Rupert Murdoch s’empare du groupe Dow Jones et du Wall Street Journal

Annoncée le 1er mai 2007, l’offre d’achat non sollicitée de News Corp., le groupe dirigé par Rupert Murdoch, sur le groupe Dow Jones, éditeur du Wall Street Journal, a frappé les consciences par la somme proposée, 5 milliards de dollars, soit une prime de 65 % par rapport au cours de l’action Dow Jones avant l’annonce de l’offre, mais également par la possibilité, pour le patron de News Corp. jugé très conservateur, de prendre le contrôle du premier quotidien d’information économique et financière aux Etats-Unis. En effet, avec quelque 2,7 millions de lecteurs chaque jour dans le monde dont, aux Etats-Unis, 1,7 million d’exemplaires en version papier et 780 000 abonnés à son site payant, le Wall Street Journal est la bible des milieux d’affaires alors que ses pages opinions sont clairement conservatrices.

La première des réactions aura d’abord été celle des héritiers des fondateurs du Wall Street Journal, créé en 1889 par Charles Dow, Edward Jones et Charles Bergstresser, puis cédé en 1902 à Charles Baron, le correspondant du titre à Boston et membre de la famille Bancroft. Les héritiers de ce dernier, qui contrôlent le groupe Dow Jones depuis plus d’un siècle, ont semblé d’abord s’opposer à ce rachat. Avec 24 % du capital de Dow Jones répartis entre 33 héritiers, la famille Bancroft dispose de 64 % des droits de vote.

Pour parvenir à ses fins, Rupert Murdoch s’est d’abord appuyé sur les actionnaires extérieurs qui, avec 36 % des droits de vote, ont été très tôt attirés par son offre généreuse. Enfin, le magnat australo-américain des médias a pu profiter de dissensions au sein de la famille Bancroft. Deux jours après l’annonce officielle de l’offre de rachat, les Bancroft recrutaient un cabinet de conseil pour évaluer l’offre, à peu près un tiers des héritiers jugeant les performances de Dow Jones décevantes. Le suspense a duré le temps que les possibles offres alternatives de rachat du groupe Dow Jones s’épuisent.

Parmi ces dernières, l’offre de Ron Burkle, un géant américain de la distribution qui avait déjà tenté de s’emparer, en vain, du groupe Tribune (voir le n° 2- 3 de La revue européenne des médias, printemps – été 2007), a fait long feu. L’offre de Brad Greenspan, cofondateur du site MySpace qu’il a revendu en juillet 2005 à Rupert Murdoch, n’a pas été en mesure de concurrencer celle de News Corp. En effet, elle ambitionnait seulement de bloquer toute revente à Rupert Murdoch en aidant certains des membres de la famille Bancroft à racheter au prix proposé par News Corp. une partie des actions de leurs cousins afin de détenir plus de 50 % du capital de Dow Jones. Plus sérieuse, l’offre envisagée par General Electric et Pearson a révélé le potentiel du groupe Dow Jones.

Hormis le Wall Street Journal et des activités de presse, à l’instar de l’hebdomadaire d’information boursière Barron’s, le groupe Dow Jones dispose également, à travers sa division Entreprise Media Group (EMG), d’un pôle très rentable d’information économique et financière destinée aux professionnels. Parmi ces activités, l’agence Dow Jones et son fil d’information boursière, Dow Jones Newswire, ainsi que des services spécialisés, l’information pour les hedge funds et le private equity avec Dow Jones Financial Information Services, ou encore Dow Jones Indexes, le service de création d’indices boursiers, enfin Dow Jones Licensing, une activité de vente d’outils spécialisés pour les sites d’information financière. La division EMG contrôle également Factiva, une entreprise spécialisée dans la recherche d’information économique et financière dans les archives de presse.

Ces actifs, à l’évidence, s’inscrivaient parfaitement dans le modèle économique de General Electric et Pearson qui auraient pu créer un groupe mondial d’information économique et financière. Le nouveau groupe aurait été le premier groupe mondial de presse économique, Pearson apportant avec lui le Financial Times, seul autre quotidien de référence en matière d’information économique et financière avec le Wall Street Journal et en presse hebdomadaire, Pearson aurait apporté The Economist au côté de Barron’s. Enfin, General Electric, qui contrôle la chaîne d’information économique et financière CNBC, aurait pu renforcer le partenariat déjà existant avec le groupe Dow Jones. Trop complexe et coûteuse, cette offre n’a pu voir le jour et Rupert Murdoch s’est finalement retrouvé seul candidat au rachat de Dow Jones fin juin 2007.

Après que les administrateurs du groupe Dow Jones ont obtenu de la famille Bancroft qu’ils soient les seuls chargés des négociations avec Rupert Murdoch, le conseil d’administration de Dow Jones a donné son accord, le 17 juillet 2007, à la vente du groupe au profit de News Corp. Pour obtenir cet accord, Rupert Murdoch s’est engagé sur l’indépendance éditoriale du groupe Dow Jones, notamment en acceptant de mettre en place un comité de cinq membres indépendants chargés de nommer ou de révoquer les rédacteurs des différentes publications du groupe.

