L’eSIM : la virtualisation de la carte SIM des téléphones portables et des objets connectés

Cette évolution de la carte SIM permet le téléchargement à distance (remote provisionning), des données dans une puce embarquée directement dans un téléphone portable ou un objet connecté. Elle annonce la fin du monopole des opérateurs de télécommunications sur la gestion des cartes SIM.

L’eSIM, abréviation de Embedded SIM que l’on peut traduire en français par SIM intégrée ou SIM embarquée correspond à la virtualisation de la carte SIM des téléphones portables et des objets connectés. Historiquement, la carte SIM, (Subscriber Identity Module) est une puce qui contient un microcontrôleur et de la mémoire. Elle sert principalement à stocker l’identifiant d’un abonné à un réseau cellulaire et celui de l’opérateur de télécommunications afin de sécuriser la connexion.

L’eSIM s’inscrit dans cet effort continu de miniaturisation de la part des constructeurs, des intégrateurs et des fournisseurs, afin de réduire la taille de la carte à puce intégrée dans les téléphones portables et dans les objets connectés, qui n’ont plus nécessairement la place d’intégrer une carte SIM physique, même de dernière génération. Si les premières cartes SIM, dites full size, mesuraient 85 mm par 54 mm, leur taille a été continuellement réduite : les cartes SIM dites standard faisaient 25 mm par 15 mm ; les micro SIM, 15 mm par 12 mm et les nano SIM, 12 mm par 8,8 mm. Les composants d’une carte eSIM, dorénavant intégrés dans l’appareil connecté au réseau, mesurent 6 mm par 5 mm.

D’un point de vue matériel, rien ne différencie une carte SIM d’une eSIM, la plupart du temps soudée à l’appareil, mais le système d’exploitation est en revanche différent. Alors que les cartes SIM physiques sont programmées en usine avec les informations fournies par l’opérateur de télécommunications, les cartes eSIM permettent l’approvisionnement à distance des données inscrites sur la carte logée dans l’appareil électronique (remote provisionning). D’une programmation a priori en usine pour les cartes SIM, les eSIM sont programmables à distance et a posteriori.

La technologie est en gestation depuis 2010 au sein de la GSM Association (GSMA), qui regroupe quelque 800 opérateurs, constructeurs et industriels de la téléphonie mobile dans 220 pays. Cette association, chargée de travailler sur les normes des réseaux mobiles, a récemment annoncé que près de 80 acteurs majeurs de l’industrie soutiennent aujourd’hui le projet eSIM, dont les spécifications pour un usage grand public ont été publiées dès 2016.

La carte eSIM a d’abord été présentée comme un dispositif clé de la connectivité d’appareils industriels et du M-to-M (Machine-to-Machine, voir La rem, n°6-7, p.38), pour lesquels une carte SIM physique pouvait être particulièrement problématique. En effet, le changement d’une telle carte dans des compteurs intelligents de service public, des voitures connectées, des feux de circulation ou des dispositifs de sécurité devient complexe, du fait de leur mobilité, de leur dissémination sur un large territoire, de leur cycle de vie long ou encore quand l’appareil qui les reçoit est hermétiquement fermé. Ce sont les voitures connectées qui bénéficieront les premières d’un déploiement massif de cartes eSIM. Ainsi, l’Europe a rendu obligatoire dès le 31 mars 2018 le dispositif eCall pour toutes les voitures neuves vendues sur son marché. Il s’agit d’un bouton d’urgence, relié au 112, qui se déclenche automatiquement en cas d’accident – en plus de pouvoir être activé manuellement – afin de réduire le délai d’intervention des secours.

L’écosystème du M2M et les industriels ont toujours plaidé pour minimiser leur dépendance vis-à-vis des opérateurs de télécommunications, la carte SIM traditionnelle ne s’associant qu’à un seul d’entre eux. Ces difficultés ont également permis à d’autres acteurs, notamment Lora ou encore Sigfox (voir La rem n°44, p.27), de proposer une offre de connectivité consacrée à l’internet des objets, plus en adéquation avec les besoins des industriels.

Au-delà du domaine industriel, la généralisation de la carte eSIM dans l’électronique grand public a toujours été vue d’un mauvais œil par les opérateurs de télécommunications, qui interprètent un tel dispositif comme un pas de plus vers une désintermédiation avec leurs clients. La généralisation de la carte eSIM amorce tout à la fois un changement d’usage pour le consommateur et la fin du monopole des opérateurs de télécommunications sur la gestion des cartes SIM.

