouvelles romancées, extrapolées ou fantaisistes restaient identifiés et séparés de ceux garantissant une information crédible à leurs récepteurs. Enfin, le phénomène de « post-vérité » (voir La rem n°41, p.73) ajoute à cela une dimension sociale non négligeable. Ces facteurs pourraient effectivement influer sur l’opinion d’une partie substantielle des citoyens à un moment aussi crucial que celui qui précède un vote.
LE LIBRE-ÉCHANGE DES IDÉES ET INFORMATIONS EST CONSIDÉRÉ COMME LE MOYEN LE PLUS EFFICACE DE RECHERCHER ET DÉCOUVRIR « LA VÉRITÉ »
Au-delà de ce problème de définition des fausses nouvelles, la future loi entend déployer de nouveaux moyens permettant d’en limiter la diffusion, voire de les repérer et de les retirer promptement. Au vu des premiers échos 14, de nouvelles obligations seraient mises à la charge d’un certain nombre de services en ligne, dont principalement les plateformes de contenus et les médias sous influence étrangère. Si des liens étroits peuvent exister dans la pratique entre les deux, notamment en ce que les nouvelles publiées par les seconds sont reprises par les premières, leur qualification est pourtant bien différente sur le plan juridique.
En effet, alors que les plateformes seraient a priori assimilables à des hébergeurs, les médias sous contrôle étranger relèvent résolument de la catégorie des éditeurs, chacune de ces catégories étant soumises à des obligations et des régimes de responsabilité bien différents au sens de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Le fait d’inclure les médias étrangers répond bien sûr à une préoccupation contextuelle, certains sites russes, tels Russia Today ou Sputnik News, étant particulièrement considérés comme des vecteurs de désinformation et de propagande. Ceux-ci n’ont d’ailleurs pas manqué de réagir au projet énoncé par Emmanuel Macron lors de ses vœux à la presse 15. L’assimilation entre ces deux types de services paraît donc extrêmement conjoncturelle, tous les médias sous influence étrangère n’ayant pas forcément été des vecteurs de diffusion de fake news.
LE VÉRITABLE PROBLÈME TIENT CERTAINEMENT MOINS À LA NATURE DES FAUSSES NOUVELLES QU’À LEUR CONTEXTE DE DIFFUSION
Les nouvelles mesures de lutte contre ces contenus seraient quand même bien différenciées en fonction de la nature de ces services. Il est entendu qu’elles ne seraient applicables qu’en période électorale, soit jusqu’à cinq semaines avant un scrutin, comme l’a précisé le président de la République. L’idée générale serait bien sûr d’expurger du débat public les éléments qui pourraient nuire au libre choix des électeurs.
S’agissant des médias sous influence étrangère, le CSA pourrait désormais suspendre la convention qui lie leurs éditeurs et qui conditionne leur capacité à diffuser des programmes en France 16. Il s’agirait surtout d’une évolution du pouvoir de sanction de l’autorité de régulation. Celui-ci lui permet déjà de résilier les conventions passées avec les éditeurs dans les cas les plus graves comme la diffusion de fausses nouvelles associées à des discours de haine 17. Il reste à savoir dans quelles conditions le CSA pourra user de ce pouvoir, autrement dit à partir de quand un média sous influence étrangère pourra-t-il être considéré comme un vecteur de diffusion de fausses nouvelles. Un seuil quantitatif et/ou qualitatif devra ainsi être fixé, ce qui renvoie aux difficultés précitées tenant à la détermination de ce que l’on peut qualifier de fake news. Cela risque néanmoins d’ajouter au byzantinisme de la loi du 30 septembre 1986, et on ne voit pas pourquoi la diffusion de fausses nouvelles serait moins sanctionnée lorsqu’elle est le fait de médias audiovisuels français.
On remarquera par ailleurs que le champ d’application de cette mesure semble limité puisqu’elle ne concernera que les éditeurs de services de médias audiovisuels étrangers conventionnés par le CSA. Les éditeurs de services étrangers qui relèvent de la compétence d’un autre État membre de l’Union européenne et ceux d’origine extra-européenne qui sont simplement distribués en France (sans formalités préalables) ne semblent actuellement pas visés, bien que les seconds soient déjà théoriquement soumis aux pouvoirs de l’autorité. Il en est de même avec les services étrangers qui ne sont diffusés qu’en ligne et qui échappent pour l’instant à la compétence du CSA. Or ceux-ci représentent pourtant un poids tout aussi important dans la diffusion de fausses nouvelles. Ce différentiel de régulation rejoint le débat, plus général, relatif à la convergence de ces moyens de communication et à l’évolution du droit applicable en la matière, ce qui concerne notamment la révision de la directive « Services de médias audiovisuels » 18.
LE PROJET DE LOI AJOUTERA UNE PIERRE À LA RESPONSABILISATION DES PLATEFORMES, DONT LA NEUTRALITÉ EST DE PLUS EN PLUS ILLUSOIRE
S’agissant des plateformes numériques, entendues très vaguement comme réseaux sociaux et sites de partage de vidéos, celles-ci seront tenues à des obligations renforcées en termes de transparence et de coopération. Elles devront ainsi rendre compte publiquement des montants et de l’identité des commanditaires de contenus sponsorisés, qui sont plus propices à la diffusion de fake news. Cet élément pourra être pris en considération par les médias qui font du fact checking et permettra d’identifier plus rapidement les contenus douteux. La proposition pourrait donc s’appuyer sur les initiatives de certains services, tels Facebook et Google, tendant à renforcer le contrôle des contenus qui y sont relayés 19, notamment à travers les partenariats passés avec plusieurs médias (voir La rem n°44, p.86) 20. Ce devoir de transparence pourra aussi intéresser les annonceurs qui ne souhaitent pas être associés à la diffusion de fausses nouvelles (voir infra). Le groupe Unilever a ainsi menacé de retirer ses publicités en ligne des services de Facebook et Google, si ceux-ci ne garantissaient pas une lutte plus efficace contre la diffusion de fake news 21. Cette approche « Follow the money » est déjà expérimentée en matière de lutte contre les sites de streaming 22 (voir La rem n°34-35, p. 36) et trouverait donc de nouveaux terrains d’application.