Une fois l’accord du conseil d’administration de Dow Jones obtenu, restait alors à News Corp. de convaincre suffisamment de membres de la famille Bancroft de donner leur feu vert à l’offre d’achat. Le 1er juillet 2007, une partie des membres de la famille Bancroft détenant 37 % des droits de vote donnait son accord au rapprochement. Rupert Murdoch, qui peut compter sur plus de 70 % des voix des actionnaires extérieurs, qui détiennent 36 % des droits de vote, est donc sûr de prendre le contrôle de Dow Jones. S’il n’a pas modifié son offre initiale de 5 milliards de dollars, le rachat s’élève toutefois à 5,6 milliards de dollars dans la mesure où il inclut une reprise de dette. Enfin, Rupert Murdoch s’est engagé à investir dans le Wall Street Journal, un argument décisif pour le conseil d’administration de Dow Jones et une partie des membres de la famille Bancroft.

Avec le rachat du groupe Dow Jones, News Corp. étend son empire dans les médias en renforçant la qualité de son offre éditoriale, notamment aux Etats- Unis. Car c’est là tout l’intérêt de la fusion pour Rupert Murdoch. Avec le Wall Street Journal, le magnat australo-américain dispose enfin d’un quotidien national aux États-Unis dont il compte renforcer l’audience, notamment en développant l’information politique et générale, tout à la fois pour concurrencer le seul autre quotidien véritablement national aux Etats-Unis, USA Today (2 millions d’exemplaires diffusés chaque jour), et pour faire encore plus contrepoids, dans le domaine des quotidiens de référence, au New York Times, plus à gauche. Enfin, News Corp. compte utiliser les informations économiques et financières produites par le groupe Dow Jones, ainsi que la marque Wall Street Journal, pour alimenter et valoriser sa nouvelle chaîne d’information financière, Fox Business Network, dont le lancement est prévu le 15 octobre 2007. A cet égard, une des premières conséquences du rachat devrait être la remise en cause du contrat d’exclusivité, valable jusqu’en 2012, qui lie le Wall Street Journal à la chaîne d’information financière CNBC.

Le succès du site du Wall Street Journal ne devrait pas laisser indifférent News Corp., déjà bien implanté sur Internet avec MySpace. Alors qu’il ne prendra le contrôle du groupe qu’en décembre 2007, Rupert Murdoch annonçait toutefois début septembre vouloir rendre le site du Wall Street Journal gratuit, quitte à perdre les 30 millions de dollars générés par les abonnements. La stratégie semble donc être celle de la synergie entre les marques du groupe et l’élargissement de l’audience et sa qualification. D’ailleurs, les propos de Rupert Murdoch ne laissent aucun doute sur sa volonté d’imposer la marque Wall Street Journal au-delà du cercle déjà connu de ses lecteurs : « Passer de 1 million de visiteurs réguliers payants à 10 ou 15 millions de visiteurs (gratuits) parmi les plus riches et les plus influents de la planète, cela a de la valeur ». Sur le plan international, la présence de News Corp. à travers le monde devrait en outre permettre au Wall Street Journal d’accroître sa présence, notamment en Asie et en Europe, afin de mieux concurrencer le journal financier de référence, le Financial Times.

Sources :

  • « Rupert Murdoch s’apprête à débarquer dans l’information financière », David Barroux, Les Echos, 4 janvier 2007.
  • « News Corp. part à l’assaut du temple Dow Jones », Jean-Baptiste Jacquin, La Tribune, 2 mai 2007.
  • « Levée de boucliers après l’offre de Murdoch sur le Wall Street Journal », Nicolas Madelaine, Les Echos, 3 mai 2007.
  • « Le projet de rachat de Dow Jones par GE et Pearson se précise », David Barroux, avec Jean-Christophe Feraud, Les Echos, 19 juin 2007.
  • « GE et Pearson renoncent à déposer une offre sur le groupe Dow Jones », David Barroux, Les Echos, 22 – 23 juin 2007.
  • « Wall Street Journal : Murdoch et Dow Jones proches d’un accord », Nicolas Madelaine, Les Echos, 26 juin 2007.
  • « Dow Jones toujours à la recherche d’une alternative à Murdoch », Nicolas Madelaine, Les Echos, 10 juillet 2007.
  • « News Corp. va lancer Fox Business Network », Le Figaro, 13 juillet 2007.
  • « Murdoch aux portes du Wall Street Journal », David Barroux, Les Echos, 17 juillet 2007.
  • « Le Wall Street Journal accepte l’offre de rachat de Rupert Murdoch », Marc Roche, avec Guillaume Fraissard, Le Monde, 19 juillet 2007.
  • « Incertitudes sur l’avenir du pôle le plus rentable du groupe Dow Jones », David Barroux, Les Echos, 24 juillet 2007.
  • « Wall Street Journal, une affaire de famille », Caroline Talbot, Le Monde, 24 juillet 2007.
  • « Les Bancroft prêts à céder Dow Jones à Rupert Murdoch », Isabelle Repiton, La Tribune, 1er août 2007.
  • « Murdoch s’empare à l’usure de Dow Jones », I.R., La Tribune, 2 août 2007.
  • « Rupert Murdoch donne un nouveau visage à son empire avec le Wall Street Journal », David Barroux, Les Echos, 2 août 2007.
  • « Murdoch imprime sa marque sur le Wall Street Journal », David Barroux, Les Echos, 19 septembre 2007.

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