Pour le consommateur, l’eSIM inaugure de nouveaux usages : jusqu’à aujourd’hui, la souscription à une offre de téléphonie mobile nécessitait l’envoi ou le retrait en magasin, d’une carte SIM, ensuite insérée dans un téléphone. Avec une eSIM, les données de l’opérateur ou du fournisseur de réseau seront téléchargées à distance dans la puce du téléphone ou l’objet connecté acheté par le client. Lors d’un changement d’opérateur, il ne sera plus nécessaire d’attendre de recevoir une nouvelle carte SIM, le téléchargement des données du nouvel opérateur se fera à distance et sans délai. Avec la multiplication des objets connectés, le client pourra rattacher plusieurs appareils à un même numéro de téléphone et donc à une seule facture. Il pourra également utiliser en parallèle plusieurs profils, correspondant chacun à un opérateur différent, et passer aisément de l’un à l’autre. Il n’y aura plus de difficultés à changer de fournisseur de réseau. Autre avantage pour le consommateur, au détriment des grands opérateurs de télécommunications, l’eSIM permettra de souscrire facilement un forfait à l’étranger, évitant ainsi les frais d’itinérance (roaming), lesquels, selon Juniper Research, atteindront 31 milliards en 2022 contre 21 milliards de dollars en 2017.

Jusqu’à présent, l’eSIM équipait peu de modèles de smartphones et de montres connectées – le Google Pixel 2, uniquement disponible aux États-Unis, les montres Samsung Gear S3 et Apple Watch de dernière génération ou encore l’iPad Pro 9,7″ –, avec la promesse que de nombreux autres appareils allaient prochainement intégrer ce dispositif : enceintes, tablettes et autres objets connectés grand public.

Il aura cependant fallu attendre un signal fort d’Apple pour que le marché des cartes eSIM grand public commence à basculer. En effet, les dernières versions de l’iPhone Xs et Xs Max sont munies d’une double SIM, dont une eSIM. Il est envisageable qu’Apple avance ses pions pour contrôler les eSIM de ses appareils en nouant des partenariats avec certains opérateurs de télécommunications, voire qu’il propose directement des abonnements en devenant un opérateur de réseau mobile virtuel (MVNO).

Selon Victoria Castro, journaliste pour numerama.com, Microsoft va déjà plus loin puisqu’il « s’imagine lui que l’on puisse choisir son opérateur [de télécommunications] comme on choisit de se connecter à un réseau Wi-Fi ». Le client choisirait, par le biais d’une plateforme mettant en concurrence tous les opérateurs de télécommunications disponibles, celui qui lui convient le mieux. C’est déjà ce que fait Google depuis 2015 aux États-Unis, avec le Project Fi, une carte SIM physique appelée SIM Fi (Fi pour Wi-Fi) qui consiste à facturer, pour 20 dollars par mois, un service qui bascule automatiquement entre les réseaux Wi-Fi et cellulaires de petits opérateurs en fonction de la connectivité au réseau.

Alors que Google est déjà un opérateur virtuel (MVNO) aux États-Unis, que Microsoft s’y intéresse de plus en plus, qu’Apple avance ses pions, notamment en intégrant un dispositif eSIM dans ses smartphones et ses objets connectés de dernière génération, il semble que les géants du web se mettent en ordre de marche pour conquérir le marché des télécommunications.

Le marché de l’eSIM grand public est encore balbutiant. Selon le cabinet d’études IHS Markit, leur volume devrait approcher le milliard de livraisons en 2021, à comparer aux 5,4 milliards de cartes SIM classiques vendues en 2016 qui devraient encore représenter 5,1 milliards de ventes en 2021. La transition du marché des cartes SIM vers celui des eSIM sera longue.

Sources :

  • « Remote SIM Provisioning for Machine to Machine », GSMA, gsma.com/iot/embedded-sim, January 2016.
  • « eSIM : pourquoi la carte SIM embarquée fait saliver Gemalto », Christophe Lagane,  silicon.fr, 20 décembre 2016.
  • « L’avenir de l’eSIM passera par les smartphones », Christophe Lagane, silicon.fr, 9 mai 2017.
  • « eSIM : l’évolution de la carte SIM qui va bouleverser nos usages mobiles », Amélie Charnay , 01net.com, 14 octobre 2017.
  • « MWC18 : l’eSIM est amenée à remplacer la traditionnelle carte SIM », Nicolas Valeano, Sciencesetavenir.fr, 1er mars 2018.
  • « L’eSIM, ou la guerre froide entre Silicon Valley et opérateurs télécoms », Victoria Castro, numerama.com, 18 septembre 2018.
Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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