Un véritable devoir de coopération pourra aussi être exigé des plateformes dans le signalement et le retrait de fausses nouvelles, à l’instar de ce qui existe déjà en matière de lutte contre les contenus pédopornographiques ou faisant l’apologie du terrorisme. Des dispositifs de signalement pourraient être mis à la disposition des internautes – l’idée de créer un service public de la notification en ligne a d’ailleurs pu être proposée par le groupe de réflexion Terra Nova à cette fin 23 – et les plateformes pourraient se voir ordonner de retirer promptement les informations identifiées comme fausses. À ce titre, le dispositif allemand, applicable au retrait de fausses nouvelles et de contenus haineux, a été évoqué comme source d’inspiration bien que jugé trop « automatique » (voir La rem n°44, p. 12). Enfin, la loi prévoirait la possibilité de saisir un juge des référés comme ultime recours pour faire cesser la diffusion massive d’une fausse nouvelle. Les conditions dans lesquelles le juge pourra être amené à rendre une ordonnance en ce sens restent à préciser. La nécessité de définir précisément les fake news qui peuvent tomber sous le coup de cette mesure n’en est que plus importante.
Bien des détails du projet de loi en cours d’élaboration restent donc à préciser. Celui-ci ajoutera une pierre à la responsabilisation des plateformes, dont la neutralité est de plus en plus illusoire. Il n’empêche que cette réforme nous promet des débats bien agités quant à son impact sur la liberté d’expression.
Sources :
- « The War of the Worlds panic was a myth », M. Chilton, The Telegraph, May 6, 2016.
- « Enquête sur les usines à fausses informations qui fleurissent sur Facebook »,
Adrien Sénécat, Le Monde, 5 juillet 2017. - « Quel(s) outil(s) juridique(s) contre la diffusion de « fake news » ? », Guillaume Sauvage,
Légipresse, n° 352, p. 427-432, septembre 2017. - Voir les décisions du 27 novembre 2013 (Reportage consacré à la visite du président
de la République à Oyonnax) et du 23 janvier 2017 (Traitement, sur les télévisions
et radios du secteur public, du sujet des « boues rouges » de Gardanne). - « Pourquoi il faut arrêter de parler de « fake news » », William Audureau, Le Monde, 31 janvier 2017.
- « La loi de 1881 et la Convention européenne des droits de l’Homme », Henri Leclerc,
Légicom, n° 28, p. 25-27, 2002. - C. Cass., Ch. Crim., 13 avril 1999, CCE, janvier 2000, p. 24-25, obs. A. Weber ;
voir également TGI Nanterre, 14e Ch., 13 décembre 2000, CCE, février 2001, p. 33-34,
obs. A. Lepage ; T. Corr. Toulouse, 27 juin 2002, D., 2002, p. 2972-2976, note C. Lienhard. - CEDH, 26 avril 1995, Prager et Oberschlik c./ Autriche, n° 15974/90, § 38.
- CEDH, 1re Sect., 25 janvier 2007, Vereinigung Bildender Kunstler c./ Autriche, § 33.
- CEDH, 8 juillet 1986, Lingens c./ Autriche, n° 9815/82, § 42.
- CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c./ Royaume-Uni, n° 5493/72, § 49.
- CEDH, 2e Sect., 6 septembre 2005, Sarov c./ Ukraine, n° 65518/01, § 113.
- « Internet, un libre marché des idées qui peut facilement dérailler », William Audureau,
Le Monde, 2 février 2017. - « La ministre de la culture précise les contours de la loi contre les « fake news » »,
avec AFP, LeMonde.fr, 13 février 2018. - « Loi anti-fake news, la presse française se réveille-t-elle face à Macron ? », Maxime Perrotin, SputnikNews.com, 6 janvier 2018.
- Voir par exemple la convention passée avec Russia Today le 2 septembre 2015,
dont l’article 2-3-6 est relatif à l’honnêteté de l’information et des programmes. - Voir la décision du CSA du 27 décembre 2004 résiliant la convention de la chaîne Al Manar, les programmes de celle-ci contenant de nombreuses allégations mensongères et à caractère antisémite.
- Voir la position du Conseil supérieur de l’audiovisuel sur la révision de la directive « Services de médias audiovisuels », publiée le 7 septembre 2017.
- « Inside Facebook’s Fast-Growing Content-Moderation Effort », Alexis C. Madrigal,
TheAtlantic.com, February 7, 2018. - « Comment fonctionne le partenariat entre « Le Monde » et Facebook sur les fausses nouvelles », Les Décodeurs, Le Monde, 9 janvier 2018.
- « « Fake News » : Unilever menace Google et Facebook de retirer ses publicités en ligne »,
Louis Delatronchette, Le Figaro, 12 février 2018. - « Quand les acteurs de la publicité s’invitent, au moyen d’une charte, à ne pas conclure
avec les sites massivement contrefaisants », Jean-Michel Bruguière, PI, n° 56, p. 299, juillet 2015. - « Fake news et triche électorale en ligne : le nouveau territoire des campagnes numériques », Jean-Baptiste Soufron, Terra Nova, tnova.fr, 23 janvier 2018.